EDITO : Le soleil après la pluie

Etienne BRUNEAU

Nous vivons dans un monde fait d’alternance où chaque période de tristesse et de désespoir est suivie de moments de joie et de sérénité. Ces périodes rythment nos existences comme les différentes saisons façonnent la nature. Connaissez-vous beaucoup de gens ou de société qui restent durant des décennies au sommet ? Même les plus grands peuvent accuser des périodes à vide. Pourtant ces passages sombres sont bien utiles car on en tire souvent beaucoup plus de leçons que des périodes de plein succès.
Dernièrement, on m’a demandé de tirer un bilan de nos trente années de lutte contre la varroase afin de mieux préparer l’arrivée de ce parasite en Nouvelle Calédonie. Les recherches bibliographiques réalisées et les quelques conseils reçus ne leur permettaient pas de prendre conscience de la réalité de terrain vécue par les apiculteurs au fil de ces années. Ils voulaient pouvoir tenir compte du passé pour construire leur futur. En retraçant l’historique du varroa chez nous, j’ai été étonné de voir la façon dont cet acarien a mobilisé nos esprits et notre énergie et a refaçonné notre apiculture. À son arrivée, c’était le choc avec l’imposition de traiter ses ruches avec des médicaments relativement peu adaptés. sous peine, disait-on, de perdre ses colonies. Si nous n’avons pas connu trop de pertes, ce sont les apiculteurs qui se refusaient à traiter qui ont laissé leur enfumoir de côté. L’Apistan, solution « miracle » est arrivé assez rapidement et les investissements pour chercher à mieux gérer ce parasite ont été mis en veille. Comme un produit facile et efficace doit en plus être très peu coûteux, des formulations maison ont favorisé l’apparition de mécanismes de résistance des acariens au tau-fluvalinate qui se sont rapidement généralisés demandant un changement de molécule. On est alors reparti sur l’amitraz avec l’Apivar qui présentait une moins bonne efficacité et qui rapidement a dû être délaissé par les apiculteurs. Ceux-ci ne voulant plus utiliser de molécules chimiques dans leurs ruches, le coumaphos a été rejeté et on s’est orienté vers les huiles essentielles à forte dose dont le thymol. Ici aussi, le répit a été de courte durée et le nombre de traitements s’est multiplié. Cela a marqué la fin de la période du tout médicament. Le chimique, même s’il est naturel, ne fait que renforcer la virulence du parasite et ne permet pas aux colonies de développer des mécanismes de résistance. Depuis, on cherche d’autres approches plus biotechniques mais cela demande de la technicité et du temps. De plus, à chaque crise, le nombre d’apiculteurs diminue mais leurs connaissances et leur technicité augmentent fortement. Depuis quelques années, de nouveaux espoirs sont fondés sur les grandes avancées sur le plan génétique que ce soit le VSH ou le SMR. Là, on craint cependant pour la biodiversité des abeilles. Mais face à l’accumulation des problèmes et aux pertes de colonies qu’on ne parvient à maîtriser, certains chercheurs remettent clairement en question toute notre façon de travailler avec les abeilles. Les anciens n’avaient-ils pas raison ? L’apiculture naturelle ne serait-elle pas une voie à suivre ? Il est vrai que dans la nature, sans notre aide, de plus en plus de colonies semblent résister à ce parasite. En pratique, proposer un plan d’action aujourd’hui devient d’une complexité qui décourage de nombreux apiculteurs à la recherche de LA solution simple et peu coûteuse.
Ce petit historique illustre que chaque crise débouche sur de nouvelles solutions et sur une relance qui peut être de courte durée si la remise en question n’est pas suffisante. Ce qui s’en suit est de plus en plus difficile à vivre.
Notre apiculture vit aujourd’hui des moments particulièrement noirs avec un climat totalement instable et qui met à mal nos miellées et la rentabilité des exploitations professionnelles ; un frelon asiatique qui s’implante de plus en plus chez nous ; un varroa dont on ne peut se défaire facilement et ces dépérissements qui viennent et qui vont et dont on ne cerne toujours pas les tenants et aboutissants avec précision. Tout cela nous demande de remettre en question de façon profonde notre comportement et nous demande de l’ouverture et de nouveaux investissements sans garantie de succès. L’effort à fournir pour revoir le soleil est très conséquent car il touche non seulement notre secteur mais également d’autres domaines de la société. Il faut plus que jamais apprendre à s’ouvrir, à aller vers les autres et surtout à croire que le soleil est juste au-dessus de quelques nuages.
Aujourd’hui, seuls des projets de large envergure touchant différentes sphères de notre société et intégrant les lois de la nature dont celle de nos abeilles, pourront redonner l’espoir et le sourire aux apiculteurs et à nos abeilles. Soyons à l’écoute pour reconstruire un futur meilleur avec enthousiasme.