FICHE : Stress thermique estival et opération survie

Agnès FAYET

Jusqu’à présent, les conditions estivales extrêmes étaient limitées à certains secteurs géographiques dans lesquels la pratique apicole intègre le paramètre et s’y est adapté. C’est par exemple le cas dans certaines zones méditerranéennes ou désertiques. Durant l’été 2022, l’Europe occidentale a eu son lot de stress thermiques. Les organismes souffrent des températures anormalement élevées. C’est aussi le cas des colonies d’abeilles. Comment les abeilles réagissent-elles aux chaleurs extrêmes ? Comment les aider à supporter le stress thermique des étés trop chauds

L’impact du stress thermique sur la colonie

Température et humidité relative sont des paramètres capitaux pour le bon développement de la colonie et pour sa survie. La température doit être en permanence maintenue à 34-35°C et l’humidité relative entre 50 et 70 %. C’est le climat idéal de la colonie, qui permet un bon développement du couvain, le maintien de la capacité de reproduction de la colonie et par conséquent sa survie. Pour conserver ce climat, les abeilles assurent la thermorégulation du nid (cf. Abeilles&Cie n°179). Si elles ne réussissent pas à assurer cette thermorégulation, cela peut avoir des conséquences sur :
• le développement morphologique (corps et ailes) des abeilles,
• les paramètres physiologiques (propriétés de la cuticule, épaisseur de la cuticule et teneur en eau du corps ) des différentes sous-espèces reconnues et à différents stades (œufs, larves, pupes et adultes) et pour toutes les castes (ouvrières, faux-bourdons et reines) ;
• la recherche de nourriture ;
• le stockage des ressources alimentaires ;
• l’élevage des reines et la maturité reproductive des faux-bourdons ;
• les comportements d’accouplement ;
• la résilience de la colonie face aux agressions diverses ;
• les capacités d’apprentissage ;
• l’essaimage et/ou la fuite de la colonie ;
• la survie de la colonie.

Estivage

Il est très couteux pour la colonie de réguler les effets de la chaleur. Elle procède alors à des économies de ressources en attendant que la situation s’améliore. Pour permettre le processus très coûteux de réfrigération, la colonie stoppe le renouvellement des abeilles. C’est le blocage de ponte que l’on peut connaître en été et qui est appelé « estivage » quand il s’installe sur une période assez longue qui peut durer un mois et parfois plus dans certaines zones géographiques. Le phénomène se rencontre en été lorsque les périodes extrêmement chaudes se prolongent avec des moyennes dépassant 26°C et des pics proches de 40 à 45°C.
L‘arrêt de ponte est un processus graduel induit par les ouvrières. Influencées par les conditions thermiques, les jeunes ouvrières arrêtent de préparer et de nettoyer les cellules pour la ponte, ce qui contribue à inhiber cette activité́ chez la reine. A toute chose malheur est bon : l‘arrêt estival, en produisant une diminution progressive de la quantité́ de couvain, est utilisé́ par les apiculteurs dans le cadre de la lutte contre le varroa. Dans certains pays, le phénomène est aussi attendu que l’hivernage et bénéficie d’une préparation de la part des apiculteurs.

Comment soutenir les colonies en période estivale très chaude ?

L’emplacement du rucher est déterminant et peut donner un sérieux coup de pouce aux abeilles. Même si on voit désormais des ruches sur les toits, mieux vaut les protéger en leur permettant d’être à l’ombre. N’oublions pas que la température de fusion de la cire d’abeille se situe entre 62 et 65° ! La cire, en fondant, provoque l’affaissement des rayons et la coulée du miel avec des conséquences morbides pour les abeilles. En plein été, un toit en bitume peut atteindre entre 60 et 88°C et un toit recouvert de gravier entre 50 et 60°C. Les toits de tôle des ruches amplifient encore la chaleur. On sait aujourd’hui que peindre le toit en blanc permet de réfléchir jusqu’à 81 % des rayons solaires et donc de réduire fortement la température en réduisant la capacité de la surface à emmagasiner la chaleur. Une idée à garder en tête au moment de peindre la ruche… Les apiculteurs du sud de l’Espagne utilisent un enduit à la chaux pour réduire l’impact de la température de 4 ou 5°C. Les ruches se portent beaucoup mieux par temps très chaud sur un toit végétalisé qui réduit l’impact de la chaleur ou, encore mieux, à l’abri d’une haie, sous un couvert d’arbres à feuilles caduques ou sous abri correctement aménagé.

L’eau est toujours indispensable aux colonies ! Elle l’est encore plus en cas de coup de chaleur. Veillez à ce qu’une mare, une source ou un point d’eau artificiel soit à proximité du rucher. Les porteuses d’eau s’y rendront à volonté en évitant les allers-retours trop longs et rapporteront à la ruche de quoi maintenir l’humidité relative sans trop de coûts énergétiques. Gare aux abreuvoirs artificiels qui peuvent s’assécher ou dont l’eau peut « tourner » sous l’effet de la chaleur.

En période de fortes chaleurs, les abeilles adoptent certains comportements comme la ventilation devant l’entrée de la ruche et un regroupement d’ouvrières pour « faire la barbe » selon le jargon apicole bien connu. Cela signifie que la colonie est populeuse et qu’une partie des abeilles se déplace à l’extérieur de la colonie pour permettre une bonne régulation de la température à l’intérieur. Les ouvrières ventilent à l’entrée de la ruche pour assurer une bonne circulation de l’air. Par ailleurs, lorsque la température à l’intérieur de la ruche atteint 36°, les ouvrières commencent à créer un bouclier thermique en se plaçant sur les parois chaudes à l’intérieur de la ruche. Une isolation à la carte en quelque sorte. Quant à elles, les porteuses d’eau déposent des gouttelettes sur les parois des cellules du couvain. La circulation de l’air dans la ruche est une problématique capitale pour aider les abeilles à ventiler. De nombreux apiculteurs ont déjà pris la peine d’y réfléchir (https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00890188/document).

Les épisodes de chaleur jouent aussi un rôle au niveau de la disponibilité des ressources alimentaires. La production de nectar est directement impactée par la température. Si on prend l’exemple du tilleul, sa production de nectar est favorisée par des nuits fraîches. Cela signifie qu’en cas de canicule, plus de nectar dans les fleurs de tilleul ! Et il faut prendre en compte d’autres paramètres comme les températures diurnes et l’hygrométrie du sol et de l’air. Tout ceci varie fortement en fonction des espèces végétales et de la situation géographique. S’il est difficile de faire des généralités, on peut quand même dire que par temps chaud et très sec, il y a peu de récolte.

Réferences :
« L’estivage en Andalousie » - Abeilles&Cie n° 197/04/2020

« Sale temps pour les abeilles » - Abeilles&Cie n°179/04/2017

McAfee, A., Chapman, A., Higo, H., Underwood, R., Milone, J., Foster, L. J., ... & Pettis, J. S.(2020). Vulnerability of honey bee queens to heat-induced loss of fertility. Nature Sustainability, 3(5), 367-376.

McAfee, A., Higo, H., Underwood, R., Milone, J., Foster, L. J., Guarna, M. M., ... & Tarpy, D. R.(2019). Queen honey bees combat heat stress-induced loss of stored sperm viability with ATP-independent heat shock proteins. bioRxiv, 10, 627729.

McAfee, A., Tarpy, D. R., & Foster, L. J.(2021). Queens, but not their stored sperm, are resilient to temperature stress. https://www.researchgate.net/publication/350171411_

Vanderplanck, M., Martinet, B., Carvalheiro, L. G., Rasmont, P., Barraud, A., Renaudeau, C., & Michez, D. (2019). Ensuring access to high-quality resources reduces the impacts of heat stress on bees. Scientific reports, 9(1), 1-10.

Zhao, H., Li, G., Guo, D., Li, H., Liu, Q., Xu, B., & Guo, X. (2021). Response mechanisms to heat stress in bees. Apidologie, 52(2), 388-399.