L‘apiculture à Montréal et les enjeux d‘une ville durable

Agnès Fayet

La durabilité d’une ville se mesure à l’aulne de plusieurs critères parmi lesquels figurent le verdissement des lieux publics, le renforcement de la cohésion sociale, la prise en considération des personnes à mobilité réduite, l’éducation à l’environnement, les transports doux, l’autonomie alimentaire, le travail collectif et le partage de l’espace, etc.

L’apiculture a pleinement un rôle à jouer dans ce contexte. Apimondia Montréal a été l’occasion de découvrir plusieurs facettes de l’apiculture urbaine qui endosse plusieurs missions.

Montréal fait figure de modèle en développement de l’agriculture urbaine. La plate-forme « Cultive ta ville » (https:// cultivetaville.com), qui présente les projets à l’échelle de la Province du Québec, recense, pour Montréal, 8.500 parcelles, 75 jardins collectifs et parle d’un pourcentage de 30 % de la population du Grand Montréal investie dans des pro jets de culture dans un jardin, sur un toit ou une terrasse. Bien souvent, des ruchers sont inclus dans les projets de jardinage. Qui s’en étonnerait ? Sur l’ensemble de l’île de Montréal, on recense plus de 700 ruches. Une carte des ruches de Montréal permet d’évaluer très facilement la densité des colonies.


Si l’apiculture canadienne a une dimension productiviste et industrielle (voir Abeilles&Cie n°192), par contraste, l’apiculture en ville endosse au Canada la mission d’éveiller les consciences à la protection de l’environnement, au respect du milieu, à l’importance des pollinisateurs en général pour produire une nourriture relocalisée de qualité. De ce fait, les projets apicoles s’accompagnent bien souvent d’un solide volet pédagogique et social. Les apiculteurs urbains s’engagent à pratiquer une apiculture responsable et intégrée dans un réseau d’activités plus large : restauration des milieux en jardinant et en redonnant une place aux plantes mellifères, culture de plantes comestibles en ville pour relocaliser les productions, missions éducatives et sociales pour le bénéfice de tous et en particulier des populations les moins favorisées.


La coopérative de solidarité Miel Montréal a publié une « Charte de l’api culture urbaine » qui fixe les différents objectifs vertueux de la pratique en ville (http://mielmontreal.com/charte/). Gregory Lynch, rencontré à l’occasion d’une visite organisée dans le cadre du congrès Apimondia 2019, s’occupe d’ani mations et de formation pour la coopé rative, tout en remplissant les fonctions de trésorier. Gregory exerce par ailleurs la profession « d’entrepreneur en envi ronnement ». Il est notre guide sur l’un des sites tout récent de l’Université de Montréal (https://www.umontreal.ca), Campus Mill, où ont vu le jour des « pro jets éphémères » à finalité pédagogique et récréative rassemblant les étudiants et les habitants du quartier. De friche industrielle, le lieu est devenu un vrai laboratoire de verdissement urbain avec des jardins partagés, un rucher pédagogique, un bar et des activités de spectacle.


Deux structures apicoles ont investi les lieux : la coopérative Miel Montréal et l’entreprise Apiguru inc. (https://www.apiguru.ca/index.html) dirigée par Branislav Babic. L’apiculteur d’origine serbe cherche à pratiquer et à transmettre une apiculture au plus près des besoins des abeilles, dans l’exacte opposition de l’apiculture de profit : petites ruches, alternatives au traite ment chimique, conduite apicole moins intrusive, remise en question des objectifs de rentabilité, auto-construction des ruches, etc. La gestion de l’essaimage reste cependant une grosse contrainte en milieu urbain.

Transmettre, c’est ce que propose aussi, d’une manière plus classique, l’équipe de Miel Montréal  : une apiculture en ruche Langstroth mais adaptée aux contraintes de la ville. L’association a bien conscience que, au Canada, l’abeille mellifère est une espèce importée et qu’il faut avant tout veiller à contrôler le nombre de ruches pour limiter au maximum l’impact sur les pollinisateurs sauvages. Miel Montréal tient ainsi compte de la capacité de l’habitat et prône une apiculture responsable incluant un suivi des impacts et un engagement pour l’amélioration du milieu (habitat et ressources florales). En outre, Miel Mon
tréal encourage vivement les apiculteurs à être collectifs. Plutôt que plusieurs ruches pour un apiculteur, ils prônent une ruche pour plusieurs apiculteurs. Pour péréniser ses services, la coopérative propose des services de type « gestion de ruches pour les entreprises » mais refuse de s’en tenir là. Les entreprises clientes doivent s’engager à éduquer leurs salariés qui reçoivent une initiation à l’apiculture, aux pollinisateurs et au jardinage. C’est un win-win qui fonctionne bien et répond pleinement à la mission éducative de la coopérative. Ce sont donc des apiculteurs conscients de leur milieu et de ses limites qui œuvrent pour un enrichissement végétal et une ouverture des esprits aux problématiques impliquant les pollinisateurs en général.


Pour un autre exemple d’apiculture urbaine inclusive, dirigeons nous vers Le Plateau, un quartier alternatif de Montréal. Nous trouvons là une communauté idéaliste à but social appelée Santropol Roulant (https://santropolroulant.org/ fr/) qui illustre parfaitement le cercle vertueux de la production alimentaire incluant l’apiculture urbaine. Santropol Roulant c’est un idéal mais aussi une vraie success story qui réussit à fédérer un nombre impressionnant de jeunes bénévoles autour d’un projet intergénérationnel : proposer des plats cuisinés à des personnes âgées ou à mobilité réduite qui éprouvent des difficultés à se déplacer. Plusieurs ateliers s’organisent autour de cette mission :
• les uns produisent de la nourriture dans le jardin sur le toit ou dans une ferme péri-urbaine ;
• d’autres cuisinent des repas sains et équilibrés à partir des récoltes ;
• d’autres encore prennent en charge la popotte roulante et livrent plus d’une centaine de repas par jour à vélo ;
• un atelier vélo permet les réparations et l’entretien des bicyclettes de livraison mais aussi la formation à l’entretien de vélos et l’entraide démocratique des cyclistes du quartier ;
• un atelier apiculture permet d’ap prendre à s’occuper des abeilles pour produire du miel localement mais sur tout pour polliniser les cultures.

Il faut ajouter un lombricomposteur de belle taille, des cultures de champi gnons, un magasin qui vend des plats surgelés ou des conserves transformées sur place, sans oublier un service de paniers de légumes bio. Le tout forme la belle énergie d’un réseau de jeunes qui s’investissent pour une cause envi ronnementale et sociale. La recette du succès ? Sans doute un contexte porteur et des idées séduisantes. Enormément de jeunes bénévoles sont encouragés par la souplesse du système : chacun s’en gage à son échelle, selon ses possibilités et ses compétences. Même un peu de temps une fois par an est apprécié. Seul l’atelier apiculture demande un plus grand engagement. Il y a le sérieux et la longueur de la formation pour devenir apiculteur et la mission qui suit : s’occuper des ruches de la communauté, participer à des actions de sensibilisation ou de démystification, s’engager à parfaire sa pratique apicole urbaine. L’implication est hebdomadaire entre mars et octobre et devient mensuelle entre novembre et février. Le collectif gère moins de 10 ruches Langstroth réparties sur plu sieurs sites de production maraichère.


Chaque apiculteur formé peut également disposer de ses propres ruches. Même s’il n’élève qu’une seule colonie, il sera alors considéré comme un « propriétaire d’abeilles » par l’administration et devra être enregistré et payer des frais annuels (18,64 $ en 2019). Chaque ruche doit être en outre identifiée avec le nom de son propriétaire et un registre doit être tenu pour chaque ruche. En cas de manquement à ces obligations légales, l’administration canadienne est assez sévère avec des amendes allant de 250 $ à 2 450 $ pour une personne physique (de 1 225 $ à 12 150 $ en cas de récidive) et de 625 $ à 6 075 $ pour une personne morale (de 3 650 $ à 36 425 $ en cas de récidive).

L’organisation en réseau, que ce soit un réseau associatif ou un réseau d’individus, fait que l’apiculture bénéficie d’une excellente intégration. Les apiculteurs montréalais veillent à respecter les contraintes liées à leur activité, sont les premiers défenseurs de la biodiversité des pollinisateurs et s’engagent dans une mission éducative qui inclut la sensibilisation à l’environnement. Enfin, la dimension sociale est très pré sente à travers des projets bénéficiant à tous types de populations et des interventions dans les écoles et les quartiers pour sensibiliser le plus grand nombre. Notons que le formulaire « d’enregistrement obligatoire des propriétaires d’abeilles » considère la mention « api culture urbaine » comme une option à cocher dans les « types d’activités exercées autre que la production de miel ». Les valeurs intrinsèques de l’apiculture en ville sont bien prises en considération par l’administration canadienne.

Les ruchers montréalais sont vertueux, créatifs, taillés pour échanger, pour rendre des services et créer des petits bonheurs en ville. Ils témoignent du fait que l’apiculture urbaine peut jouer un rôle actif pour atteindre les objectifs de développement durable fixés par les Nations unies (https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/cities/).