L’apithèrapie en médecine vétérinaire

Victor HERMAN

Lors du congrès d’apiculture « BEECOME » organisé à Quimper en octobre dernier, l’apithérapie a fait partie des multiples sujets abordés sous la forme de conférences. Il en ressort un nouvel engouement pour cette thématique. Cet article creuse le sujet et s’intéresse plus particulièrement à l’apithérapie par l’utilisation de miel en médecine vétérinaire. Grâce à la contribution du Dr. Jean Philippe Demonty du cabinet « Vet-Solutions », l’information est complétée d’un point de vue pratique. Ce docteur en médecine vétérinaire utilise le miel depuis maintenant 10 ans pour soigner des plaies d’animaux.

Historique de l’utilisation du miel en médecine

L’utilisation médicinale du miel est ancestrale. On en retrouve des traces sur des tablettes mésopotamiennes, dans des textes égyptiens datant de plus de 2000 ans avant J-C7, à l’Antiquité et au Moyen-âge. Le miel figurait dans des préparations permettant de soigner des plaies, de traiter certaines maladies du tube digestif, rénales ou encore oculaires. D’un point de vue géographique, l’utilisation médicinale du miel s’est répandue sur une grande partie du globe au cours du temps. Au 20ème siècle, l’utilisation thérapeutique du miel s’est faite de plus en plus rare avec l’arrivée des antibiotiques et des antiseptiques. In fine, on constate une utilisation minime du miel en médecine contemporaine, principalement utilisé pour soigner des maux bénins (mal de gorge, toux,…). Un certain parallèle peut être établi entre l’historique de l’utilisation du miel en médecine humaine et en médecine vétérinaire. En effet, on peut supposer que nos ancêtres étaient capables de soigner des animaux avec du miel s’ils pouvaient le faire pour les humains. La définition de l’apithérapie (selon l’Association Francophone d’Apithérapie) comprend d’ailleurs les 2 secteurs. Selon l’Association, l’apithérapie est « le traitement préventif ou curatif des maladies humaines ou vétérinaires par les produits biologiques issus ou extraits du corps même de l’abeille, sécrétés par elle ou récoltés et transformés par elle ».

Un nouvel engouement pour l’utilisation du miel en médecine

Suite à l’augmentation de la résistance aux antibiotiques et à une diminution de leur efficacité, de plus en plus de médecins et de vétérinaires s’intéressent à nouveau à l’utilisation médicale du miel. Le Professeur Descottes, chef de service de chirurgie viscérale et de transplantations au CHU de Limoges en est un bon exemple. Il est à l’origine de l’Association Francophone d’Apithérapie, fondée en 2008. Ses travaux ont permis de démontrer l’efficacité thérapeutique du miel pour une large gamme de plaies. Le professeur Lechaud (chirurgien viscéral) et le professeur Philippe Garcia (vétérinaire praticien mixte à dominante canine et équine) témoignent également d’une utilisation de plus en plus courante du miel dans le domaine médical. Étant tous les deux présents au congrès de Quimper en tant que conférenciers, ils ont illustré la thématique par de nombreux cas concrets. Le Dr. Demonty est également coutumier de l’utilisation du miel et s’en sert pour soigner environ 50 % des plaies qu’il traite.

Les effets du miel sur les plaies

Dans un premier temps, le miel appliqué sur une plaie constitue une barrière physique face aux impuretés extérieures qui pourraient perturber le processus de cicatrisation. Ensuite, le miel a plusieurs actions : une action de parage naturel des plaies ainsi qu’une action antibactérienne, anti-inflammatoire et anti-œdémateuse. L’activité antibactérienne du miel s’explique à la fois par le dégagement de peroxyde d’hydrogène qui s’opère lorsque le miel est appliqué sur la plaie et la haute concentration en sucre du milieu qui empêche tout développement de bactéries. Cette haute concentration en sucre fait aussi du miel un milieu hypertonique, ce qui a pour conséquence d’empêcher le gonflement de la plaie et de diminuer l’œdème (par attraction de l’eau).

Les avantages pratiques de l’utilisation de miel en médecine vétérinaire

Il est déjà admis en médecine humaine que l’utilisation du miel procure de nombreux avantages indéniables. C’est également le cas en médecine vétérinaire.

1. De bons résultats de cicatrisation
Dans un premier temps, le miel présente les caractéristiques idéales pour permettre une bonne cicatrisation. Son pH de 5 est identique à celui de l’animal et son taux d’humidité de 17 % correspond à l’hydrométrie idéale pour permettre une bonne cicatrisation. Soigner une plaie avec du miel permet d’obtenir un tissu de granulation sain et in fine une cicatrisation homogène. D’après le Dr. Demonty, travailler avec du miel donne au moins d’aussi bons résultats qu’avec d’autres pommades cicatrisantes conventionnelles. Dans un second temps, le miel est aussi très intéressant pour certains animaux tels que les chevaux. Ces derniers ont une vitesse de cicatrisation relativement faible et sont souvent sujets aux chéloïdes. L’application de miel a l’avantage de prévenir la formation de ces bourgeonnement et de permettre une cicatrisation relativement rapide par rapport à d’autres procédés de cicatrisation. De plus, le miel permet d’éviter toute sorte de complications telles que des infections ou la création d’œdèmes. Enfin, le risque d’arracher la croute néoformée lors du changement de pansement est moindre si ce dernier a été réalisé avec du miel5. En effet, les pansements réalisés de la sorte n’adhèrent pas à la peau.

2. Une faible dépense économique
Pour un résultat de cicatrisation similaire, le coût d’un miel de qualité alimentaire serait 25 fois inférieur au coût d’un pansement hydrogel classique1. De tels remèdes peu couteux sont toujours intéressants, surtout lorsqu’il s’agit de venir en aide à la faune sauvage (ex. hérisson accidenté). Il est tout de même à noter que les produits à base de miel de qualité médicinale, ayant passé les différents tests bactériologiques, ont un prix comparable aux produits vétérinaires ordinaires. Cependant, d’après le Pr. Philippe Garcia, il n’est pas très pertinent d’utiliser du miel stérile pour un usage vétérinaire étant donné qu’aucun environnement stérile ne peut être garanti une fois le miel appliqué sur l’animal.

3. Le miel permet de réduire l’utilisation des antibiotiques

L’application de miel offre une alternative aux antibiotiques, ce qui est un gros avantage selon le Dr. Demonty. De plus, le miel peut être appliqué dans certains cas où les antibiotiques ne sont pas autorisés, sans délais entre l’application du produit et la consommation des produits dérivés. C’est un gros avantage dans les élevages bovins où l’application d’antibiotiques est une potentielle source de contamination des produits dérivés (lait, fromage, viande).

4. Un produit « à portée de main »

Soigner une plaie avec du miel ne nécessite que du miel, une fois que la plaie a été désinfectée. Le miel est un produit naturel, diversifié et accessible à tous. Il est donc simple de s’en procurer.

En pratique

Le miel peut soigner un large éventail de plaies, allant des plaies superficielles aux plaies les plus profondes et pour un large spectre d’animaux (chevaux, bovins, petits ruminants, petits animaux). Le Dr. Demonty confirme que certaines plaies profondes ayant atteint le tissu sous-cutané et le muscle peuvent être soignées avec du miel. Le miel est particulièrement intéressant pour soigner les plaies présentes au niveau des membres ou d’une articulation et les plaies ne pouvant pas être suturées (où il est impossible de recoudre, tellement les extrémités de la plaie sont distantes). Il peut aussi être utilisé pour soigner des brûlures.

De manière générale, le miel est appliqué sur la plaie de l’animal à l’aide d’un pansement constitué de compresses imbibées de miel. Il faut veiller à appliquer une quantité suffisante de miel afin que la compresse ne colle pas à la plaie lors de son retrait. Lorsque la plaie est juste superficielle, le Dr. Demonty affirme que le bandage n’est pas spécialement nécessaire et que le miel peut être directement appliqué sans compresse. Certains vétérinaires utilisent une seringue pour appliquer le miel, ce qui nécessite donc du miel liquide1. Dans ce cas, il faut veiller à ce qu’il reste suffisamment de miel sur la plaie après l’application, étant donné qu’il coule rapidement.

Un type de miel à privilégier ?

Tous les miels ont des propriétés antibactériennes et cicatrisantes, peu importe l’origine florale ou la texture du miel (cristallisé ou liquide). Cependant, le Dr. Demonty préfère appliquer un miel qui n’est pas trop liquide mais qui reste malléable. Dans l’idéal, il faut aussi privilégier l’absence de gros cristaux, ces derniers pouvant être une source de douleur lors de l’application du miel sur la plaie de l’animal. D’après cette description du miel « idéal » pour une application vétérinaire, un miel crémeux semblerait être adéquat.

Peu importe le miel sélectionné, il est toujours fondamental de choisir un miel de qualité (non frelaté) et non chauffé à plus de 37°C. En effet, un miel frelaté ne procure pas toutes les propriétés médicinales intrinsèques du miel et un miel chauffé à plus de 37°C ne contient plus de « glucose-oxydase ». Or, cette enzyme est primordiale pour la cicatrisation de la plaie5. Le rôle de l’apiculteur pour produire des produits de qualité est donc fondamental.

Le miel comme remède médical, est-ce fiable ?

Le Dr. Demonty a déjà pu constater au fil de sa pratique que l’utilisation du miel à des fins médicales peut faire quelques sceptiques. Il faut selon lui rassurer sur les bienfaits et l’efficacité du miel pour soigner les plaies. Il est compréhensible que l’utilisation de produits non transformés tels que le miel puisse générer une certaine méfiance lorsqu’il est utilisé à des fins médicinales. Cependant, il faut garder à l’esprit que la majorité des médicaments ne sont rien d’autre que des dérivés de produits naturels bruts (plantes, herbes). Ce ne sont en réalité que le résultat de l’isolement et de la synthèse chimique des molécules actives intéressantes et présentes dans les composés bruts. L’application de miel est plus directe et ne nécessite pas cette phase d’extraction et de synthèse. L’historique thérapeutique du miel est aussi un bon argument pour rassurer sur la pertinence de son utilisation thérapeutique. Malgré certaines réticences, l’utilisation médicale du miel fait de plus en plus d’adeptes.

Les perspectives de l’utilisation du miel en médecine vétérinaire

Actuellement en médecine vétérinaire, le miel est principalement utilisé pour soigner les plaies des gros animaux. Il serait intéressant, selon Dr. Demonty, d’étendre son domaine d’application aux petits animaux. D’autres produits de la ruche tels que le pollen ou la propolis pourraient aussi être sollicités en médecine vétérinaire. Cependant, cela nécessite de la recherche sur la thématique...

Remerciements
Un tout grand merci au Dr. Jean Philippe Demonty qui a consacré du temps pour un entretien sur le sujet.

Pour plus d’informations : site de l’association francophone d’apithérapie : https://www.apitherapiefrancophone.com/

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