La communication plantes-abeilles modifiée par la pollution à l’ozone

L’ozone troposphérique, gaz à effet de serre également nocif pour la santé humaine, modifie la communication plantes-insectes en dégradant les parfums floraux et les capacités olfactives des abeilles

Lorsque l’on parle d’ozone, on pense tout d’abord à la « couche d’ozone » qui nous protège des UV nocifs du rayonnement solaire. Mais cet élément gazeux est également présent dans la strate la plus basse de l’atmosphère et les pics d’ozone enregistrés chaque année, notamment en période estivale, sont responsables de nombreux problèmes pour la santé humaine et pour les écosystèmes. De récentes études montrent que ce polluant atmosphérique, acteur du changement climatique par son action de gaz à effet de serre, peut également altérer la communication chimique entre insectes pollinisateurs et plantes à fleurs. Il en résulte une modification de la capacité des insectes à identifier leurs ressources florales et une réduction de leur efficacité pollinisatrice avec des répercutions sur la durabilité de modes de production alimentaire.

Pollution à l’ozone, de quoi parle-t-on ?

L’ozone est un produit chimique gazeux composé de trois atomes d’oxygène (O3). On le trouve naturellement dans différentes couches de l’atmosphère [1] :

  • la stratosphère, située entre 15 et 50 km au-dessus du niveau de la mer
  • la troposphère, la couche au niveau du sol située entre 0 et 15 km au-dessus du niveau de la mer

L’ozone stratosphérique, dit le « bon ozone », compose ce que l’on appelle communément « la couche d’ozone » qui joue le rôle de filtre naturel et protège les organismes vivants des Ultra-Violets nocifs du rayonnement solaire.

L’ozone troposphérique, parfois appelé « mauvais ozone » est un polluant super-oxydant, très nocif pour les êtres vivants et les écosystèmes [2]. Il est également le 3ème plus important gaz à effet de serre (après la vapeur d’eau et le dioxyde de carbone) et contribue largement au réchauffement climatique.

Sous l’effet des UV du rayonnement solaire, l’ozone troposphérique est formé par une succession de réactions photochimiques complexes impliquant des précurseurs dits primaires, tels que les oxydes d’azote (NOx : NO + NO2), le méthane (CH4), le monoxyde de carbone (CO) et les composés organiques volatils (COV) (Fig.1) [3].
Dans le cas de l’ozone, on parle de polluant secondaire car sa production découle de la réaction dans l’atmosphère entre des précurseurs primaires sous l’effet des UV, et non pas d’une émission directe comme c’est le cas par exemple pour le dioxyde de carbone (CO2).

Bien qu’une partie de ces précurseurs primaires puissent être d’origine naturelle (ex. production de COV naturels comme les terpènes émis par les forêts de pins), leur source est principalement d’origine anthropique. Ils proviennent essentiellement de la combustion d’énergies fossiles pour les transports, des centrales thermiques, des activités industrielles, de nombreux solvants, de l’agriculture (Fig.1). Ainsi, la quantité d’ozone troposphérique est étroitement liée aux activités humaines dont l’intensification conduit à la production de grandes quantités supplémentaires d’ozone1.

Ozone - <p>Fig.1 : Répartition et formation de l'ozone dans les différentes couches de l'atmosphère</p>
Ozone
Fig.1 : Répartition et formation de l’ozone dans les différentes couches de l’atmosphère

Depuis la révolution industrielle, les concentrations moyennes d’ozone troposphérique ont quasiment triplé, passant de 10 - 15 parties par milliard (ppb) à 30 - 40ppb. Dans l’hémisphère nord, particulièrement touché par ce phénomène, les concentrations ont été multipliées par 5 depuis 1870 [4]. Les taux d’ozone varient fortement dans l’espace et dans le temps, avec des pics en période estivale lorsque l’ensoleillement est maximal.

Si rien n’est fait pour limiter le niveau d’émission de ses précurseurs anthropiques, en considérant l’augmentation estimée de la population mondiale (9,2 milliards en 2050) et des activités humaines qui y seront associées, les taux moyens d’ozone dans la troposphère pourraient encore doubler d’ici 2100 et atteindre les 75 ppb dans la grande majorité de l’Europe.

A forte concentration, l’ozone troposphérique induit une réduction de la photosynthèse et de la croissance des plantes, une perte prématurée des feuilles, des modifications dans la phénologie des plantes et les périodes de floraison, une diminution du nombre de fleurs et de la quantité de graines et fruits produits [5]. Ces modifications peuvent directement impacter les relations plantes-pollinisateurs en diminuant la quantité et la qualité des ressources alimentaires disponibles pour ces insectes. L’augmentation de l’ozone troposphérique peut également altérer la communication entre plantes et pollinisateurs en modifiant les signaux floraux envoyés par les plantes pour attirer les pollinisateurs, ou encore en endommageant le système olfactif des insectes comme cela a été observé chez les abeilles (Fig.2).

Le rôle des odeurs dans la communication plantes-pollinisateurs

De nombreuses plantes produisent des fleurs qui attirent les pollinisateurs afin de les faire entrer en contact avec leurs structures reproductrices (étamines, pistil) et favoriser leur reproduction. Pour cela, les plantes à fleurs ont développé de nombreux signaux permettant aux insectes pollinisateurs de les localiser dans l’environnement et de les identifier comme une ressource dont ils ont besoin (nectar, pollen, huile). Ces signaux peuvent être visuels (tels que la forme, la taille, la couleur de la fleur) ou olfactifs (parfums floraux) [6].

Les parfums floraux sont composés d’une grande diversité de composés organiques volatiles (jusqu’à plusieurs centaines par parfum) produits par les différentes structures de la fleur (pétale, nectar…). Seuls ou en synergie avec des signaux visuels, les parfums floraux augmentent l’attractivité des fleurs. Ils permettent aux insectes d’avoir des informations sur la localisation mais aussi sur l’identité et la qualité des récompenses florales (notamment le nectar) présentes dans leur environnement.

Cette identification est possible grâce au niveau de spécificité de chaque parfum floral, déterminé par la diversité et les quantités relatives des différents composés volatiles qu’il contient.
Les insectes détectent ces composés volatiles grâce à des récepteurs spécifiques situés à la surface de cellules présentes sur les antennes (ou sur les pièces buccales chez certaines espèces). Les composés sont captés par les récepteurs qui transmettent l’information au système nerveux central de l’insecte, où l’information sera traitée. Il en résulte un signal neuronal de réponse permettant à l’insecte d’adapter son comportement en conséquence [7].

La capacité des insectes pollinisateurs à apprendre et mémoriser des signaux olfactifs à long terme a fortement joué dans l’évolution des interactions plantes-pollinisateurs. Les parfums floraux sont un des moyens de communication les plus performants entre ces groupes d’espèces. Bien que les signaux visuels soient importants, il a été montré que les abeilles apprennent plus rapidement à associer une récompense florale (pollen, nectar, huile) à une odeur florale qu’à un signal visuel [8].

Comment l’ozone altère la communication entre plantes et abeilles

Des études montrent que l’augmentation des concentrations d’ozone troposphérique peut fortement modifier les parfums floraux produit par les plantes. Des niveaux modérés de pollution atmosphérique à l’ozone suffisent à dégrader la composition des composés volatiles constituant les parfums floraux, mais aussi la concentration à laquelle ces composés sont produits par les fleurs et donc diminue la distance à laquelle ils peuvent être perçus par les pollinisateurs [9].
Ces modifications altèrent drastiquement la qualité des parfums floraux et entrainent une baisse d’attractivité des fleurs qui les émettent pour les pollinisateurs (Fig.2). Ayant plus de difficulté à percevoir et identifier ces messages olfactifs erronés, les pollinisateurs voient leur temps de butinage augmenter et leur taux de visite (nombre de fleurs visitées par unité de temps) diminuer8. Il vont allouer plus d’énergie à la rechercher de fleurs dans leur environnement, énergie qui n’est alors plus utilisée à d’autres taches, comme l’entretien du nid ou la production d’une descendance. Ce déséquilibre du rapport coût/bénéfice dans la recherche de récompenses florales pourrait avoir des conséquences sur la santé et la survie des pollinisateurs [10].


Une augmentation de la concentration d’ozone peut également affecter directement les pollinisateurs, en impactant une partie des récepteurs antennaires responsables de capter et identifier les parfums floraux. C’est ce qui a été montré en laboratoire sur des bourdons et des abeilles mellifères [11]. Une exposition à de fortes concentrations d’ozone endommage le fonctionnement des récepteurs olfactifs des antennaires (Fig.2). Il est alors impossible pour les abeilles de détecter et d’identifier correctement certains composés volatiles floraux et le traitement de l’information est perturbé. La perception globale du mélange d’odeurs et l’interprétation du message florale étant modifiées ou impossible, il en résulte un changement dans le comportement de butinage des abeilles [12].

Au-delà des effets directs et indirects sur la communication plantes-abeilles, ces résultats suggèrent de potentiels effets en cascade sur l’efficacité pollinisatrice des pollinisateurs et par conséquences sur la reproduction des plantes et les production agricoles.
L’étude des polluants atmosphériques d’origine anthropique et de leurs effets sur la signalisation chimique entre plantes et insectes est encore à son commencement et beaucoup de travail reste à faire quant à la compréhension des mécanismes et processus sous-jacents.

Références :

1. Mills, G., Wagg, S. & Harmens, H. Ozone Pollution : Impacts on ecosystem services and biodiversity. 106 (2013).

2. Lefohn, A. S. et al. Tropospheric ozone assessment report : Global ozone metrics for climate change, human health, and crop/ecosystem research. Elementa (Wash D C) 1, 1 (2018).

3. Ba, M. & Elichegaray, C. Ozone pollution : rising concentrations despite French and EU efforts. 4 (2003).

4. Rollin, O. et al. Effects of ozone air pollution on crop pollinators and pollination. (in press).

5. Wright, G. A.& Schiestl, F. P. The evolution of floral scent : the influence of olfactory learning by insect pollinators on the honest signalling of floral rewards. Functional Ecology 23, 841–851 (2009).

6. Chittka, L. & Raine, N. E. Recognition of flowers by pollinators. Current Opinion in Plant Biology 9, 428–435 (2006).

7. Junker, R. R., Höcherl, N. & Blüthgen, N. Responses to olfactory signals reflect network structure of flower-visitor interactions. Journal of Animal Ecology 79, 818–823 (2010).

8. Fuentes, J. D., Chamecki, M., Roulston, T., Chen, B. & Pratt, K. R. Air pollutants degrade floral scents and increase insect foraging times. Atmospheric Environment 141, 361–374 (2016).

9. Farré‐Armengol, G. et al. Ozone degrades floral scent and reduces pollinator attraction to flowers. New Phytologist 209, 152–160 (2016).

10. Saunier, A. & Blande, J. D. The effect of elevated ozone on floral chemistry of Brassicaceae species. Environmental Pollution 255, 113257 (2019).

11. Dötterl, S., Vater, M., Rupp, T. & Held, A. Ozone Differentially Affects Perception of Plant Volatiles in Western Honey Bees. J Chem Ecol 42, 486–489 (2016).

12. Vanderplanck, M. et al. Ozone Pollution Alters Olfaction and Behavior of Pollinators. Antioxidants 10, 636 (2021).