La pression des importations

Etienne BRUNEAU

L’ Union européenne est un poids lourd sur le marché international du miel et pourtant en tant qu’apiculteur on suit généralement de très loin tous ces échanges qui ne semblent pas nous concerner, du moins directement. Il est pourtant important d’y voir un peu plus clair afin de pouvoir agir de façon plus pertinente pour mieux défendre l’image de notre miel et son prix de vente. Voici une analyse de la situation enregistrée à la fin de l’année 2020 (dernières statistiques disponibles).

Les pays exportateurs

La Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie sont dans ce cas, car leur production de miel dépasse de loin leur capacité de consommation. Les apiculteurs sont donc amenés à revendre leur miel sur le marché international, principalement européen. C’est ce que nous appellerons ici les pays exportateurs (fig. 1). De façon assez récente on constate cependant une légère augmentation des importations en Roumanie ; cela correspond à l’arrivée sur le marché de miels moins chers que les miels indigènes. Les apiculteurs entrent en concurrence directe, sur leur propre terrain, avec ces miels bas de gamme, ce qui génère des baisses de prix et de rentabilité. Ils sont ainsi concurrencés tant sur leur marché intérieur qu’extérieur.

Fig. 1 Exportations et importations de Hongrie, Roumanie et Bulgarie
Fig. 1 Exportations et importations de Hongrie, Roumanie et Bulgarie

Chacun le sait, l’Union européenne est en quelque sorte un patchwork de pays fondamentalement différents tant par leur surface, leur densité de population, leur environnement que par leur culture. En matière d’apiculture, de grosses différences se marquent également et chaque pays va agir différemment en fonction de ses capacités de production, de la densité de ses apiculteurs et de l’importance de la consommation. Vu que l’Union doit importer plus de 40 % de sa consommation, il est logique de trouver relativement peu de pays qui soient totalement auto-suffisants ou même qui exportent en grande quantité leur production.

Les pays importateurs

La grande majorité des pays, à savoir l’Autriche, la Croatie, Chypre, le Danemark, l’Estonie, la Lettonie, la Finlande, la France, le Grand-Duché de Luxembourg, la Grèce, l’Italie, l’Irlande, Malte, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède sont des producteurs de miel et peuvent exporter une quantité limitée de leur production. Mais ils importent beaucoup plus que ce qu’ils n’exportent et ces importations ont tendance à augmenter au fil des ans (fig. 2). Si on cumule les données des plus importants d’entre eux ( fig. 3), on constate que l’augmentation des importations représente près d’un tiers des volumes importés en dix ans (78.884 t. à 115.065 t.). Par contre les exportations sont restées très stables (moyenne sur dix ans de 23.758 t.). On constate sur base des données fournies par FAOSTAT, que la production n’évolue que très lentement. (Le gros problème est que ces données de la FAO ne sont pas toujours disponibles et que leur fiabilité laisse à désirer).

Fig. 2 Importations et exportations de France, Italie et Grèce
Fig. 2 Importations et exportations de France, Italie et Grèce

Fig. 3 Productions, exportations, importations d' Autriche, Croatie, Danemark, Finlande, France, Grèce, Italie, Slovaquie, Slovènie et Suède
Fig. 3 Productions, exportations, importations d’ Autriche, Croatie, Danemark, Finlande, France, Grèce, Italie, Slovaquie, Slovènie et Suède

L’ Espagne un cas particulier

L’apiculture espagnole se différencie des autres apicultures européennes à plus d’un titre. Au niveau des marchés, ce pays produit, importe et exporte des quantités de miels similaires (fig. 4). Cela vient probablement du fait que les consommateurs espagnols préfèrent les miels clairs peu produits dans ce pays et que la vente directe au consommateur est très limitée vu la grande proportion d’apiculteurs professionnels transhumants. Tout le commerce se fait en fûts et avec plusieurs intermédiaires, il est difficile de connaître la proportion de miels espagnols dans les miels exportés vers d’autres pays européens. Nous n’avons pas de données sur les miels qui transitent par ce pays ce qui peut fausser grandement les statistiques.

Fig. 4 Marché en Espagne
Fig. 4 Marché en Espagne

Les pays de transit

L’ Allemagne est le poids lourd du marché du miel par le fait qu’il est n°1 tant pour les importations que pour les exportations de miels. Sur le plan apicole, il compte le plus grand nombre d’apiculteurs commercialisant pratiquement tout leur miel en vente directe ou en circuit court. Ceux-ci ne parviennent pas à satisfaire la demande et dès lors le pays compense ce manque par des importations (fig. 5a). Seulement, contrairement aux autres pays importateurs, l’Allemagne réexporte de grandes quantités de miels qui dans ce cas ne viennent pas du pays mais bien d’autres pays européens et non européen. Comme c’est le plus gros opérateur sur le marché, c’est lui qui fixe les prix.

Fig. 5a Marché en Allemagne
Fig. 5a Marché en Allemagne

Fig. 5b Marché en Belgique
Fig. 5b Marché en Belgique

Fig. 5b Marché en Pologne
Fig. 5b Marché en Pologne

Fig. 5b Marché au Portugal
Fig. 5b Marché au Portugal

Le commerce du miel est un business qui a bien été développé chez nous en Belgique aussi et cela depuis des années même si nous avons vu ces dernières années une grosse augmentation du transit du miel par notre pays (fig. 5b). La Belgique travaille presque exclusivement avec des miels provenant de pays hors Union. Les miels chinois et ukrainiens sont leaders.
En Pologne ce commerce des miels importés est plus récent et se base principalement sur l’importation de miels ukrainiens et dans une moindre mesure de miels chinois qu’ils vont revendre sur le marché européen (fig. 5c). On parle ici de miels bas de gamme.
Enfin, le Portugal est le petit dernier à pratiquer ce commerce de l’import export à grande échelle (fig. 5d). Les miels importés sont principalement des miels chinois de faible valeur qu’ils revendent en Espagne.
Ces transits pratiquement opaques de miels non européens de moindre qualité (le plus grand nombre ne répondant pas à ce qu’on appelle officiellement un miel) et au sein de l’Union sont une des principales causes de la chute des prix sur le marché du miel. C’est ce qui pousse les apiculteurs avec raison à demander que l’étiquetage d’origine des miels devienne une réalité.

Les miels le plus importés

Il est intéressant d’analyser les pays d’origine des deux miels les plus importés, à savoir la Chine et l’Ukraine. Ces deux pays sont très différents ne fut-ce que par leur taille. La Chine est le premier producteur mondial de miel et n’exporte en moyenne qu’un quart de sa production globale (fig.6a).

Fig. 6a Marché en Chine
Fig. 6a Marché en Chine

Ses importations sont marginales et ne concernent que des miels très haut de gamme.
L’ Ukraine quant à elle n’exportait, il y a dix ans, que quinze pour cent de sa production. Depuis ses exportations n’ont pas cessé d’augmenter pour dépasser aujourd’hui l’ensemble de la production du pays, ce qui semble incroyable et est totalement impossible. Cela met clairement en évidence un problème fondamental lié à la fraude de quelque nature qu’elle soit.

Fig. 6b Marché en Ukraine
Fig. 6b Marché en Ukraine

L’analyse des prix et des volumes échangés avec certains pays européens nous permet de mieux cerner la réalité (fig. 8a et 8b). On constate que 2015 est une année charnière car les prix jusqu’à cette année progressent côté Chine et le commerce se développe côté Ukraine. Il faut savoir que l’Ukraine bénéficie d’un quota sans taxe qui est épuisé en un ou deux jours. Dès 2016, on observe une chute vertigineuse des prix du miel ukrainien (± 20 %) avec une hausse de plus de 50 % de ses exportations au détriment de la Chine qui, pour récupérer son marché, a du réduire ses prix. Depuis les deux pays sont en compétition et bradent littéralement leurs miels ou, tout permet de suspecter, proposent des produits de qualité de plus en plus faible. Aujourd’hui, les miels ukrainiens sont moins chers que les miels chinois et ce sont ces miels qui entrent directement sur le marché européen en compétition directe avec ses pays voisins.

Fig. 7a Importations de miels chinois (quantités) - Fig. 7b Importations de miels chinois (prix par kg)
Fig. 7a Importations de miels chinois (quantités) - Fig. 7b Importations de miels chinois (prix par kg)

Fig. 8a Importations de miels ukrainiens (quantités) - Fig. 8b Importations de miels uktainiens (prix par kg)
Fig. 8a Importations de miels ukrainiens (quantités) - Fig. 8b Importations de miels uktainiens (prix par kg)

Et pour le futur

Cette situation alarmante va-t-elle se pérenniser ? On peut se le demander car du côté de la détection des fraudes, même si les techniques sont de plus en plus performantes, les fraudeurs peuvent adapter leurs produits et proposer aux acheteurs des « miels » qui passent des contrôles même sophistiqués comme la RMN (résonance magnétique nucléaire). Les prix proposés augmentent cependant en fonction du type de contrôle avec lesquels ils ne sont pas arrêtés.
Côté USA, le pays va très probablement mettre en place des mesures anti-dumping sur leurs principaux pays d’importation (Inde, Vietnam, Brésil, Argentine, Ukraine). Ces mesures pourraient être effectives à partir de la fin septembre, ce qui va avoir un effet certain sur les prix au niveau du marché mondial. Des miels bas de gamme venant du Vietnam pourraient ainsi arriver sur le marché européen à des prix de l’ordre de 1,2 €, provoquant de ce fait une nouvelle dégradation du marché.

Dans un tel contexte, il est urgent que des mesures strictes soient prises pour améliorer la traçabilité des miels et leur étiquetage, pour enrayer l’apport de miels ne correspondant pas à la définition officielle du produit, pour informer les consommateurs du prix réel des miels. Il en va de l’avenir de ce noble produit et de toutes les personnes qui en tirent un revenu devant assurément rester équitable.

Données : trademap.org et FAOSTAT