FICHE pédagogique : La thermorégulation active chez l’abeille mellifère

Agnès Fayet

Comme la plupart des insectes sociaux, les abeilles mellifères ont la capacité de réguler la température à l’intérieur du nid.

Il existe deux catégories de mécanismes pour ce faire. Une régulation passive implique par exemple la sélection du site de nidification pour optimiser la température interne du nid ou la translocation du couvain vers les zones du nid les plus favorables. Une régulation active fait référence à une modification physiologique ou comportementale des individus de la colonie pour modifier et contrôler la température du nid. Bien entendu, l’efficacité est imputable à l’association des deux mécanismes.

Il y a bien longtemps que les chercheurs et les apiculteurs-observateurs ont parfaitement compris l’importance de la thermorégulation dans la colonie. Le couvain est maintenu à une température de 34,5° ± 0,3 °C alors que les parties sans couvain oscillent entre 24 et 34°C. La question du maintien de la température idéale se pose en hiver mais aussi en été dans la colonie. De la régulation précise de la température du nid à couvain dépend le bon développement des larves. C’est donc un point clef dans la stratégie de protection de la colonie.

Endothermie à la demande

Pour bien comprendre le contexte, il faut rappeler que les insectes sont par nature des animaux ectothermes, c’est-à-dire des organismes dont la température corporelle est la même que celle du milieu extérieur dans lequel ils vivent. Au contraire, les organismes vivants endothermes produisent de l’énergie thermique grâce à leur métabolisme interne afin de contrôler leur température corporelle. Dans une colonie d’abeilles, on trouve le concept d’ « endothermie à la demande ». Les ouvrières peuvent selon les besoins produire de la chaleur avec les muscles thoraciques. C’est un processus actif très énergivore. La production de chaleur endothermique est généralement le travail des abeilles âgées de plus de deux jours. Les jeunes abeilles ne sont pas encore capables d’activer correctement leurs muscles allaires à la fois pour le vol et la production de chaleur endothermique. Les abeilles endothermes sont plus nombreuses sur le couvain que dans les zones sans couvain, surtout en cas de températures froides à l’extérieur. Elles régulent la température du couvain en produisant de la chaleur au plus près du nid, en chauffant par exemple les cellules de l’intérieur. Cependant, il y a toujours un bon nombre d’abeilles endothermes à l’extérieur du couvain. Ces abeilles contribuent indirectement à l’homéostasie thermique du couvain.

Les butineuses sont toujours endothermes lors de leurs retours à la colonie. Elles contribuent ainsi simplement à la réduction des gradients de température à l’intérieur de la colonie, même si elles restent de préférence dans les zones périphériques, près de l’entrée pendant la journée. Un nombre élevé de butineuses pendant la nuit fournit par ailleurs une masse de chaleur au repos qui contribue à l’isolation de la colonie. La production de chaleur active a pour effet de fortement renforcer la production de chaleur passive provenant des nombreuses abeilles ectothermes et du couvain. L’homéostasie thermique des colonies d’abeilles est donc obtenue par une combinaison de processus actifs et passifs.


Thermorégulation de la grappe hivernale

Dans la grappe hivernale, la régulation endothermique se produit régulièrement. Il est important de savoir que, si le thorax de l’ouvrière dans la grappe se refroidit en dessous de la température de 9 - 11°C, les abeilles ne sont plus capables d’activer leurs muscles de vol pour produire de la chaleur. Elles finissent par tomber hors de la grappe. En toute logique, pour répondre à des considérations d’efficacité, les abeilles de surface évitent l’endothermie. Leur métabolisme est au contraire fortement ralenti et elles ne produisent pas de chaleur. Toute chaleur provenant des abeilles de surface est vouée à se perdre dans l’air ambiant. L’endothermie se produit donc rarement chez les abeilles externes. Une endothermie intense des abeilles de surface est le signe que la grappe hivernale se retrouve en état d’urgence. L’endothermie se remarque essentiellement et massivement à l’intérieur de la grappe. C’est une manière d’optimiser l’investissement énergétique que cela demande. Les abeilles au centre de la grappe « décident » d’être endothermes ou ectothermes en fonction de leur perception des besoins thermiques des abeilles de surface. Pour réchauffer la grappe, les abeilles du centre ont besoin de chaleur et le cœur de grappe peut atteindre les 30°C. Naturellement, ce mécanisme dépend de nombreux facteurs pour parfaitement fonctionner : taille de la grappe (plus elle est grosse, plus le mécanisme fonctionne), alimentation (carburant pour les abeilles endothermes), conditions de calme (pas d’éléments perturbateurs), bonne ventilation (pour répondre aux besoins en oxygène), bonne évacuation de l’humidité dans la ruche et protection maximum en préparation à l’hivernage contre les parasites qui peuvent altérer la thermorégulation des abeilles.

Thermorégulation en période estivale

Si en été la température de la colonie dépasse les niveaux de tolérance, les abeilles quittent la zone de couvain, se dispersent à travers les rayons et finissent par quitter la ruche. C’est alors que l’on peut observer les ouvrières qui ventilent à l’entrée de la colonie. En parallèle, les butineuses récupèrent de l’eau pour une évaporation dans la ruche. Le couvain a une humidité relative de 30 à 50 %, généralement assurée par la simple évaporation du nectar stocké. Pour éviter la surchauffe, les abeilles transfèrent des gouttelettes de liquide clair sur les parois supérieures des cellules du couvain. Elles utilisent du nectar et/ou de l’eau. Les ouvrières contrôlent l’évaporation des goutelettes et gèrent assez subtilement le refroidissement du nid par la taille des gouttelettes, le nombre de gouttelettes qu’elles laissent évaporer, l’absorption des gouttelettes surnuméraires ou encore le geste de maintenir une gouttelette entre la langue et la tête tout en pliant et en dépliant à plusieurs reprises la langue. Un système de rafraîchissement extrêmement subtil ! L’isolation de la colonie a un rôle positif en été. Le maintien de la température idéale dans la colonie est coûteuse en énergie.

La thermorégulation de l’essaim

La thermorégulation est également nécessaire à l’essaim en attente du site de nidification. Cela peut prendre un certain temps, durée pendant laquelle la survie de la future colonie est assurée par le groupe d’ouvrières parti avec la reine. La thermorégulation est assurée par la position des abeilles, l’établissement de canaux de ventilation, l’évacuation ou le maintien de la chaleur et des zones de métabolisme actif (abeilles endothermes) ou passif (abeilles ectothermes). Les ouvrières à l’extérieur de l’essaim sont les abeilles les plus âgées qui ont moins de problème avec la gestion des températures plus basses et qui ont également une plus grande capacité de thermorégulation. Elles frissonnent et régulent ainsi leur propre température et joue le rôle de « manteau » de l’essaim. Elles agissent également sur la température de l’essaim avec un second levier elles se blottissent les unes contre les autres et assurent une poussée vers l’intérieur de l’essaim lorsque la température baisse. Cela affecte la taille de l’essaim, sa porosité et cela ferme les courants d’air internes qui permettent d’aérer le cœur de l’essaim aux heures les plus chaudes. Ce phénomène de rétractation fait fortement penser à la rétractation de la grappe hivernale.


La plasticité dont fait preuve l’essaim pour gérer sa thermorégulation permet à la colonie de réagir rapidement et de faire face à une gamme de conditions météorologiques à un moment critique dans son cycle de développement. De cette capacité adaptative extraordinaire dépend l’avenir de la colonie en recherche d’un site de nidification.

Une bonne régulation thermique dans la colonie a un impact sur sa survie, nous l’avons vu, mais peut également affecter la structure globale de la division du travail dans la colonie ainsi que la régulation sociale dans son ensemble. Un retard dans le développement comportemental de la prochaine génération d’ouvrières peut résulter d’une mauvaise thermorégulation.
Agnès FAYET

Références :

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