Résilience face au climat

Etienne BRUNEAU

Les événements climatiques sont de plus en plus fréquents et ont de nombreux impacts
sur notre apiculture. La résilience des abeilles est à l’ordre du jour. Comment peut-on améliorer leur capacité de survie face aux événements extrêmes liés au climat ? Faut-il changer nos pratiques apicoles, adapter notre matériel, revoir notre sélection ? Voyons simplement ici quelques pistes de réflexion qui devraient nous éclairer pour le futur.

Une récente enquête menée dans le sud de la France et au nord de l’Italie reflète bien les constats qui ont pu être fait par les apiculteurs au cours de ces dix dernières années suite à l’évolution du climat [1].
• Cela touche les récoltes : réduction des productions de nectar, de pollen, de miellat allant jusqu’à l’absence de certaines miellées, réduction de la production de miel de châtaignier avec un éclaircissement et un adoucissement de ce miel dans les régions où il est habituellement sombre et très amère.
• Les sources mellifère sont touchées : gelée printanières tardives détruisant toute possibilité de récolter le robinier faux-acacia, augmentation en certains endroits de la production de metcalfa, délocalisation des zones de production du miellat de sapin.
Les abeilles visitent de nouvelles fleurs plus abondantes que par le passé. L’heure et la durée de visite de certaines fleurs peuvent évoluer. Certaines plantes ne donnent plus que du pollen. Tout cela a naturellement un impact direct sur la production de miel et de pollen.
• Les cycles biologiques des abeilles et des agents pathogènes sont également affectés : réduction des réserves dans les ruches avant l’hivernage compromettant un hivernage correct, la disponibilité de l’eau peut affecter la force des colonies. Les hivers plus doux permettent le maintien du couvain durant toute la saison ce qui complique fortement la lutte contre la varroase et permet au parasite de se multiplier davantage. Le développement de nosema ceranae profite de ce réchauffement climatique. On peut également observer des problèmes de mauvaise fécondation des reines, de réduction du nombre de mâles produits et des essaimages. Tout cela peut générer des pertes plus importantes de colonies.
• La conduite apicole en est également modifiée. Pour faire face au manque de ressources alimentaires, de nombreux apiculteurs partent en transhumance avec leurs ruches. Ils sont amenés à nourrir davantage les colonies non seulement pour l’hivernage mais également en saison. L’impact de varroas dans les ruches se fait de plus en plus sentir et un blocage de la ponte suivi de traitements est devenu un passage obligé en été. Face aux problèmes de fertilité des reines, les renouvellements sont plus fréquents et nécessitent la constitution d’un nombre plus important de nuclei. Les réserves de miel laissées dans les ruches doivent être plus importantes que par le passé.

Par ailleurs, les données sur les besoins réels des abeilles et sur leur capacité naturelle d’adaptation restent rares. Une étude menée en Grèce [2] apporte des données sur l’impact de la température sur le comportement des abeilles. L’activité de recherche de nourriture la plus intense a lieu dans la plage de température de 12 - 25 °C, alors qu’il n’y a aucune activité à moins de 7 °C et à plus de 43 °C. Les abeilles apportent une attention soutenue aux conditions thermiques et d’humidité dans le couvain (33 - 36°C pour la t°). La surchauffe en été constitue un défi majeur pour la régulation de la température du nid à couvain. Les abeilles ont tendance à commencer à refroidir les nids lorsque les températures ambiantes dépassent 25°C. Le refroidissement par évaporation d’eau est d’une importance capitale lorsque les températures sont de plus de 35 °C et est remarquablement efficace même lorsque les températures ambiantes sont supérieures à 60 °C. La thermorégulation étant énergétiquement très exigeante, le couvain est principalement élevé pendant les périodes où le besoin de régulation est faible ou nul. Ceci peut expliquer pourquoi des températures élevées prolongées supérieures à 40 - 45 °C entraînent des pertes importantes de colonies.

Les abeilles disposent de nombreux mécanismes pour faire face à des phénomènes extrêmes, encore faut-il éviter de mettre les colonies dans des situations qui ne leur permettent pas de réagir efficacement (ex. absence d’eau à proximité, mauvaise isolation des ruches…). Mais côté sélection, peut-on apporter une certaine résilience ? Que peut-on mettre en place aujourd’hui ?


De nombreux auteurs acceptent l’idée qu’il faut avoir une biodiversité génétique assez large pour s’assurer que les caractères permettant de lutter contre les extrêmes climatiques soient suffisamment présents dans la population d’abeilles. Une analyse globale menée dans le cadre de la tolérance vis-à-vis de la varroase [3] nous donne certaines pistes d’actions à prendre en compte dans le cadre d’une sélection d’abeilles plus résilientes face au changement climatique.

L’observation du comportement des colonies à l’état naturel face à ces événements extrêmes peut nous indiquer comment elles survivent. Le modèle des colonies férales* [4] de petite taille, essaimeuses, espacées dans l’espace qui ont survécu avec le varroa dans la forêt d’Arnot aux USA en est un exemple. Cela souligne l’importance des colonies qui pourraient survivre sans aucune aide de la part des apiculteurs. Elles devraient disposer d’outils très utiles pour le futur. Même l’observation d’abeilles qui sont déjà confrontées à de telles conditions peut nous éclairer. Ainsi, les abeilles du sud de l’Espagne ou encore les abeilles siciliennes ne développent que de petites colonies très réactives et estivent dès que les conditions climatiques ne sont plus favorables. Ne faut-il donc pas remettre en question la taille de nos colonies ?

La sélection naturelle ne peut entraîner une résistance à l’échelle de la population dans les grandes populations panmictiques* [5] que si une grande partie de la population survit à la menace qui se présente. (C’est ce qui s’est passé en Afrique et en Amérique du Sud après l’invasion de varroa). Cela suppose qu’une partie de la population dispose des outils nécessaires pour survivre et se développer. Là, des chercheurs croates travaillant avec des abeilles carnioliennes2 ont constaté que ce sont les colonies locales les moins sélectionnées qui ont présenté les outils de tolérance les plus intéressants face aux colonies sélectionnées depuis cinq ans et encore plus face aux colonies sélectionnées venant d’Allemagne. Ceci met clairement en évidence l’importance du maintien d’une grande biodiversité locale afin de maintenir un maximum de caractères, quitte à perdre un peu en productivité. La masse d’apiculteurs ne cherchant pas de revenus immédiats devrait permettre de maintenir une base de biodiversité.

Vu la spécificité des accouplements de nos abeilles, les gènes de résistance se dispersent dans les populations voisines mais sont noyés dans une abondance de gènes sans intérêt. Comme on ne travaille pas dans un milieu fermé et qu’il faut malgré tout maintenir une bonne diversité, une sélection massale dans un maximum de ruchers semble indispensable. Elle doit pouvoir s’opérer sur des reines qui vivent plusieurs années afin d’être confrontées à des événements différents. Celles-ci doivent générer des colonies réactives, peu consommatrices en période de disette, c’est-à-dire qu’elles doivent rapidement adapter leur population aux conditions locales quitte à produire un peu moins de miel que les championnes qui nécessiteront probablement des nourrissement excessifs.
Travailler en milieu ouvert permet d’éviter d’arriver, comme dans des îles, à des phénomènes de consanguinité qui font perdre tout le bénéfice de la sélection. C’est ce que l’expérience de Gotland, île en Suède, a montré au niveau des populations tolérantes aux varroas.
La sélection par l’élevage peut augmenter le niveau de résistance des colonies et ainsi augmenter la proportion de colonies résistantes dans la population dans son ensemble. Lorsque cette proportion sera suffisamment élevée, les apiculteurs pourront alors réduire leur sélection et la sélection naturelle travaillera par elle-même.

Naturellement, on n’y est pas encore et vous l’aurez compris, un travail collectif important sera la base de la réussite. Espérons.

Références

  • 1. Vercelli, M. ; Novelli, S. ; Ferrazzi, P. ; Lentini, G. ; Ferracini, C. A Qualitative Analysis of Beekeepers’ Perceptions and Farm Management Adaptations to the Impact of Climate Change on Honey Bees. Insects 2021, 12, 228. https://doi.org/10.3390/insects12030228
  • 2. Kovačić, M., Puškadija, Z., Dražić, M.M. et al. Effects of selection and local adaptation on resilience and economic suitability in Apis mellifera carnica. Apidologie 51, 1062–1073 (2020). https://doi.org/10.1007/s13592-020-00783-0
  • 3. van der Schriek, T., Kitsara, G., Varotsos, Konstantinos V. The impact of temperature and precipitation changes on honey bees (Apis mellifera) in the Aegean region under future climate scenarios 2021, EGU General Assembly Conference Abstracts
  • 4. van Alphen, J.., Fernhout, B., Natural selection, selective breeding, and the evolution of resistance of honeybees (Apis mellifera) against Varroa. Zoological Letters (2020) 6:6
  • https://doi.org/10.1186/s40851-020-00158-4

Glossaire

  • *1 population où chacun des individus qui la composent a des chances égales de se reproduire avec n’importe quel autre individu de sexe opposé
  • *2 féral = colonie d’abeilles retournées à l’état sauvage