Vidéos au coeur de la cellule

Des chercheurs de l’Institut d’apiculture de l’Université Johann Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le-Main ont publié en mars 2021 une étude assez révolutionnaire sur les comportements des abeilles dans les cellules de couvain.

Grâce à un dispositif de prise d’images vidéo macro, les chercheurs de l’Institut für Bienenkunde der Johann Wolfgang Goethe-Universität Frankfurt am Main – Fachbereich Biologie ont filmé l’intérieur du nid à couvain avec une vue latérale sur des cellules tronquées longitudinalement et appuyées sur un plexiglass. Cela nous permet d’assister à des comportements individuels qui échappent habituellement au regard tels que la construction des cellules (utilisation des écailles de cire pour modeler les rayons), le stockage du nectar et du pollen dans les cellules, les soins au couvain (nourrissement des larves, etc.), la thermorégulation dans les cellules de couvain et des pratiques d’hygiène telles que le cannibalisme, le toilettage et le nettoyage des surfaces.

Les courtes séquences vidéos, mises à disposition à des fins éducatives et informatives (sans but commercial), permettent d’entrer dans l’intimité de la colonie. Vraiment étonnant !


Equipement pour les enregistrements vidéo macro dans le couvain d’une ruche d’observation. Source : Honey bee behaviours within the hive : Insights from long-term video analysis
https://doi.org/10.1371/journal.pone.0247323.g001

Nous avons classé les vidéos selon les catégories suivantes :

  • soin apporté au couvain ;
  • développement larvaire ;
  • bâtisseuses ;
  • gestion de la nourriture ;
  • hygiène.

Soin apporté au couvain


Thermorégulation par occupation de la cellule

En présence de couvain, les abeilles maintiennent la température de la zone du nid entre 33 et 36 ̊C. Le maintien de cette température évite les anomalies de développement. Pour maintenir cette température, les ouvrières adoptent plusieurs comportements. Pour la production de chaleur :

  • le regroupement d’ouvrières individuelles ;
  • la génération de chaleur métabolique par un réchauffement du thorax via des contractions musculaires.

Pour la production de fraîcheur :

  • la dispersion des individus ;
  • la ventilation ;
  • l’apport d’eau pour une évaporation.

Thermorégulation : refroidissement par évaporation

L’inspection des cellules inclut une lecture d’informations sensorielles qui sont ensuite traitées par les ouvrières :

  • quel est le contenu de la cellule ?
  • où est-elle située ?
  • quel est l’état et l’âge du couvain ?
  • etc.
    Les inspections se caractérisent par un mouvement fréquent des antennes, véritables récepteurs. C’est ce qui distingue les inspections d’autres actions réalisées dans les cellules telles que le repos ou la thermorégulation. La durée des inspections est relative à ce que les ouvrières trouvent dans la cellule. Ainsi, les visites de cellules avec de jeunes larves sont généralement plus longues.

Inspection courte et longue d’une cellule de couvain


Nourrissage d’une jeune larve

Le nourrissage des larves est toujours précédé d’une inspection, au cours de laquelle l’ouvrière montre de forts mouvements antennaires et dirige ses pièces buccales et ses pointes antennaires en direction de la larve. Après l’inspection, l’ouvrière se met à vibrer avec ses mandibules en se rapprochant progressivement de la larve. La nourriture doit être soigneusement positionnée pour les jeunes larves. Pour les larves de 3 jours et au-delà, les ouvrières se contentent de déposer la nourriture sur n’importe quelle partie des parois cellulaires à proximité de la larve. La plupart des mouvements larvaires ont été observés par les chercheurs après la dépose alimentaire, signe que la larve cherche à atteindre la nourriture.


Nourrissement bouche-à-bouche

A contrario, les larves qui reçoivent une alimentation de bouche-à-bouche ne bougent pas après l’apport de nourriture. Aucune observation d’un apport de nourriture n’a été observé avant l’éclosion de la larve. Les visites des nourrices diminuent à partir du 4° ou 5° jour.

Développement larvaire


Ponte d’un oeuf d’ouvrière et position de l’oeuf

Après la ponte de la reine, l’œuf reste immobile jusqu’à l’éclosion des larves. Au fur et à mesure que les ouvrières se déplacent dans les cellules, aussi profondément que possible, les œufs peuvent être poussés vers la base de la cellule. De ce fait, les œufs descendants reflètent, en toute probabilité, la fréquence à laquelle les ouvrières sont entrés dans la cellule à des fins de thermorégulation.


Operculation de la cellule par une ouvrière et tissage du cocon par la larve

Pendant l’operculation de la cellule, l’ouvrière insère fréquemment ses antennes dans le trou de fermeture de la cellule et place ses tarses avant sur le rebord étendu. L’hypothèse est que l’ouvrière mesure ainsi l’épaisseur de l’opercule. Le tissage du cocon commence avant que la cellule ne soit complètement fermée. Une fois que la larve a reçu sa dernière alimentation, le tissage commence, initié par des tapotements de l’extrémité antérieure de la larve, où se trouvent les glandes séricigènes.

Bâtisseuses


Réparation d’un gâteau de cire

Entre les mandibules des ouvrières, la cire peut se trouver sous la forme d’écailles de cire transparente ou sous la forme de sortes de « ficelles » issue de la cire déjà présente dans la colonie. Cette cire de récupération est utilisée essentiellement pour répondre à des urgences (fixation rapide des gâteaux de cire par exemple). Cette pratique est observée à tout moment en saison et permet à des ouvrières avec des glandes cirières non développées de remodeler les gâteaux de cire si le besoin s’en fait sentir. Pour créer ces « ficelles » de cire, les ouvrières font un mouvement rapide de la tête d’avant en arrière tout en étirant la cire avec leurs mandibules. Ces « ficelles » peuvent être pliées pour être transportées.


La chaîne des cirières qui déposent les écailles de cire

L’utilisation d’écailles de cire et de ficelles de cire demande aux ouvrières de se déplacer fréquemment à l’intérieur de la cellule. Elles utilisent abondamment leurs antennes et font des mouvements répétés de la tête.

Gestion de la nourriture


Stockage du nectar

Pour stocker le nectar, les ouvrières rampent sur le ventre vers le haut de la cellule. Elles régurgitent ensuite la nourriture vers la paroi supérieure de la cellule en faisant parallèlement des mouvements semi-circulaires. Si la cellule contient déjà du nectar, les mandibules de l’ouvrière y plongent. La trompe reste pliée et les mandibules sont maintenues ouvertes. La nourriture adhère à la paroi supérieure de la cellule et la cellule se remplit vers le bas par la simple action de la gravité.


Stockage du pollen

La porteuse de pollen commence par une inspection de la cellule qui peut avoir pour but de juger si elle est appropriée au stockage du pollen. Elle utilise ensuite ses pattes prothoraciques pour s’accrocher à la paroi cellulaire inférieure à côté de la cellule qui a été inspectée. Elle s’accroche ensuite à la paroi supérieure de la cellule avec ses pattes métathoraciques tout en plaçant son abdomen plié sur la paroi inférieure de la cellule de stockage. Les paniers à pollen sont positionnés à l’entrée de la cellule puis l’ouvrière utilise ses pattes mésothoraciques pour se débarrasser de son chargement de pollen qui tombe dans la cellule. Elle nettoie ensuite le pollen restant sur les pattes avec des mouvements plus rapides. Le pollen qui se trouve maintenant dans la cellule est poussé au fond par des mouvements rapides des tarses des pattes métathoraciques. Le nettoyage des pattes et le stockage du pollen est répété jusqu’à ce que la porteuse de pollen soit complètement débarrassée de sa charge. Elle quitte ensuite la cellule, laissant la place à des abeilles plus jeunes qui vont pousser le pollen plus loin vers la base de la cellule avec leurs mandibules fermées et des mouvements de la tête vers le haut. Pendant cette opération, la masse de pollen est hydratée par l’ajout de salive, de nectar et de miel pour créer du pain d’abeille.


Déchargement des pelotes de pollen et conditionnement

Hygiène

Le comportement hygiénique dans la colonie inclut l’élimination des moisissures, des champignons et des parasites qui sont susceptibles de mettre en danger la survie du groupe. On peut également parler d’actions préventives. Il existe plusieurs types de comportements hygiéniques.


Cannibalisme larvaire

Le cannibalisme larvaire est en premier lieu, pour la colonie, un moyen de recycler les protéines tout en empêchant la moisissure et les champignons de se développer sur les larves mortes. On trouve également des cas de cannibalisation sur des larves mal formées ou sur des larves de faux-bourdons diploïdes. Le couvain peut être cannibalisée par les ouvrières à tous les stades de leur développement à l’exception de la période correspondant aux 72 dernières heures de développement larvaire où la cuticule durcit. Les chercheurs n’ont pas toujours perçu de raison poussant les ouvrières à ce comportement, ce qui permet d’émettre l’hypothèse que des informations chimiques peuvent intervenir dans la détection des problèmes de santé.


Consommation de varroa

Selon le même principe, les chercheurs ont relevé un comportement des ouvrières consommant Varroa destructor à la condition que la cuticule de l’acarien n’ait pas encore eu le temps de durcir. Le phénomène a été observé après l’émergence d’une jeune abeille. Certaines ouvrières nettoient exclusivement les défécations des acariens et d’autres se précipitent sur les deutonymphes de varroa et les consomment. Lorsque la cuticule de l’acarien est formée, les nettoyeuses peuvent blesser l’acarien, en retirant par exemple ses pattes avec ses mandibules.


Toilettage social

L’auto-toilettage et le toilettage social répondent au besoins de se débarrasser de parasites tels que Varroa destructor et Tropilaelaps clareae. Les variations liées à ce comportement sont grandes selon les espèces d’Apis. Les chercheurs pensent que le toilettage social est positivement corrélé au degré d’infection par l’acarien des trachées (Acarapis woodi).


Mouvement de bascule pour nettoyer les surfaces

Le nettoyage mécanique des surfaces à l’intérieur de la colonie est fait par une nettoyeuse qui opère un « mouvement de bascule » dans lequel les mandibules de l’ouvrière et les tarses de ses pattes antérieures sont utilisés comme des grattoirs. L’ouvrière balaie littéralement la surface avec des mouvements répétés rapides de ses pattes avant tout en se penchant lentement vers l’avant. Le mouvement est répété plusieurs fois sur la zone à nettoyer. Au cours de ce mouvement d’inclinaison vers l’avant, l’orientation des mandibules passe d’une position postérieure maximale à une position antérieure.

Référence : Siefert, P., Buling, N., & Grünewald, B. (2021). Honey bee behaviours within the hive : Insights from long-term video analysis. Plos one, 16(3), e0247323.