Bees Big data

Agnès FAYET

La notion de Big Data tutoie l’abstraction. Nous ne sommes pas en mesure d’imaginer le volume des gigantesques ensembles de données collectées chaque seconde par de super-ordinateurs. A l’aide d’algorithmes complexes, elles sont filtrées, analysées, partagées et visualisées pour le bénéfice d’entreprises, d’institutions et de pouvoirs publics. L’intelligence numérique concerne de nombreux secteurs d’activité : finance, télécommunications, technologie, santé, éducation mais aussi environnement et agriculture. Le traitement de ces données, parfois sensibles, est considéré comme un enjeu économique majeure des futures décennies, ce qui risque d’éclipser la question éthique liée à l’utilisation de ces informations. Aujourd’hui, le Big Data est principalement utilisé pour modéliser et analyser des bases de données servant à la prise de décisions (ce que l’on appelle des Data Warehouse). L’économie des données frappe aussi à la porte des ruchers. Quel intérêt y a-t-il à connecter des ruchers ? Quel bénéfice un apiculteur peut-il en retirer ? Le temps est venu de faire un point sur la question.


Les ruches connectées

A l’ère de l’internet des objets, l’utilisation de ruches connectées se développe. Le monde apicole n’est toutefois pas un univers très branché ni très prompt à emboîter le pas à la moindre nouveauté technologique. Ceci peut constituer un frein au développement de services faisant intervenir le Big Data apicole. Certaines start-up proposent cependant des solutions incluant capteurs, analyse comparative des données, modélisation prédictive et gestion des risques. On parle de gestion apicole de précision. Les apiculteurs professionnels sont les premiers à y trouver un intérêt puisque les capteurs de surveillance couplés à des fonctions d‘alerte évitent bien des visites de ruches et proposent même des plans de maintenance selon les besoins des colonies tels qu’identifiés par les calculateurs. Les capteurs intègrent une batterie d’informations comme les variations de poids des ruches (miellées en saison et consommation de réserve de nourriture en hiver), les sons émis par les abeilles, la température et l’humidité dans la ruche, la force du vent et les conditions météorologiques au rucher ou encore des alertes en temps réel pour prévenir des phénomènes inhabituels au rucher. Ces données immédiates esquissent un état général de la santé des colonies. Des graphiques, bilans de santé, bilans d’actions, aperçus détaillés des conditions météorologiques, etc., viennent en appui à l’apiculteur pour tirer des conclusions sur son année apicole. Des schémas prédictifs de santé des colonies sont également envoyés. L’apiculture derrière un ordinateur ? La formule est caricaturale et réductrice. L’apiculture nécessitera toujours un travail de terrain. Les visites sont simplement plus ciblées et davantage guidées. Les ruches sont surveillées à distance.

Des données en temps réel sur l’état des colonies

Les données issues des systèmes de surveillance des colonies permettent à l‘apiculteur d‘obtenir une vision complète des conditions à l’intérieur de la ruche et d’exercer une surveillance en dehors des périodes de visite (la nuit, par mauvais temps, en hiver…) Une surveillance à distance impliquant par exemple le son et l’image permet d’être alerté dans des cas précis comme par exemple lorsque les capteurs détectent une fièvre d’essaimage.
Les systèmes font entrer en jeu la puissance de la technologie numérique : caméra infrarouge pour la collecte d‘images à l‘intérieur de la ruche, caméra thermique externe, balances, divers capteurs pour surveiller l‘état de la colonie et son activité, microphones connectés, accéléromètres, etc. Le système permet une analyse complexe des données reçues. Certains scénarios sont élaborés pour produire une alerte à destination de l’apiculteur qui dispose d’une application sur son smartphone. Outre ce système d’alerte en temps réel, les apiculteurs pourraient bénéficier grâce à cette technologie, d’informations sur la disponibilité des ressources dans l’environnement ou sur la prévalence (nombre de cas de maladies à un instant ou sur une période précise) de certaines maladies comme la loque américaine dans les environs du rucher…


Une ruche connectée, qu’est-ce que c’est ?

C’est une ruche équipée pour surveiller le comportement et la santé de la colonie qui la peuple. Elle est équipée d’une batterie de capteurs, d’enregistreurs et de transmetteurs reliés à un microprocesseur embarqué.

Un système intégré de surveillance des abeilles dans une ruche comporte :
• Un microprocesseur central ;
• Des transducteurs dans la ruche (dispositif convertissant un signal physique en un autre) couplés à :
des capteurs de température pour mesurer la température du couvain et la température de la ruche ;
des capteurs d‘humidité pour mesurer l’humidité relative de la colonie ;
une balance pour surveiller les activités de butinage et la consommation de la colonie ;
un système de positionnement global ;
un compteur d’abeilles pour mesurer l’activité de la colonie ;
un système d‘enregistrement de l‘acoustique des abeilles mellifères couplé à un logiciel de filtrage, de synthèse et d‘analyse des données acoustiques. Le système profile les signatures acoustiques des colonies d‘abeilles mellifères. Ces signatures, associées à des comportement types de la colonie, servent de données de référence pour détecter les variations acoustiques qui peuvent provenir de facteurs de stress (par exemple une exposition à des concentrations sublétales de produits toxiques aéroportées) ou d’un changement de comportement de la colonie (par exemple une fièvre d’essaimage).

• Une station météo installée sur le site du rucher ;
• une unité d‘alimentation pour fournir l‘énergie à puissance constante (batterie ou cellule solaire). Le bilan énergétique est aujourd’hui quasi neutre (très basse énergie, alimentation solaire, etc.) ;
• l‘information peut être récupérée par ligne téléphonique ou par onde radio via une communication sans fil.

En quête de modèles d’analyse des données scientifiques

Dans le cadre de programmes scientifiques, des puces RFID sont fixées sur le dos des abeilles1. Elles permettent de surveiller le nombre de sorties de la ruche des abeilles équipées. Les puces RFID communiquent leurs informations par ondes radio à de mini-ordinateurs placés dans les ruches. Ces petits récepteurs sont très peu gourmands en énergie tout en ayant de grandes capacités. Cette technologie a permis de confirmer bon nombre de connaissances sur les mécanismes de changement de fonction des ouvrières au sein de la colonie, sur les activités de butinage, leur lien avec les conditions météorologiques et la température extérieure, les durées de vol, le lien entre la durée de vol et l’âge des ouvrières, etc. Rappelons également que cette technologie a permis en 2012 à des chercheurs de l’INRA de prouver les effets du thiametoxam (insecticide néonicotinoïde) sur les capacités d’orientation spatiale des butineuses2. Le radar harmonique est utilisé quant à lui en complément pour enregistrer les déplacements des abeilles3. Il s’agit d’une antenne miniature qui permet d’établir des schémas de vols, et de localiser les sites de butinage, etc.

Les programmes scientifiques continuent aujourd’hui à collecter des données sur la santé des colonies d’abeilles. Des modèles d’intégration des informations cherchent à proposer une vision plus globale. Citons à titre d’exemple le modèle européen APIS-RAM qui propose d’évaluer une synergie de facteurs de stress chez les abeilles dans un contexte géographique et agricole4. Le principal enjeu reste à cet égard l’enregistrement des données qui, pour être exploitables, doivent être saisies correctement, en assez grand nombre, avec un standard permettant de larges échanges tout en respectant les politiques de confidentialité. L’hétérogénéité des données et la possibilité de mise à jour en temps réel sont des points techniques capitaux à résoudre pour le succès de ce type de service.

Le chemin vers une apiculture de précision est tracé. La technologie pourrait être un allié pour les apiculteurs afin de relever plus facilement les défis de notre époque. Elle nécessite en amont une synergie de compétences : celles de physiciens, d’entomologistes, d’éthologues, d’agronomes, de mathématiciens, d’informaticiens, etc. Elle suppose aussi la collaboration et la curiosité du secteur apicole qui se trouve à la fois pourvoyeur et bénéficiaire de données. Les informations qui sont relevées dans les ruches connectées ont un grand intérêt pour l’apiculteur à titre personnel mais aussi pour la communauté apicole dans son ensemble si toutefois le travail est exécuté en réseau.

Références :

  • 1. Aupinel, P., Henry, M., Decourtye, A. (2017). Utilisation de puces RFID pour le suivi des abeilles. Cahier des Techniques de l‘INRA, 2017, 117-122
  • 2. Henry, M., Beguin, M., Requier, F., Rollin, O., Odoux, J. F., Aupinel, P., ... & Decourtye, A. (2012). A common pesticide decreases foraging success and survival in honey bees. Science, 336(6079), 348-350.
  • 3. Carreck, N. L., Osborne, J. L., Capaldi, E. A., & Riley, J. R.(1999). Tracking bees with radar. Bee World, 80(3), 124-131.