COVID-19 et apiculture

Agnès FAYET

Presque partout dans le monde, l’apiculture, considérée comme une pratique agricole assurant l’alimentation des populations, a été autorisée moyennant certaines restrictions : le respect des règles d’hygiène et de distanciation physique ainsi que le report de certaines activités non fondamentales pour la poursuite de l’activité apicole et pour la santé des colonies. Sont généralement restées autorisées à peu près tous les travaux liés au suivi des colonies et aux récoltes, assorties d’un laisser-passer qui prend des formes différentes selon les états : préparation du matériel et visites des colonies, récolte des produits avec un suivi strict des règles de distanciation dans le cas des productions collectives de miel, conditionnement, élevage de reines et constitution d’essaims, visites sanitaires…

En Europe, selon le COPA-COGECA, « les apiculteurs dépendent des ventes directes via les marchés locaux pour une grande partie de leur production et la fermeture obligatoire des marchés locaux dans plusieurs pays a un impact négatif direct sur leur viabilité économique. Les apiculteurs sont également confrontés à des problèmes d‘approvisionnement en équipements tels que la cire et les cadres ». Certains apiculteurs ont rivalisé d’inventivité pour continuer de servir leurs clients avec des systèmes de boîtes de collectes, de vente par correspondance et de tournées de livraison pour essayer de compenser l’interdiction des marchés locaux. D’une manière générale, on peut cependant déjà prévoir une baisse des ventes. Il est trop tôt pour évoquer les conséquences de la pandémie sur les marchés internationaux liés à l’apiculture. D’ores et déjà, certains modèles de production apicole sont en grave difficulté, en Amérique du Nord et en Chine par exemple.

En Amérique du Sud, les apiculteurs éprouvent des difficultés d’approvisionnement en matériel et en intrants. Les traitements et les sirops de nourrissement sont devenus des denrées rares. Les exportations continuent mais en moins gros volume du fait des problèmes de logistique rencontrés. Par contre, les ventes locales augmentent avec l’arrivée de l’hiver dans l’hémisphère sud. Des campagnes de solidarité peuvent être signalées dans deux pays. Au Paraguay, la Confédération des éleveurs d’abeilles conditionne du miel dans de petits sachets qui sont livrés au Ministère de la Santé et redistribués aux médecins. En Uruguay, un don équivalent à un conteneur de
20 tonnes de miel a été offert au Ministère de la santé pour acheter du matériel aux médecins. Par ailleurs, 65 000 petits pots de miel de 250 g ont été offerts aux populations les plus nécessiteuses dans les paniers alimentaires qui sont distribués par le gouvernement.

En Amérique du Nord, le secteur apicole est affecté gravement par le manque de main d’œuvre. En effet, les travailleurs saisonniers en apiculture, aux États-Unis et au Canada, proviennent d’Amérique centrale, essentiellement du Mexique. Ces saisonniers ne sont pas autorisés à entrer sur le territoire, même pour des raisons professionnelles. Autre impact important : les importations d’abeilles. Les États-Unis et le Canada importent massivement des reines et des paquets d’abeilles de Nouvelle-Zélande, du Mexique et du Chili. Ce n’est plus possible du fait de la fermeture des aéroports. Cela aura un impact prévisible sur la pollinisation.

En Chine, l‘industrie apicole, basée sur la transhumance massive des colonies d’une région à une autre, sera cette année une victime collatérale du virus. Le gouvernement central chinois a imposé des restrictions très strictes sur la circulation des personnes pour contrôler la propagation du COVID-19 : routes fermées, transport interrégional très contrôlé, mesures de confinement inconditionnelles assorties parfois d’interdiction de sortie du domicile. Le principal organisme apicole du pays, l‘Apicultural Science Association of China, a fait état du suicide d’un apiculteur du Sichuan dont toutes les abeilles sont mortes de faim dans le sud de la province du Yunnan. Pour les apiculteurs chinois, il était impossible d’acheter des sirops de nourrissement pour pallier au manque de nourriture des abeilles ou d’envisager de déplacer les ruches dans une zone où elles auraient pu se nourrir naturellement. Depuis le 15 février, répondant à l’appel des agriculteurs et des apiculteurs, les restrictions strictes ont été levées mais pour certains, le mal était fait. Malgré ces dérogations pour la production alimentaire, les autorisations ne sont pas encore accordées systématiquement pour assurer à tous les apiculteurs l’accès à tous les ruchers sur le territoire chinois.

Ces différents exemples montrent que dans tous les endroits du monde, le COVID-19 révèle les limites de certains systèmes, en particulier celles de l’apiculture industrielle, beaucoup trop dépendante des marchés internationaux. A contrario, la pandémie met l’accent sur certaines valeurs comme la solidarité et souligne l’intérêt d’une production apicole et agricole en circuit court pour garantir la sécurité alimentaire des populations.