EDITO : Choisir notre monde

Etienne Bruneau

Aujourd’hui, chacun d’entre nous porte un peu plus le poids du monde sur ses épaules. On est perdu et on ne sait plus où l’on va. Les quelques avancées que l’on pensait acquises s’effritent.

Ainsi, les dernières réunions internationales en apiculture nous ont apporté de bien tristes nouvelles avec l’impact du climat de plus en plus préjudiciable pour les abeilles, le blocage des prix du miel au plus bas, les difficultés à mettre en place un étiquetage spécifique, le manque de moyens pour contrôler l’adultération, le peu de volonté d’intégrer les abeilles comme indicateur environnemental dans la politique agricole, la forte régression des tests nécessaires pour la mise sur le marché de nouveaux produits (voir le manifeste en p.39). Côté wallon, ce n’est guère plus réjouissant avec les réunions pour la mise en place du nouveau programme de soutien de l’apiculture où les priorités de chaque association semblent difficilement compatibles. Que restera-t-il du projet de revue commune pourtant presque finalisé ?

Nous ne pouvons plus continuer comme cela, on s’enfonce et cela crée l’immobilisme, les peurs, les rancœurs, les replis sur soi-même, les maladies, l’appauvrissement…

Pourtant notre monde est vraiment beau. Je suis toujours fasciné par les abeilles et leur sens de la collectivité. Elles n’hésitent pas un instant à se dépenser corps et âme pour l’intérêt commun. Leur travail se fait en parfaite harmonie avec l’ensemble de la collectivité et en relation directe avec leur environne ment. Leurs actions sont planifiées en fonction des besoins collectifs dans le respect de l’ensemble en entretenant des relations constructives avec leur environnement. Regardez les arbres en forêt qui sont interconnectés et vivent en équilibre complexe avec un très grand nombre d’espèces. La nature nous donne des leçons tous les jours et nous ne le voyons pas. C’est dans l’échange et l’interconnectivité des divers éléments que se trouve la richesse.

Les dernières journées que nous avons organisées étaient comme la nature très riches en enseignements et portaient de réels messages d’espoir.

La journée Nord-Sud sur l’arbre et l’abeille a mis clairement en évidence que c’est dans l’harmonie trouvée entre l’homme, l’environnement et l’activité économique que réside la solution. C’est dans le respect des besoins de chacun que se trouvent la richesse et la joie. Ces paysans asiatiques qui développent une activité apicole respectent maintenant la forêt car elle leur offre le miel mais également ses produits dont la valeur est bien plus grande que celle que pourrait rapporter du soja ou de l’huile de palme. Avec le miel et ces sous-produits fores tiers ils peuvent vivre très décemment. Ce projet n’a pratiquement rien coûté si ce n’est l’investissement humain de sensibilisation et de formation. Face à cela, les grandes politiques de protection des forêts sont inefficaces car les locaux ne peuvent plus y vivre et les forêts périphériques sont pillées et détruites. Autre cas de déséquilibre chez nous, les grandes surfaces agricoles consacrées pratiquement exclusivement au modèle économique génèrent des endettements d’agriculteurs, de moins en moins nombreux, et détruisent totalement l’environnement y compris les sols et donc, le futur de la production. Le week-end du CARI agriculture – apiculture a présenté des systèmes alternatifs d’agroforeste rie ou encore d’agriculture biologique. Ceux-ci réassocient les trois composantes essentielles, à savoir, l’agriculteur, l’environnement avec les pollinisateurs et la production agricole.

L’intégration des abeilles dans le modèle agricole est ainsi très importante car elles sont une source essentielle de richesse à condition de les respecter. Dans ce cadre, plusieurs inter venants ont insisté sur la communication entre agriculteurs et apiculteurs. Pour l’instant, le paramètre économique est trop dominant et il génère des prix de plus en plus bas. Les prix des pro duits doivent cependant permettre aux agriculteurs de changer leurs modes de production afin de développer des systèmes plus harmonieux. Un message très clair et fondamental résume bien ce challenge : « Il n’est pas possible de faire du vert quand on est dans le rouge ». Vouloir tout pour rien ne crée que de la pauvreté que ce soit de l’environnement, de la production et de l’humain. Il faut pouvoir donner pour recevoir. Il faut accepter d’acheter au prix juste quitte à reconsidérer ses achats. Il faut pou voir échanger, partager… Regardez les abeilles, elles donnent tout ce qu’elles peuvent et elles créent énormément de richesse. Ne pourrions-nous en faire autant ? C’est la seule façon que nous ayons de changer notre monde. Un peu moins d’égo, plus d’ouverture, de joies, de partages et de sourires, pour le bien de tous, c’est ce que je vous souhaite pour cette année 2019.