EDITO : Comment bâtir demain ?

Etienne Bruneau

Beaucoup de personnes s’interrogent sur l’avenir de notre planète. Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? A cette question fondamentale, que peut-on répondre en tant qu’apiculteur ?

D’année en année, on voit de moins en moins d’insectes et ce printemps est particulièrement interpellant. On se demande bien comment tous les arbres couverts de fleurs en quelques jours ont pu attirer assez de pollinisateurs pour pouvoir apporter les fruits qui seront à leur tour source de nourriture pour d’autres animaux. Lors d’une longue balade en Brabant wallon, j’ai eu assez de mes deux mains pour compter les abeilles et bourdons que j’ai croisés. Le déclin des pollinisateurs se marque de plus en plus et aujourd’hui, on note des pertes importantes même dans un espace « protégé » comme la ville de Bruxelles. On n’est plus très loin du printemps silencieux. Sera-t-il possible de revenir à une situation normale où les bruits du vol des pollinisateurs dominent les chants d’oiseaux, comme c’est encore le cas dans certaines zones d’Europe ?

Pourtant, ce n’est pas faute de moyens mis en œuvre ces dernières années. Les autorités n’ont jamais prêté autant d’attention aux pollinisateurs et cela, à pratiquement tous les niveaux. Ainsi, le parlement européen vient encore de voter, à une large majorité, une résolution en faveur des pollinisateurs et la Direction Générale Environnement de la Commission a lancé une enquête sur les pollinisateurs qui a recueilli plus de 65.000 signatures, ce qui est assez rare pour ce type de consultation publique. Deux journées de travail intense avec les experts européens ont également permis de dégager les principales lignes d’actions à suivre. De plus, on peut espérer que les tristement célèbres néonicotinoïdes seront prochainement retirés du marché pour leurs utilisations en plein air. C’est du moins la volonté de la Commission et de son Président.

Au niveau belge, la lutte contre la varroase est également prise plus qu’au sérieux avec le nouveau financement de 90.000 ¤ de la jeune association Arista Bee, qui a réalisé à ce jour un travail impressionnant sur la recherche de lignées capables de se défaire de cet acarien qui parasite nos colonies depuis près de 30 ans. La Flandre n’est pas en reste, avec l’aboutissement du projet Var resist qui débouche sur l’identification possible de caractéristiques génétiques mettant en évidence l’impossibilité pour les varroas de se reproduire dans des cel lules de couvain. Sans parler du nouveau film « Contrôle de la varroase dans les ruchers belges - Où en sommes nous au début de l’année 2018 ? » financé par la DG4 du SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement, qui donne des conseils pratiques aux apiculteurs dans l’attente de la générali sation des solutions plus durables mises en place par ces deux équipes travaillant sur la génétique de l’abeille.

C’est impressionnant et rassurant de voir cette énergie positive, mais pour sauver l’ensemble des pollinisateurs, toutes ces actions seront-elles suffisantes ? Nous savons que les causes des dépérissements sont multifactorielles mais qu’un élément moteur de tous nos problèmes réside dans notre modèle agricole basé sur l’agrochimie et l’intensification. Heureusement, d’autres voies s’ouvrent à nous rapidement avec le développement d’une agriculture plus « naturelle ». Pour guider ce changement nous devons mettre en place de nouveaux moyens de suivi des pollinisateurs tant au niveau de leur diversité, de leur quantité, que de leur santé. Plusieurs projets sont sur la table pour l’instant. Nous devons corriger les erreurs du passé et permettre le développement d’un système de production agricole producteur d’aliments de qualité dans le respect de l’environnement et développer de nouvelles poli tiques d’aménagement des espaces.

Pour nous aider dans ce travail, nous devons nous inspirer du modèle de la ruche où chaque individu travaille dans un but collectif, l‘individu s‘éfface au profit de l‘ensemble. Les signaux générés par la reine, le couvain, les butineuses… sont interprétés et les forces vives sont immédiatement réorientées vers les nouveaux besoins de l’ensemble de la colonie. A chaque instant, chaque abeille sent qu’elle fait partie d’un groupe qui fait tout pour lui offrir les meilleures chances de se reproduire dans les meilleures conditions. Rêvons quelques instant à ce monde qui pourrait être un nouveau demain où chaque personne mettrait son énergie pour servir au mieux la société, et que celle-ci mette tout en œuvre pour le mieux être de ses concitoyens. Les indicateurs de suivi des pollinisateurs mis en place seraient immédiatement décodés pour corriger les erreurs d’orientation et cela à tous les niveaux de pouvoir. On veillerait, par exemple, à maintenir le potentiel nectarifère et pollinifère nécessaire (abondance et diversité toute l’année) et l’on supprimerait toute source qui génère des mortalités anormales de pollinisateurs. On ferait évoluer les techniques de production alimentaire pour qu’elles s’inscrivent dans la durabilité, la qualité et la santé et non principalement le profit.

Je sais que tout cela peut vous paraître utopique mais je suis persuadé que c’est la direction vers laquelle nous devons nous diriger. Il est essentiel de connaître la voie à suivre si l’on veut arriver quelque part. Pour nos enfants, nous devons donc comprendre et intégrer dans notre vie de tous les jours le message que nous donnent les abeilles.