Des témoignages éloquents sur la saison apicole 2020

Péter BROSS, Francesco PANELLA, Lasse HELLANDER Traduction et transcription Agnès FAYET

Entretien de Péter Bross, apiculteur hongrois, président de l’Association nationale hongroise
d’apiculture, conduit par Etienne Bruneau

EB - Vous dites que la situation des apiculteurs hongrois est particulièrement difficile aujourd’hui. Vous pouvez préciser ?
PB - En Hongrie, la saison apicole est terminée puisque la floraison du tourne sol est finie. C’est notre dernière miellée. Donc nous pouvons faire un bilan de la saison. Je peux dire qu’en Hongrie, nous avons eu la pire saison apicole depuis 50 ans. Ça a commencé au début du printemps, en février-mars. La saison a changé. L’hiver a été comme le printemps, chaud et très humide. Puis pendant trois mois, nous n’avons pas eu de pluie. Et quand le colza a commencé à fleurir dans la deuxième moitié du mois d’avril, le temps a changé et l’hiver est revenu. Il a fait froid, pluvieux et venteux. Donc nous n’avons pas eu beau coup de miel de colza.

Après le colza, la première semaine de mai, l’acacia a commencé à fleurir. Il faut savoir que, à la fin du mois de mars, la dernière semaine de mars, pendant toute la semaine, les températures nocturnes sont descendues en-dessous de 0, parfois jusqu’à -10°. Les gelées commençaient à 21h jusqu’à 7 - 8h du matin. Cela signifie que 80 % des premières fleurs d’acacia sont mortes. Les 20 % restant, 1.000 hectares, ce qui reste beaucoup, n’ont pas produit de nectar parce que le temps était exécrable, venteux et plu vieux. Donc, nous n’avons pas eu beau coup de miel d’acacia. Après l’acacia nous avons les meilleures miellées, le tilleul, l‘asclépiade, le châtaignier. Mais il n’y a pas eu beaucoup de nectar non plus. Les deux premières semaines, en géné ral, le tournesol fleurit trois semaines. Cette année, il n’a fleuri qu’une semaine. Les agriculteurs ont tout coupé en une fois parce que le printemps a été trop pluvieux. Et les températures n’ont pas dépassé 25° en journée.

Or le tourne le tournesol a recommencé à fleurir. Là, nous avons eu un gros problème. Les abeilles disparaissaient. Il n’y avait pas d’abeilles mortes devant la ruche mais l’équivalent de deux ou trois hausses d’abeilles qui disparaissaient. Et nous n’en connaissons pas la raison. Nous n’avons plus de néonicotinoïdes depuis deux ans en Hongrie. Nous ne savons pas pourquoi elles ont disparu. Et, plus grave, nous avons appelé le vétérinaire qui n’a vu aucune abeille morte. Et donc il n’a rien fait. Il a dit « pas d’abeilles mortes donc pas de pertes de colonies ». Et il est rentré chez lui. Une situation vraiment très mauvaise. Les apiculteurs sont très déprimés. Comme vous le savez, la Hongrie exporte beaucoup de miel, 15.000 à 25.000 tonnes par an, et nous n’avons pas de miel cette année !

Le prix du miel toutes fleurs n’a pas changé parce que, naturellement, la Hongrie ne fixe pas les prix mais suit le cours du marché. Le reste du monde a suffisamment de miel toutes fleurs. Mais, l’intéressant est le miel d’acacia. La Roumanie, le Croatie, la Slovaquie, la Bulgarie n’ont pas fait de miel d’acacia cette année. C’est la même situation partout. Donc le prix est monté de 50 %. 5.75 euro/kg pour le miel d’acacia, c’est un très bon prix. Mais personne n’est content parce que 5.75 euros/kg x 0 kilo = 0. Voilà la situation.


EB - Oui, c’est vraiment fou. Et c’est la première fois que vous observez ceci depuis 50 ans. L’an dernier, c’était aussi catastrophique ?
PB - L’an dernier nous avons eu plus ou moins 3 fois plus d’acacia. Ce n’était pas formidable mais nous avons quand même eu de l’acacia.

EB - Et si l’on parle d’observations à long terme, c’est la première fois que vous observez autant d’irrégularités météorologiques ?
PB - Depuis 15 ans c’est de pire en pire. Il y a 30 ans d’ici, ce n’est pas un secret, en Hongrie, si vous suiviez les floraisons, vous pouviez faire sans problème 150 kg par ruche. Aujourd’hui, 20 à 30 kilos par ruche depuis les 10 dernières années. C’est un grand changement. Il n’y a plus de miel. Il n’y a vraiment plus de miel. La météo s’est dégradée. La météo a vraiment changé. Et, il n’y a plus assez d’abeilles dans les ruches. Nous avons changé les cadres traditionnels hongrois pour des cadres de hausse standard, comme dans la plupart des pays en Europe. Sur les principales miellées, nous avions 5 ou 6 hausses sur les ruches. Aujourd’hui, cela ne dépasse plus 2 ou 3 hausses. C’est un très gros changement. Il n’y a plus d’abeilles dans les ruches. Il n’y a plus d’abeilles dans les ruches…


EB - Pensez-vous que ce soit dû au changement climatique ?
PB - C’est à cause du changement climatique, des pesticides agricoles. Et un autre point important c’est que, en Hongrie, il y a eu un grand changement dans le modèle agricole. Il y a 20 ans, 500 à 600.000 agriculteurs possédaient les terres. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un tiers de ce chiffre. La taille des champs est devenue de plus en plus grande. La biodiversité est bien moins importante qu’il y a 20 ans à cause des gros pro priétaires. Nous avons une règle stupide, c’est peut-être la même chose en Europe occidentale, mais pour moi c’est stupide. Si quelqu’un veut vendre ses terres, c’est son voisin qui est prioritaire pour le rachat. Et je pense que ce n’est pas bon. Si le voisin rachète, il est certain que son intérêt sera de détruire les haies, les arbres. Donc c’est une règle stupide. Le propriétaire qui peut racheter devient de plus en plus riche et rachète de plus en plus. Cette règle rend la vie des abeilles de plus en plus difficile. Vous n’avez plus 20 à 25 hectares. Ce sont des centaines et des centaines et finalement des milliers d’hectares.


Et évidemment, l’autre gros problème c’est le varroa, problème qui concerne tous les apiculteurs du monde. Il y a 40 ans, quand le varroa est apparu en Hongrie, c’était parfois 10.000 varroas que l’on trouvait après traitement dans les ruches. Et les colonies survivaient. Aujourd’hui vous en trouvez 1.000 à 1.5000 et les colonies s’effondrent. Et l’autre gros problème concernant varroa, comme en Belgique je crois, c’est que nous n’avons pas de produits de traitement autorisés qui fonctionnent. L’argent du Programme Miel européen est dépensé pour acheter des produits qui ne fonctionnent pas. Cela fait simplement des bénéfices pour les entre prises qui les produisent.

Et encore une chose intéressante. Jusqu’à maintenant, en Hongrie, et c’est une particularité à l’échelle européenne, il n’y avait que du miel hongrois sur le marché intérieur. Maintenant, cela a vraiment changé. Les conditionneurs me l’ont dit : ils doivent acheter en Chine et en Ukraine parce que le prix du miel d’acacia s’est envolé, parce que nous ne produisons plus assez de miel toutes fleurs. C’est un gros changement. Notre fédération doit vérifier l’origine du miel. Les conditionneurs doivent simplement mettre sur l’étiquette le pays, EU ou non-EU.


Un autre point qui n’est jamais arrivé dans l’histoire. Chaque année, nous consommons 10.000 tonnes de miel en Hongrie sur le marché intérieur, ce qui représente environ 1 kg par personne en moyenne. Bien sûr, les apiculteurs essaient de vendre leur miel directement et en stockent pour le vendre l’année suivante. Aujourd’hui, conséquence de la nouvelle récolte, les apiculteurs n’ont pas d’argent. Ils doivent vendre leur stock. Donc, 1.500 à 2.000 tonnes sont exportées chaque mois. Depuis décembre cela représente 10.500 tonnes. Ce que je veux dire : les 10.000 tonnes du marché intérieur plus les 10.500 tonnes expor tées signifient qu’en janvier 2021, il n’y aura plus de miel sur le marché. Donc en janvier, février, mars, avril, il n’y aura pas de miel sur le marché hongrois. Et c’est la même chose en Roumanie.

EB - La situation continue de se dégrader. Que pouvez-vous faire pour aider les apiculteurs dans cette situation ?
PB - Beaucoup jettent l’éponge. Dans notre journal d’apiculture et sur inter net il y a énormément de colonies à vendre. Personne n’achète. Le prix d’une colonie aujourd’hui est moitié moins cher qu’il y a un an. Vous pouvez ache ter aujourd’hui des colonies complètes dans de bonnes ruches pour 70 euros. C’est encore un grand changement. Je pense que de nombreux apiculteurs à mi-temps vont arrêter l’apiculture pour reprendre leur métier d’origine. L’économie se développe en Hongrie. Donc si vous êtes électricien, mécanicien ou bon charpentier, ce sera plus intéressant de retourner à vos compétences d’origine que d’élever des abeilles. Donc je pense que de nombreux apiculteurs à mi-temps vont arrêter l’apiculture. Je crois que certains apiculteurs professionnels qui peuvent encore se raccrocher à leurs anciennes compétences vont partir. Dans les 10 prochaines années, il restera les apiculteurs de loisir et quelques apiculteurs professionnels. Ce sera donc un réel changement. Et naturellement le nombre d’apiculteurs et le nombre de colonies vont chuter. Les apiculteurs ont réellement besoin d’une aide directe de l’Europe, comme c’est le cas pour les agriculteurs. Ce serait la seule condition pour que certains apiculteurs ne jettent pas l’éponge.

EB - C’est surprenant d’entendre cela et cela n’est pas bon signe. Et c’est une situation partagée par la Roumanie…
PB – En ce qui concerne les apiculteurs roumains, pour la première fois, ils ont commencé à extraire le miel en juillet, après le tilleul. Ils n’ont pas eu de colza et pas d’acacia. Incroyable !

Encore un dernier point. Les apiculteurs hongrois ont de bonnes connaissances. Et, cette année, et l’an dernier aussi, le miel extrait était un peu humide. De plus en plus sont intéressés par les déshumidificateurs. Et je leur ai dit « non, pas question ! ». C’est un problème qui va prendre de l’importance, parce qu’il n’y a plus d’abeilles dans les ruches. Il n’y a plus assez d’abeilles pour sécher le miel dans les ruches. Donc du bon miel, extrait à temps, mais il est encore humide parce que les abeilles disparaissent. Très interpellant !

EB - La combinaison de tous ces para mètres donne une situation très dangereuse pour les abeilles et les apiculteurs. C’est un mauvais signal pour la survie de l’apiculture.

Les photos ont été prises lors de notre voyage en Hongrie dans des conditions normales de production.