EDITO : Apimondia 2019, réflexions

Etienne BRUNEAU

Les canadiens ont voulu faire de cet événement, un élément fort qui marquerait les esprits et ils y sont arrivés. Pierre Giovenazzo et son équipe soudée du Honey Council ont réalisé un travail remarquable avec l’aide de AIM, la société en charge de ce congrès. Les apiculteurs du monde peuvent les remercier pour l’excellent travail réalisé.
Nos scientifiques n’ont pas hésité à traverser l’océan pour venir présenter leurs travaux dans ce pays très développé et à l’image rassurante. Nous avions le choix de la sélection des abstracts et le niveau des présentations scientifiques n’avait rien à envier à d’autres congrès internationaux. Seul point noir, quelques chercheurs venant d’Asie ou d’Afrique n’ont pas obtenu leur visa.

A côté des échanges scientifiques, Apimondia est surtout une plateforme d’échange de connaissances et de prise de contacts entre interlocuteurs du monde entier. C’est un baromètre incroyable qui vous permet de faire le point non seulement sur l’état de la science, mais également sur les grandes problématiques auxquelles sont confrontés les apiculteurs des différents continents. Si les pesticides et les dépérissements étaient sur toutes les langues lors des derniers congrès, aujourd’hui ce sont les problèmes de marché, de mévente des miels ainsi que les méfaits du climat sur notre apiculture qui s’échangeaient dans les couloirs du congrès. Je ne me souviens pas avoir connu une période aussi noire en matière de prix sur le marché malgré une production largement perturbée par des évènements climatiques extrêmes. L’apiculture professionnelle mondiale est dans le rouge et des mesures devraient être prises pour éviter la rapide hémorragie du nombre de professionnels.

Le thème choisi par les Canadiens interpelle : « Travailler ensemble au sein de l’agriculture, la réponse du Canada à l’apiculture durable ». Dans cette partie du monde, les relations entretenues par les apiculteurs avec l’agriculture sont plutôt cordiales et la collaboration directe avec les firmes phytosanitaires est habituelle. Le repas d’ouverture offert aux associations membres d’Apimondia était d’ailleurs financé (malgré l‘opposition ferme d’Apimondia) par Crop Life (structure regroupant les principales firmes phytosanitaires). Comme aux Etats-Unis, la part prise par la pollinisation est dominante. Par contre, la réponse du Canada à l’apiculture durable va leur demander un travail conséquent. Leur apiculture intensive est loin de notre apiculture. En Amérique du nord, l’abeille est le plus souvent considérée comme un outil de travail pour ne pas dire de consommation. L’ApiEXPO était le reflet de cette apiculture nord américaine : un très grand nombre de stands étaient consacrés aux médicaments, aux aliments pour les abeilles, sans parler des éleveurs de reines et de paquets d’abeilles.

Aujourd’hui, lorsqu’on parle de durabilité, il faut être cohérent et il faut pouvoir remettre en question certaines de nos mauvaises pratiques. La technologie fait apparaître des choses auxquelles nous n’aurions même pas pensé : détecter des sucres exogènes à des teneurs très faibles dans les miels, analyser l’ADN environnemental dans le miel afin de détecter tous les pathogènes dans une ruche ou encore utiliser des capteurs dans les ruches pour mettre en évidence des phénomènes d’intoxication difficilement décelables, nous ouvre les yeux sur un monde que l’on ne pouvait voir. Notre impact sur nos abeilles peut être suivi beaucoup mieux et plusieurs exposés scientifiques ont donné de nouveaux arguments aux détracteurs d’une apiculture plus naturelle.
Il faut être prudent, la moindre erreur peut être révélée. Le rejet de près de 50 % des miels présentés au concours Apimondia illustre très bien cela. Certains apiculteurs appliquent des recettes sans réellement comprendre la portée de leurs actes (alimentation avec des pâtes d’origine mal connue, mélange de miels avec des collègues moins scrupuleux par exemple). L’apiculture est un art et pendant des années, on s’est pourtant contenté de répéter des modèles sans bien en comprendre les effets. Aujourd’hui, il faut pouvoir évoluer et s’adapter, au risque de disparaître. Lors d’une table ronde sur le futur de l’apiculture, Gilles Ratia proposait plusieurs scénarios : intensification de l’apiculture - apiculture totalement informatisée - apiculture naturelle - abandon des abeilles mellifères à leur sort. Le choix dominant du public s’est porté vers un modèle d’apiculture où l’on combine un meilleur bien-être de l’abeille (plus proche de la nature) tout en assurant un suivi faisant appel aux nouvelles technologies non intrusives dans les ruches. Cela montre que les apiculteurs sont ouverts vers le monde de demain et c’est une bonne chose.