L’apiculture à Bruxelles : une pratique traditionnelle de plus en plus encadrée

Agnès Fayet

Depuis quelques années, une controverse agite des mondes faits pour s’entendre. Celui des apiculteurs. Celui des naturalistes. Celui des amoureux des bestioles qui visitent les fleurs, celles qui souffrent toutes, à des degrés divers, d’un appauvrissement du milieu. Aujourd’hui, on parle de « concurrence », terme bien anthropocentrique pour désigner des pollinisateurs. Le théâtre des enjeux des hommes se cristallise sur Bruxelles. Mais cela pourrait faire tache d’huile.

Hier, de gros ruchers et peu d’apiculteurs

De mémoire d’anciens, Bruxelles est une terre d’apiculture. C’est à Jette, com mune du nord de Bruxelles, qu’a été créée la première association d’apicul teurs en 1755. Un document d’archive datant de 1783 fait état de 237 ruches dans ce qui est communément appelé le Pentagone, c’est-à-dire le cœur histo rique de la capitale. L’origine historique de l’actuelle Société Royale d’Apicul ture de Bruxelles et Environs, devenue récemment Bruxelles m’abeilles, date de 1893. En 1897, c’est à Bruxelles qu’est organisé le premier Congrès International d’Apiculture. La capitale belge accueillera de nouveau l’événement en 1910 et en 1935. Le Palais royal de Laeken disposait alors de son propre rucher, immortalisé par l’appareil photo de la reine Elisabeth.




Plus récemment, dans les années 1970- 80, la norme bruxelloise était matérialisée par des ruchers d’une quinzaine de ruches et des apiculteurs « discrets » dont la devise était « pour être heureux vivons cachés », un modèle que l’on peut résumer par « de gros ruchers et peu d’apiculteurs ». On évalue les ruches à la louche : à Jette une grosse cinquantaine de ruches, un gros rucher de 15 ruches dans le parc de la Woluwe, de notoriété publique, et un autre de taille équiva lente au Rouge Cloître. Une centaine de ruches s’éparpillaient à Uccle. Par ail leurs, certains bruxellois pratiquaient l’apiculture dans des greniers dont plu sieurs Place Jourdan, méthode tombée en désuétude avec la flambée de l’immobilier qui incite à optimiser les espaces habitables.

Aujourd’hui, plus d’apiculteurs et de très petits ruchers

Aujourd’hui, ce modèle est devenu obsolète. Le Code Bruxellois de l’Aménage ment du Territoire div class="encadre"><p l’installation des ruchers. Les ruches sont beaucoup mieux réparties dans l’ensemble de la région bruxelloise. Fait nouveau, l’api culture a été, ces dernières années, le vecteur d’une ouverture des consciences à l’environnement qui se traduit par le fait que 33 % des membres de Bruxelles m’abeilles ne détient pas de colonies. Les chiffres issus du recensement des colonies mis en place pour div class="encadre"><pr l’oc troi des subsides européens annoncent 3,27 ruches/km2 en 2017, 1,63 ruches/ km2 en 2018 et 1,94 ruches/km2 en 2019. Ces chiffres sont calculés sur la superficie de la Région bruxelloise et non pas de la ville de Bruxelles, erreur commise par une récente publication scientifique (voir p. 33).


Déjà en 2014, la SRABE a pris l’initiative auprès de la Ministre Huytebroeck de mettre en place des mesures adminis tratives limitant le nombre de ruches et ruchers et décourageant l’installation de ruchers de taille trop importante. Aujourd’hui, Bruxelles m’abeilles se déclare toujours favorable à un cadastre apicole

Demain, ni ruche ni apiculteur ?

Certains gestionnaires de l’environnement bruxellois (IBGE) militent aujourd’hui pour une nette restriction des ruches à Bruxelles. En cause, des risques liés à la compétition alimentaire avec les abeilles sauvages les plus fragiles et l’éventuelle transmission de pathogènes des populations gérées vers les pollinisateurs sauvages. La politique actuelle tend à privilégier les conservatoires de la nature en ville et les abeilles mellifères, abeilles d’élevage, se retrouvent dans le collimateur des autorités. Les abeilles mellifères sont déjà exclues des réserves naturelles, à Bruxelles comme en Wallonie, et ce sur base de l’avis du Conseil supérieur de la conservation de la nature. Une récente communication ministérielle, qui s’est répandue dans les journaux, a été très mal perçue par les apiculteurs. On y déclarait l’interdiction des ruches dans les zones Natura 2000 de la région Bruxelles-Capitale dès le printemps 2020. La stupeur est venue de la brutalité de l’annonce et du manque de concertation de la principale association d’apiculteurs bruxellois. Rappelons que les zones Natura 2000 représentent un réseau européen où l’interdiction des activités humaines n’est pas la règle. Les États membres sont encouragés à veiller à ce que les sites soient gérés de manière durable en intégrant les para mètres la fois écologiques, sociaux, historiques et économiques. En toute logique, aucun apiculteur ne remet en cause la nécessaire protection des pollinisateurs vulnérables. Les apiculteurs attendent des données plus précises à ce sujet pour ne pas systématiser sans raison une interdiction des ruches dans les zones Natura 2000. Ils saluent par ailleurs le plan de végétalisation utile annoncé par le Ministre du Gouverne ment de la Région de Bruxelles-Capitale, chargé de la Transition climatique, de l‘Environnement, de l‘Energie et de la Démocratie participative, Alain Maron.

Voici un large extrait de la réponse de la Ministre Tellier à Sabine Roberty qui montre plus de nuances de la part du discours politique : « La concurrence entre les abeilles mellifères et sauvages est un faux débat. Le véritable problème provient de la disponibilité des ressources. Jusqu’à la sortie de la seconde guerre mondiale, l’agriculture permettait à tout ce petit monde de cohabiter sans aucune difficulté. Puis, à partir des années 50, les engrais azotés minéraux ont rem placé les légumineuses qui constituaient une ressource importante et de qualité pour les abeilles à langue longue. Les importations de soja et l’extension du maïs fourrager ont également contribué à la disparition des fourrages protéagineux. Cela, ajouté à
d’autres facteurs de stress tels que la disparition des habitats (remembrement agricole, urbanisation) ou l’exposition accrue aux pesticides a engendré un déclin progressif des pollinisateurs sauvages. L’apiculture n’est certainement pas à pointer du doigt. Celle-ci était même plus « intensive » jusque dans les années 70 qu’actuellement puisqu’elle contribuait à une forme d’économie ménagère aujourd’hui disparue. Il n’était pas rare que le facteur et l’instituteur du village disposent d’un rucher de 50 colonies. La « pression » de l’abeille mellifère ne cesse donc de diminuer. Le nombre de colonies d’abeilles mellifères décroît, en lien avec les dépérissements inexpliqués observés ces 2 dernières décennies : en 2007, on estimait le nombre de ruches à 55.000 en Wallonie alors qu’on en dénombre 30.000 aujourd’hui. Le nombre de ruches par apiculteur a lui aussi chuté : de 17 à 8-9 actuellement. L’apiculture change de visage : nombre d’apiculteurs se satisfont de 3 ruches au bout de leur jardin. La répartition territoriale des colonies est donc plus fragmentée qu’auparavant. Il semble donc que, hormis dans certains cas particuliers comme certaines réserves naturelles où l’on observe des équilibres plantes/ insectes fragiles, la pression de l’abeille mellifère, en diminution, ne soit pas à mettre en cause. Pour assurer une cohabitation harmonieuse entre les abeilles sauvages et les abeilles mellifères, il faut avant tout restaurer leurs habitats. Le redéploiement des légumineuses dans nos campagnes via des itinéraires techniques permettant leur floraison ne serait que bénéfique, à la fois pour les pollinisateurs et l’agriculture. Des actions menées en Wallonie sont prometteuses ou portent déjà leurs fruits. Ainsi, les mesures agro-environnementales et climatiques mises en place en Wallonie telles les prairies naturelles, les prairies de haute valeur biologique, les cultures favorables à l’environne ment ou l’autonomie fourragère vont dans le bon sens. Le Plan MAYA a permis de sensibiliser le citoyen et les acteurs publics (essentiellement les communes) à la cause de l’abeille. Cela se traduit concrètement par l’amélioration partout en Wallonie du cadre de vie des pollinisateurs : amélioration des ressources (en quantité et qualité) via une meilleure gestion des espaces publics et privés, diminution de l’utilisation de pesticides, notamment. (…). »


D’une question parlementaire à une autre

La polémique bruxelloise est partie fin 2019 de la réponse du Ministre de l’environnement Alain Maron (Écolo) à la question parlementaire écrite de Bianca Debaets, députée CD&V au Parlement de la Région de
Bruxelles-Capitale. L’ensemble est disponible sur le site du Parlement bruxellois (https://cutt.ly/Fr0wnVw) et nous l’avons commenté sur notre blog (https://cutt.ly/ar0wW1u).

En écho, deux questions parlementaires ont été posées à la fin du mois de janvier 2020 à Céline Tellier (Écolo), Ministre de l’Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal de la Région Wallonne, par Sabine Roberty (21/01) et Sophie Pecriaux (22/01), deux députées PS au Parlement Wallon. Les deux questions évoquaient les mêmes phénomènes de compétition entre les espèces d’abeilles.
Sources : https://cutt.ly/Yr0wTfv et https://cutt.ly/ar0wYg5