La méthode de Palteau

Nicolas Biebuyck - Agnès FAYET

Guillaume-Louis Formanoir de Palteau (1712-1785) est un agronome et un apiculteur des Lumières qui a publié en 1756 un traité d’apiculture novateur pour l’époque intitulé « La Nouvelle construction de ruches de bois avec avec la façon d’y gouverner les abeilles, et l’histoire naturelle de ces insectes ». Soucieux de répondre à la demande en cire qui ne cessait de croitre en France en la seconde moitié́ du 18e siècle, Palteau dévoile aux intellectuels français une ruche de son invention qui insiste sur le choix des matériaux, la forme et la proportion. En plus d’être sans doute le premier auteur apiculteur à vulgariser les découvertes apicoles du grand entomologiste français Réaumur (1683-1757), Palteau serait également le premier, selon la présente étude réalisée à partir de l’ensemble des sources connues, à vouloir rationaliser à l’échelle nationale l’architecture de la ruche dans le but de perfectionner la conservation et la multiplication des abeilles. Pourquoi revenir aujourd’hui sur une méthode du 18e siècle ? Sans doute parce qu’il n’est pas inutile de reconsidérer les réflexions fondamentales des pionniers de l’apiculture moderne pour les mettre en perspective avec nos ruches. Sans doute aussi pour rendre à César ce qui est à César et découvrir ce que Palteau a inspiré.

La ruche Palteau

La ruche inventée par Palteau est composée d’une table, de trois pieds, de plusieurs hausses, d’un couvercle et d’un cadran d’entrée (fig.1). Sur une plateforme horizontale appelée table, reposent les hausses et le couvercle.

Fig.1 : La ruche Palteau (vue en perspective)

Cette table est longue de 52,6 cm, large de 41,7 cm et épaisse de 4 cm. La première pièce de la table (P, Q, S, R - fig.2), située au centre, est un carré dont chaque côté mesure 37 cm . Le centre de cette pièce (T), doit être vu comme un vide carré occupant de 21,7 cm de longueur sur 21, 7 cm de largeur.

Fig.2 : Pièce centrale de la table (vue de dessus)

Le « menton » (M), est un bloc de bois de forme carrée ou trapézoïdale formant une surélévation. V et Y illustrent un tiroir en bois, représenté ici à moitié tiré, placé à l’arrière de la plateforme de la ruche (à l’opposé de M). Une plaque de fer blanc (X), située au centre de ce tiroir, mesure 10,88 cm et est percée de petits trous.
Les 3 piquets (A, B et C - fig.3) sont construits en bois de chêne. Placés en triangle (2 placés à l’arrière de la ruche et le 3e à l’avant), ils soutiennent l’entièreté de la ruche Palteau. Ils mesurent 70,8/73,5 cm de long et doivent être plantés à environ 30 centimètres dans le sol de sorte que la ruche soit surélevée à 40/43 cm environ. Ces piquets assurent la stabilité de la ruche et lui permettent de ne pas être en contact avec l’humidité du sol.

Fig.3 : Les pieds de la ruche

Fig.4 : Le cadran d’entrée

Le cadran est un disque de 11 cm de diamètre en fer blanc accroché sur le couvercle et situé devant l’entrée de la ruche. Le centre du cadran est attaché par un clou permettant à l’apiculteur de le tourner dans un sens ou dans l’autre. Chaque compartiment est utile à un moment donné de l’année. Le disque est partagé en quatre parties distinctes (A, B, C et D - fig.4). A est composée de cinq petites arcades sur le bord. B est percée de plusieurs petits trous permettant de donner de l’air aux abeilles tout en évitant qu’elles ne quittent la ruche. Il faut voir C comme un vide permettant aux abeilles de sortir et d’entrer librement. D est la partie pleine qui ferme l’entièreté de l’entrée de la ruche. Cette invention n’est pas sans rappeler les disques ronds d’entrée de ruche que nous connaissons aujourd’hui (fig.5).

Fig.5 : Entrée de ruche, accessoire moderne

Une hausse (fig.6) de la ruche Palteau est une boîte parallélépipède rectangle construite en bois de pin mesurant 32,6 cm de longueur sur 32,6 cm de largeur sur 8 cm de hauteur.

Fig. 6 : Hausse Palteau

Palteau conseille, une fois les hausses superposées, de les solidariser à l’aide d’un fil de fer (fig.7). L’apiculteur doit le faire passer à travers les 2 crampons qui sont situés sur les 2 côtés extérieurs de chacune des hausses .

Ensuite on tord et on serre le fil de fer (fig. 8) à l’aide d’une tenaille qu’on passe à travers les 2 crampons de chacune des hausses. Le dessous extérieur de chaque hausse présente une petite moulure permettant de crépir (l’auteur n’explique ni comment ni avec quel matériau) les interstices présents entre chaque hausse afin que la ruche ne présente aucun jour (fig.9).

Fif. 8 : Crampons latéraux sur les hausses

Fig. 7 : Hausses empilées

Fig. 9 : Solidarisation des hausses

Le couvercle de la ruche est une caisse rectangulaire en bois posée sur la table. Il sert à couvrir la ruche et à protéger les abeilles des intempéries. Il doit y avoir un espace de 2 ou 3 cm séparant l’intérieur du couvercle et la ruche. Le couvercle est fixé dans le bas du corps de la ruche sur chaque côté par deux crampons qui entrent dans la moitié de l’épaisseur de la table.

Le volume de la ruche et ses dimensions

Palteau a compris l’importance de la taille de la ruche et la nécessité qu’elle soit proportionnée à celle de la colonie. Les abeilles ne peuvent vivre dans une ruche trop grande ni trop petite. Grâce à ses hausses, Palteau peut proportionner ses ruches en enlevant ou supprimant un volume en fonction du développement de la colonie, principe même de la ruche moderne. Il insiste sur la longueur, la largeur et la hauteur de chacune des pièces de sa ruche.

Une ruche multi-bois

Les matériaux des ruches traditionnelles variaient en fonction de la région (terre, bois, paille, pierre). Palteau fait abstraction de la situation géographique et délaisse les matériaux traditionnels en lien avec la tradition locale. Il est original dans sa manière d’utiliser plusieurs variétés de bois pour construire une même ruche. Il a compris que chacune renferme des vertus particulières. Si les hausses sont construites en bois de pin c’est principalement parce que son odeur permettrait d’éloigner toutes les petites vermines telles que les poux ou la fausse teigne. En outre, le bois de pin est léger, ce qui facilite la manipulation des hausses lorsqu’on désire prélever du miel et de la cire. Enfin, c’est un bois qui est perméable et qui laisse respirer l’intérieur des hausses lorsque les abeilles génèrent trop d’humidité dans la ruche. Deuxièmement, Palteau recommande de construire les pieds et la table de la ruche en bois de chêne pour une question de solidité. Troisièmement, le couvercle de la ruche sera construit en bois de sapin en raison de sa légèreté (facilitant la manipulation) et de son imperméabilité (assurant la conservation de la ruche).

L’installation des ruches

Le système des 3 piquets plantés dans le sol pour surélever la ruche et la soutenir permet de libérer l’apiculteur des contraintes liées à l’installation. Plus besoin d’entreposer les ruches les unes à côté des autres sur une même planche. L’installation peut être adaptée au contexte et les ruches peuvent être placées individuellement. Plus besoin d’être disposées en ligne contre un mur ou sous un abri. Plus stable et plus solide, la ruche Palteau est moins sujette aux attaques des grands mammifères (renards, putois, blaireaux…) et est moins facile à voler puisque le couvercle est fixé à la table.

Prophylaxie

Au mois de juillet, période à laquelle les papillons gris de la fausse teigne cherchent à s’installer dans les ruches, Palteau tourne le cadran du côté des petites arcades. Ces dernières sont assez grandes pour faire passer les abeilles mais trop petites pour que la plupart des papillons puissent s’introduire dans la ruche.
Palteau ne semble pas craindre l’humidité dans ses ruches qui sont placées en hauteur. Elles sont bien protégées par le couvercle qui enserre le tout. Pour éviter la moisissure, il conseille de nourrir la table et le couvercle avec de l’huile.
Palteau souligne l’importance de soigner, nourrir et nettoyer les ruches régulièrement. Une colonie forte et bien soignée n’éprouve pas, selon lui, la nécessité d’aller piller d’autres colonies et se défend bien contre les pillages. Il préconise également d’éloigner les colonies les unes des autres. Si un pillage a lieu, il suffit de tourner le cadran d’entrée de la ruche du côté des arcades pour favoriser la défense de la ruche.

Hivernage

Palteau préconisait de réunir les essaims faibles à l’entrée de l’hiver pour les renforcer et leur donner plus de chance de survivre, partant du principe que plus les abeilles sont nombreuses au sein d’une même ruche, plus elles génèrent de la chaleur. Pour éviter l’accumulation de l’humidité sans que les abeilles ne sortent de leur ruche, il recommandait de tourner le cadran de la nouvelle construction du côté des petites ouvertures.

Récolte

Palteau a bien identifié le fait que des ruches formées d’une seule pièce posent un problème au moment de la récolte : agressivité des abeilles, affaiblissement de la colonie, destruction d’une partie du couvain… Ce n’est pas sans conséquences graves pour la colonie et sa survie. Ses hausses, communiquant entre elles par un trou, permettent aux abeilles de monter et de stocker le surplus de miel et d’éviter le dérangement de la colonie au moment de la récolte.

Palteau, un modèle de comportement ?

Même si les méthodes apicoles se sont aujourd’hui grandement améliorées, depuis ces dernières décennies, le varroa, le frelon asiatique, le réchauffement climatique, l’accroissement de l’urbanisation, les pollutions (air, sol, eau) sont incontestablement devenus des paramètres incontournables dans la vie des apiculteurs et des abeilles au point de remettre en question des pratiques acquises. Ces nouvelles menaces bouleversent l’apiculture et remettent même en question la survie des abeilles. Continuer à adapter les pratiques apicoles pour aider les abeilles à faire face à ces dangers apparus soudainement et de manière concomitante semble indispensable. Une apiculture éclairée, à l’image de l’apiculture des Lumières, reposant sur une bonne connaissance des abeilles, de leurs besoins fondamentaux et des dangers qui les mettent en péril est une priorité absolue. Mieux élever pour assurer la conservation des abeilles : un idéal cher à Guillaume-Louis Formanoir
de Palteau.

Références et sources

  • Biebuyck Nicolas, Guillaume-Louis Formanoir de Palteau, un apiculteur français des Lumières,
  • mémoire de recherche en Histoire, Université catholique de Louvain, Faculté de philosophie, arts et lettres, septembre 2019, 170p.
  • les schémas utilisés dans cet article sont issus de l’ouvrage de Palteau