Louis Seret et l’apiculture de partage

Agnès FAYET

Agé de 86 ans, Louis Seret (voir aussi l’entretien dans A&Cie n°171) a été apiculteur toute sa vie, jusqu’à ce que, à 80 ans, des soucis de santé le contraignent à vendre ses colonies. Sa passion des abeilles reste aujourd’hui intacte et il est toujours au rendez-vous pour partager son expérience apicole. Ancien employé communal fossoyeur, il conserve l’équilibre et la force mentale qui lui était nécessaire pour exercer son ancien métier. On pourrait ajouter à ces qualités l’esprit critique, extrêmement perceptible dans les échanges avec lui. Autodidacte, il a beaucoup appris en observant les abeilles. C’est d’ailleurs sa ligne de conduite générale. Enfant, son instituteur était apiculteur… et avare de renseignements. Une piqûre, due à la curiosité de l’écolier, et c’est le prétexte à une explication pour toute la classe : comment enlever le dard, etc… L’expérience précédait le savoir scolaire. Louis ne l’a jamais oublié. Il s’est toujours méfié des dogmes, très présents en apiculture… Louis Seret préfère faire sienne cette maxime de Descartes : « Pour atteindre la vérité, il faut une fois dans la vie se défaire de toutes les opinions qu‘on a reçues, et reconstruire de nouveau tout le système de ses connaissances. » Les connaissances apicoles de Louis proviennent avant tout de ses observations personnelles, de ses lectures (il recommande les numéros de La Belgique apicole de la grande époque : 1950 - 1970) et des rencontres avec les apiculteurs chevronnés de sa région. Il sait faire revivre, dans ses anecdotes instructives, le nom des apiculteurs qui ont fait la gloire de la section de Saint-Georges de la Fédération de Liège : messieurs Lhonneux, Pirlet, Begon, Van Brabant… pour ne citer qu’eux.

Louis Seret a choisi de pratiquer ce qu’il appelle une « apiculture de partage » : « Je laissais toujours beaucoup de miel aux abeilles. Le sucre, il n’y a plus rien dedans. Après avoir passé des mois sur du sucre, comment voulez-vous qu’elles aient de l’énergie au printemps ? » Le partage au sens propre, c’est le partage des récoltes de miel. La notion de partage pourrait être également prise au sens large. Louis l’apiculteur a partagé du temps avec ses abeilles et se souvient encore de certaines colonies très précisément, avec émotion. C’est un temps qu’il a mis à profit pour les observer et découvrir leurs comportements. Selon lui, laisser faire les abeilles est source d’étonnement tant les apiculteurs ignorent encore les raisons des choix qu’elles font. L’apiculture empirique s’adapte aux mystères de la ruche en quelque sorte. Le temps est le secret d’une apiculture en phase avec les abeilles. C’est une disponibilité, comme celle de laisser la colonie essaimer dans un environnement où il est facile de récupérer les essaims qui, comme il paraît, se posent régulièrement aux mêmes emplacements (« Sur 10 essaims, 7 iront se poser au même endroit ! »). Louis l’apiculteur a aussi beaucoup partagé avec ses semblables : des coups de main et des expériences avec les apiculteurs du voisinage, des expériences et des savoirs apicoles avec les élèves du rucher école du Sart-Tilman à Liège, des conseils et des réflexions pleines de bon sens avec tous les intéressés.

REFLEXIONS

... sur l’emplacement des ruchers

« La présence de petit gibier comme les lapins est un très bon indicateur pour placer des ruches. Dans un relief, l’adret est l’endroit qu’ils préfèrent parce qu’il y a un bon microclimat. Au contraire, dans un relief en ubac il n’y a pas souvent de petit gibier : la neige y stagne, il y fait froid et humide. Les abeilles n’ont rien à y faire non plus… »

« Dans la nature, une colonie qui se trouve dans un arbre creux est toujours à couvert. Les abeilles ne s’installent pas naturellement en plein soleil. Il est capital de les abriter sous un rucher couvert ou sous les branches d’un arbre. »

... sur l’isolation des ruches

« L’isolation des ruches par l’extérieur est une bonne solution. Il arrivait aux anciens apiculteurs de cacher leurs ruches dans des meules de foin. Selon mon expérience, réduire ainsi les écarts de température stimule la récolte. »

... sur l’entrée des ruches

« Les petites entrées sont les meilleures. Les abeilles recherchent la sécurité. Une petite entrée permet à la colonie de mieux se protéger. Cela évite aussi les pillages. D’après mon expérience des ruches en paille, les abeilles propolisent et réduisent nettement les ouvertures. Les grandes entrées sont responsables de trop grandes variations de températures entre le jour et la nuit. Cela n’aurait-il pas un impact sur le soin apporté au couvain ? Un couvain qui éclot plus tardivement ou qui est abandonné ne favorise-t-il pas varroa ? »

... sur les ruches pièges

« Il vaut mieux utiliser des ruches bien propolisées par les abeilles, avec deux ou trois vieux cadres. Les abeilles s’installent même dans des environnements qui nous semblent peu accessibles comme des forêts. Le critère important est la taille de l’entrée de la ruche : les ruches avec des entrées larges ne sont jamais occupées. Il faut une petite entrée, un trou où l’on peut à peine passer un doigt. »

... sur les reines d’élevage

« Une colonie avec une reine d’élevage a le même comportement qu’une colonie avec une vieille reine. Elle dégage peu de phéromones. Voilà pourquoi la colonie a tendance à la remplacer. On peut considérer la reine d’élevage (quelle que soit la méthode) comme un élevage de sauveté. Elle n’est pas définitive. Les abeilles ont besoin de faire leur propre choix pour l’élevage royal. »

... sur le clippage des reines

« Si vous clippez la reine, il faut être là si elle sort parce qu’elle va tomber sur le sol et se cacher dans les herbes. Les reines préfèrent se cacher à l’ombre. Les abeilles rentreront dans la ruche et la reine perdue sera remplacée. »

... sur l’introduction des reines en septembre

« Certains apiculteurs introduisent des reines en septembre pour éviter la supersédure. C’est à éviter. Trop tard ! Trop tard ! La reine hiverne alors avec des abeilles avec lesquelles elle n’a pas d’affinité. Quand elle entre dans une colonie étrangère, la ponte de la reine régresse. Il faut vraiment alors de bonnes rentrées de pollen et une bonne météo… »

... sur l’accès aux réserves de nourriture

« Jean Begon disait, « c’est toujours quand on a mis le 2° corps que la colonie démarre convenablement. » Avant, il y a trop peu de provisions au-dessus de la grappe. La hauteur du cadre a son importance pour le stockage des réserves de nourriture. En hiver, si les abeilles doivent aller chercher de la nourriture sur le côté, elles quittent la grappe. S’il y a un coup de froid, elles sont incapables de la réintégrer et il y a un dépeuplement. La grappe ne se déplace pas sur les cadres où il y a de la nourriture. C’est une idée fausse. La grappe passe l’hiver là où se trouve le dernier couvain. »