FICHE PEDAGOGIQUE : La communication sociale Généralités

Agnès FAYET

La communication animale est définie comme un échange d’informations entre plusieurs individus de nature à obtenir une modification comportementale ou physiologique. Chez les insectes sociaux comme les abeilles mellifères, l’émetteur du message utilise plusieurs mécanismes de communication : chimique, vibratoire, auditif, tactile. Cet ensemble de messages est capital pour le maintien de la cohésion de la colonie. Ils contribuent également à sa survie à travers la diffusion de signaux d’alarme ou par la localisation des sources de butinage ou des lieux de nidification par exemple. La communication au sein de la colonie d’abeilles est un système complexe et imbriqué d’informations qui utilise des vecteurs différents et cumulables. Chacun de ces vecteurs de communication fera l’objet d’une fiche individuelle dans les prochains numéros.

Avec qui les abeilles communiquent-elles ?

Les abeilles communiquent essentiellement entre elles (communication intraspécifique) au sein de la colonie à tous les stades de développement et entre toutes les castes. Des cas de communication interspécifique peuvent être relevés avec le monde végétal et c’est essentiellement le végétal qui détient l’initiative. Les fleurs communiquent avec les abeilles (et tous les butineurs) en émettant de faibles champs électriques qui permettent d’informer les insectes que la fleur a déjà été visitée. Cette information s’ajoute aux couleurs, aux formes et aux odeurs destinées à attirer les pollinisateurs. Les fleurs de luzerne par exemple diffusent des allomones* pour aider les abeilles à les localiser. Les allomones des fleurs servent de kairomones** aux abeilles. Dans une situation inverse, au sein du monde animal, la phéromone*** de couvain, qui provoque le comportement d’operculation des cellules par les ouvrières, sert de kairomone à varroa qui perçoit ainsi le signal pour infester son hôte.

Comment les abeilles communiquent-elles ?

La communication tactile
Dans certains cas, la communication passe par un contact physique direct entre l’émetteur et le récepteur du message. C’est le cas des contacts antennaires qui précèdent les échanges de nourriture dans le contexte de la trophallaxie. L’abeille qui va recueillir le nectar place ses antennes entre les mandibules de la butineuse tout en déroulant sa langue. La butineuse répond avec des mouvements d’antennes avant de régurgiter le nectar. D’autres mouvements d’antennes terminent l’opération.

La communication vibratoire
L’archétype de la communication vibratoire dans la ruche est la danse frétillante ou danse en huit théorisée par Karl von Frisch. En résumé, elle permet aux butineuses d’indiquer la direction de la ressource, sa distance et sa qualité. D’autres signaux vibratoires s’ajoutent à la danse de recrutement des butineuses. Pensons au signal de vibration (ou signal de secousse) où une ouvrière fait rapidement vibrer son abdomen pendant une à deux secondes tout en saisissant un destinataire (ouvrière, reine, mâle ou cellule royale) avec ses pattes antérieures. Ces signaux régulent les actions de coopération des abeilles dans la colonie (butinage, essaimage, etc.). Bien souvent, cette communication vibratoire est associée à un autre mode d’expression comme les contacts antennaires ou la diffusion de l’odeur du nectar collecté pendant la danse frétillante. Les sons émis par la danseuse ont également une information à transmettre.


La communication chimique
La communication chimique est un mécanisme de communication très important et très complexe chez les insectes. L’émetteur disperse dans l‘environnement des substances chimiques qui sont détectées par des récepteurs d’information plus ou moins spécialisés situés dans les antennes, les pattes, etc. Certaines phéromones sont impliquées dans le butinage pour un marquage attractif ou répulsif des fleurs. D’autres phéromones contribuent à la cohésion sociale (orientation, phéromones de cour, inhibition de l’essaimage, soin au couvain…). D’autres encore servent à la reproduction de la colonie (phéromones sexuelles, inhibition du développement ovarien des ouvrières…). Les phéromones de défense quant à elles permettent de garder l’intégrité de la colonie. On commence à percevoir aujourd’hui toute la complexité d’un véritable système de communication qui intègre une synergie d’informations, un contexte, des doses chimiques… Les phéromones constituent à la fois un flux d’informations dans la colonie et un outil de prise de décision collective.

La communication auditive
Reines ou ouvrières, les abeilles émettent une variété de sons, des stridulations (piping, tooting), à différentes fréquences, amplitudes et périodicités. Les abeilles sont capables de détecter des fréquences sonores jusqu’à 500 Hz environ et d’émettre des sons audibles par l’oreille humaine (l’espèce humaine peut détecter des sons allant de 20 à 20.000 Hz). Parmi les différentes productions sonores de la colonie, citons le chant des jeunes reines (tooting) émis au cours du processus d‘essaimage sensiblement plus forts pour l’oreille humaine que tout autre signal produit par les abeilles dans la ruche. Le chant émis par les butineuses pendant la danse de recrutement est nettement moins audible. Chants royaux, signaux de défense, chant des ouvrières, sons de recrutement, le monde acoustique des abeilles est encore largement à découvrir.

La communication visuelle
Certaines recherches récentes ont prouvé que les abeilles mellifères sont capables de réaliser une série d’actions guidées visuellement, impliquant la prise de décision dans des situations difficiles et l’apprentissage de concepts abstraits tels que « similitude » et « différence ». Les abeilles prennent des décisions adaptées à certaines situations en fonction d’une interprétation des signaux environnementaux. On ne peut cependant pas envisager ce traitement d’informations visuelles dans le domaine de la communication… Par contre, les photorécepteurs des abeilles mellifères sont optimisés pour détecter les fleurs en opposition aux feuilles et distinguer leurs couleurs. On peut parler ici de communication interspécifique avec le monde végétal qui développe une stratégie de communication pour attirer les butineuses. Pensons à l’inflorescence du marronnier (Aesculus hippocastanum L.) qui fait varier la couleur du centre de chaque fleur (du jaune au rouge) pour signaler que la fleur contient du nectar (jaune) ou a déjà été pollinisée (rouge). Concernant la communication intraspécifique, on peut citer l’attraction visuelle de la reine vierge à l’égard des mâles à courte distance, attraction constituée de certains indices visuels.

* Une allomone est une substance sémiochimique (substance chimique à valeur de signal) produite par un organisme vivant en interaction avec un autre organisme vivant d‘une espèce différente.

** Une kairomone est une substance sémiochimique volatile ou mobile, libérée dans l‘air, l‘eau ou le sol par un être vivant émetteur (plante, animal, champignon ou bactérie) qui déclenche une réponse comportementale chez un autre être vivant récepteur d’une autre espèce. Les kairomones sont des messagers chimiques interspécifiques qui procurent un avantage adaptatif à l‘organisme qui reçoit le signal chimique.

*** Une phéromone est une molécule chimique produite par un organisme, qui induit un comportement spécifique chez un autre membre de la même espèce.