FICHE : Durabilité sociale : Services rendus par les abeilles

Agnès Fayet

La durabilité sociale et environ nementale est affaire de respon sabilité collective et individuelle. Intrinsèquement, le secteur api cole répond à de nombreux enjeux sociétaux de ce point de vue.

Au-delà même de la production (alimentaire) de miel, les apiculteurs et leurs abeilles rendent plusieurs services à la société et s’inscrivent dans un contexte sanitaire, écologique, économique, moral et éducatif fondé sur des valeurs. Résumons dans cette fiche deux des principaux services rendus par les abeilles. Nous verrons dans la prochaine les principaux services rendus par les apiculteurs.

Services de pollinisation

Quantifier les services rendus par la nature est un défi actuel. Selon le programme international Millenium Ecosystem Assessment1 , les services écosystémiques sont « les bénéfices fournis par les écosystèmes, dont les services de prélèvement comme la nourriture, l’eau, le bois, les ressources génétiques ; les services de régulation tels que la régulation du climat, des inondations, des maladies, de la qualité de l’eau ou le traitement des déchets ; les services culturels comme les activités récréatives, les bénéfices liés à l’esthétique, au spirituel, et les services de soutien tels que la formation des sols, la pollinisation ou le cycle des nutriments. »

Parmi les services écosystémiques se trouvent les services de pollinisation. Si chacun s’accorde à dire qu’ils n’ont pas de prix, il est cependant utile qu’ils soient économique ment évalués. Plusieurs méthodes permettent cette évaluation2. Elles intègrent un certain nombre de paramètres comme les plantes mellifères présentes, les pratiques culturales, etc. Un des objectifs du projet Interreg SAPOLL en faveur des pollinisateurs sauvages3 a été d’évaluer ces services. La valeur ajoutée des pollinisateurs en Belgique s’évalue à 251,6 millions d’euros par an c’est-à-dire 11,1 % de la production agricole totale du pays. À elle seule, la culture fruitière du Limbourg représente une valeur de 108 millions d’euros. En Wallonie, la plate-forme Wal-ES4 réunit cadres d’évaluation et bases de données au sujet des services écosystémiques en Wallonie. Ce projet s’inscrit dans la perspective de la stratégie européenne « Biodiversité 2020 »5 dont l’objectif est de diminuer les pressions des activités humaines sur la nature.

Selon un modèle de calcul de l’INRA et du CNRS en France, le service rendu par les insectes pollinisateurs dans leur ensemble a été chiffré à 153 milliards d’euros en 2005, soit 9,5 % de la valeur de l’ensemble de la production alimentaire mondiale. Une autre équipe internationale impliquant l’Inra et le CNRS a exa miné les données issues de 90 études sur la pollinisation des cultures par les abeilles sauvages et domestiques réalisées sur cinq continents (74.000 abeilles appartenant à 785 espèces butinant les fleurs des cultures). Les chercheurs ont conclu que seul une petite minorité d’espèces sauvages fournit l’essentiel des services de pollinisation des cultures.

Selon cette conclusion, 80 % de ces services proviennent du butinage par 2 % d‘espèces sauvages, les plus communes7. Les communautés d‘abeilles sauvages contribuent en moyenne pour plus de 3.000 dollars par hectare à la production agricole mondiale, montant jugé équivalent à la contribution des abeilles mellifères. Maintien et maximisation des services écosystémiques sont des enjeux qui doivent être associés à une approche générique de conservation des habitats et des espèces de pollinisateurs. La présence de pollinisateurs diversifiés, sauvages et élevés, permettrait, selon les chercheurs, d’assurer une pérennisation des services dans la complémentarité et en dépit des variations des ressources8.


Fig. 1 Évaluation des services écosystémiques rendus par les pollinisateurs
• 0 - 10 millions euro
• 10 - 20 millions euro
• 20 - 100 millions euro
• > 100 millions euro

Bio-indication

L’abeille est aujourd’hui largement utilisée en tant que bio-indicateur de la qualité de l’environnement. Rappelons qu’un bio-indicateur est un organisme vivant (végétal, fongique, animal) dont la présence, l‘absence ou l‘état de santé offre des informations sur les caractéristiques d‘un écosystème et permet d‘en évaluer les altérations. L’abeille mellifère peut aisément être observée et évolue largement dans un écosystème. Elle est inextricablement liée à l‘environnement naturel dans lequel elle vit. Elle butine, se pose, prélève des ressources dans son environnement, boit de l’eau trouvée au sol. Cela lui confère un rôle de témoin idéal de la qualité globale de l’environnement. Les abeilles mellifères peuvent servir à caractériser le niveau de contamination de l’envi ronnement9, particulièrement en ce qui concerne les métaux lourds, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les polychlorobiphényles (PCB), etc10 .

Les abeilles mellifères sont aujourd’hui largement utilisées dans le cadre de plans de bio-surveillance environnementale. Leur rôle de « sentinelles de l’environnement » est un argument de communication.

Citons par exemple le projet porté par l’UNAF en France11. Les abeilles sont utilisées en particulier pour mesurer les effets des produits de traitement phytosanitaires en milieu agricole mais aussi pour évaluer, sur le long terme parfois, les conséquences
d’accidents industriels comme celui de Tchernobyl. Les abeilles, ainsi que d’autres bio-indicateurs, servent encore aujourd’hui à mesurer la présence de radio-isotopes dans la zone d’exclusion autour de la centrale nucléaire12.

Notes
1. http://www.millenniumassessment.org
2. Gallai N., Salles J.-M., Settele J. & Vaissière B.E., 2009. Economic valuation of the vulnerability of world agriculture confronted with pollinator decline. Ecological Economics, 68(3), 810-821.
Zulian G., Maes J. & Paracchini M.L., 2013. Linking Land Cover Data and Crop Yields for Mapping and Assessment Pollination Services in Europe. Land, 2(3), 472-492.
Winfree R., Gross B.J.& Kremen C., 2011. Valuing pollination services to agriculture. Ecological Economics, 71, 80-88. S
Ricketts T.H., Regetz J., Steffan-Dewenter I., Cunningham S.A., Krenem C., BogdanskiA., Ge mill-Herren B., Greenleaf S.S., Klein A.M., Mayfield M.M., Morandin L.A., Ochieng‘ A. & Viana B.F., 2008. Landscape effects on crop pollination services : are there general patterns ? Ecology Letters, 11(5), 499-515.
3. http://sapoll.eu
4. http://webserver.wal-es.be
5. http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2012 0146+0+DOC+XML+V0//FR 6. https://www.standaard.be/cnt/dmf20170820_03026143
7. David Kleijn & al. Delivery of crop pollination services is an insufficient argument for wild pollinator conservation, Nature Communications, 16 juin 2015, DOI : 10.1038/ncomms8414
8. Garratt MPD, Breeze TD, Boreux V, Fountain MT, McKerchar M, Webber SM, et al. (2016) Apple Pollination : Demand Depends on Variety and Supply Depends on Pollinator Identity. PLoS ONE 11(5) : e0153889. doi:10.1371/journal.pone.0153889
9. Skorbiłowicz, E., Skorbiłowicz, M., & Cieśluk, I. (2018). Bees as bioindicators of environmental pollution with metals in an urban area. Journal of Ecological Engineering, 19(3).
10. http://www.cari.be/medias/abcie_articles/173_residus.pdf
11. https://www.abeillesentinelle.net
12. Beresford, N. A., Barnett, C. L., Gashchak, S., Maksimenko, A., Guliaichenko, E., Wood, M. D., & Izquierdo, M.(2020). Radionuclide transfer to wildlife at a ‘Reference Site’in the Chernobyl Exclusion Zone and resultant radiation exposures. Journal of environmental radioactivity, 211, 105661.