L’arbre et l’abeille

Agnès Fayet

Les abeilles mellifères trouvent leur origine dans les forêts. A l’échelle de l’histoire, elles proviennent même des forêts tropicales.

Les cavités qu’offrent les arbres (et les pics noirs…) peuvent être considérées comme leur habitat naturel. Mais la forêt n’offre pas seulement le gîte mais aussi le couvert et la pharmacie aux abeilles.

Le gîte

Les travaux du chercheur américain Thomas Seeley sur les abeilles férales nous renseignent sur les préférences des abeilles pour les cavités arboricoles précédemment habitées, plutôt cylindriques, aux parois recouvertes de propolis. Au moment de l’essaimage, les abeilles recherchent des sites de nidification éloignés de plus de 300 mètres de la colonie mère. Une densité de 1 colonie/km2 a été enregistrée dans la
forêt de Arnot où les recherches ont été conduites. Les nids sont généralement situés à une hauteur de 1 à 5 mètres et disposent d’un volume compris entre 30 et 60 litres. La sélection d’un nid par les éclaireuses obéit à un processus complexe parmi lequel les critères suivants ont toute leur importance : faciliter la
défense du nid ; faciliter la conservation de l’hygiène de la colonie ; simplifier la construction des rayons ; simplifier le maintien du microclimat de la colonie ; réduire la compétition avec la colonie mère pour la zone de butinage. Une gestion forestière dans le souci de préserver les arbres à vocation biologique (pas seulement pour les abeilles mais aussi pour les oiseaux et les chauve-souris) est capitale.

Le couvert

Chacun sait que la saison apicole est rythmée par le calendrier des floraisons. Les plantes forestières mellifères tiennent une importance considérable, depuis la floraison du noisetier et des perce-neiges en début d’année (premières rentrées de pollen dans les colo nies) jusqu’à la floraison du lierre des bois au début de l’automne. La floraison du saule marsault en mars-avril sonne l’heure des premières grosses récoltes de nectar et de pollen et s’accompagne du tapis d’anémones sylvie. Puis c’est le tour de l’épine noire, du prunellier, du merisier, des fruitiers, des érables avant l’arrivée de la grande miellée de mai-juin marquée par l’aubépine, le robinier faux-acacia, le châtaignier, sans oublier les ronces qui bordent les envi ronnements forestiers. Le tilleul quant à lui signe la miellée d’été. Les arbres tiennent une place prépondérante dans l’alimentation des abeilles mellifères. Le spectre pollinique des miels analysés est là pour nous le rappeler.

La pharmacie

La propolis est le premier « outil » dans la pharmacie des abeilles. Cette résine sécrétée par les arbres est responsable de ce qu’il convient d’appeler l’immunité sociale de la colonie. Les propriétés antibactériennes, antivirales et antifongiques de la propolis contribuent à l’hygiène et à la santé du nid. Les abeilles tapissent les fissures et aspérités de leur nid avec ce mastic naturel. Les peupliers sont une source majeure de propolis pour les abeilles mais elles font aussi des prélèvements dans les aulnes, les saules, les marronniers, les bouleaux, les pruniers, les frênes, les chênes, les ormes, le lierre ainsi que plusieurs conifères.

Les abeilles s’intéressent aussi à la litière forestière et au bois mort en décomposition. Elles y collectent des champignons ou plus exactement un « miellat fongique » aux propriétés antioxydantes et antivirales (voir Abeilles&Cie n°184 - « Une mycorévolution pour les abeilles »). Ce prélèvement s’apparente à une auto médication des abeilles.

La litière forestière abrite enfin les alliés de la colonie que sont les pseu doscorpions (Chelifer cancroïdes) (voir Abeilles&Cie n°173 - « Retour à l’équi libre » : Chelifer cancroïdes versus Varroa destructor et Abeilles&Cie n°186 - « Apprendre des abeilles). Ces prédateurs naturels d’acariens sont prometteurs dans la lutte biologique contre varroa.Pus d’infos

Si la forêt est le biotope originel des abeilles, elle bénéficie aussi de leur présence dans le cadre de plans de lutte contre la déforestation donnant à l’élevage des abeilles mellifères un rôle économique : complément de revenu pour les populations vivant dans les forêts, en particulier dans les forêts tropicales dont la valeur intrinsèque commence à être reconnue sur le plan juridique Voir Valérie Cabanes. Une façon de retrouver l’harmonie hommes-abeilles-forêts ?

Références
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