L‘effet du changement climatique sur le nectar

Laura COLOMBO Traduction : Etienne BRUNEAU

Combien dʹentre vous se posent la question : « Ces changements climatiques influencent-ils la quantité et la qualité du nectar ? » Cʹest vrai, je me pose souvent cette question, mais je nʹai jamais pu y donner une réponse satisfaisante. Je ne suis pas apicultrice depuis de nombreuses années (seulement 8 ans) mais, à ma petite échelle, jʹai remarqué, surtout ces dernières années, un changement climatique drastique qui se traduit souvent par des gelées tardives, des pluies excessives, des floraisons étranges et hors période.

Jʹai participé au congrès dʹAapi à Grosseto. Les apiculteurs étaient très intéressés dʹapprofondir le débat sur le climat et le nectar. Le rapport de Massimo Nepi, professeur associé de botanique à lʹuniversité de Sienne et celui de Daniele Alberoni (qui mʹa donné lʹoccasion dʹécouter et de prendre conscience de ce qui arrive à la floraison des acacias lors de variations de températures) mʹont tellement fasciné que je vais aussi essayer de vous expliquer comment le climat influence la quantité et la qualité du nectar.

L’augmentation des températures


Le premier facteur à prendre en compte lorsqu‘on parle de sécrétions et de flux de nectar est l‘augmentation de la température moyenne de notre planète. Je vous invite à regarder la vidéo « global temperature anomalies from 1880 to 2017 », disponible sur les pages web de la NASA afin que vous puissiez vous rendre compte à quel point la situation a changé de l‘ère préindustrielle à aujourd‘hui. L‘augmentation des températures a provoqué une augmentation progressive des périodes de sécheresse, un phénomène qui touche davantage la zone méditerranéenne et donc aussi l’Italie. Dans la zone méditerranéenne, la température moyenne a augmenté de 1,4 °C par rapport à l‘ère préindustrielle, une valeur supérieure à l‘augmentation moyenne de la planète, et les précipitations ont diminué de 10 à 30 %

Même si l‘on parle de variation par rapport à l‘ère préindustrielle, le changement réel a été enregistré au cours des 30 dernières années, les 5 dernières années ayant enregistré des records continus à la hausse.

La vitesse de changement

Le principal problème du changement brutal est que les espèces n‘ont pas assez de temps pour s‘adapter : l‘évolution prend beaucoup de temps pour que les individus s‘adaptent et perpétuent leurs caractéristiques gagnantes au sein de l‘espèce. En outre, les changements soudains ont égale ment des effets non seulement sur les organismes individuels, mais aussi sur leurs interactions complexes et sous-estimées par l’homme.

Les plantes, bien sûr, ne font pas exception : elles aussi se trouvent en difficulté, à la fois en tant qu‘individus, en tant que populations et en tant qu‘ac teurs d‘interactions avec d‘autres formes de vie (micro-organismes, insectes, autres pollinisateurs, espèces herbivores, etc.).


Des effets indirects…

La fleur et le nectar, qui sont l‘interface avec les pollinisateurs, sont les éléments les plus affectés par l‘augmentation de la température. Tout d‘abord, les changements climatiques peuvent avoir des effets tant directs qu‘ indirects sur la production de nectar par la fleur. Les effets indirects affectent toute la plante, ce qui peut donner lieu à des floraisons étranges en automne-hiver ou à la fin de la période de floraison, et cela crée un découplage entre la présence de fleurs et la présence réelle d‘insectes (en particulier les pollinisateurs).

Les floraisons tardives auront donc un effet négatif sur celles du printemps, car réduction de la quantité de nectar disponible pour les abeilles. Comme on peut le deviner, tous ces effets sont amplifiés par l‘augmentation de la sécheresse. Un autre effet indirect est la photosynthèse (processus par lequel la plante produit des sucres), si la température est trop élevée (plage optimale 25-30°C). La plante dans ce cas réduit son activité photosynthétique, et donc la production de sucres, avec des conséquences directes sur la sécrétion future de nectar.

Ce phénomène, nous a expliqué Nepi, peut également se produire quelques jours après l‘événement climatique défavorable, ce qui explique la rareté du nectar même dans des conditions apparemment favorables, mais suivies de jours de chaleur excessive. Si, au contraire, les températures sont optimales, la plante peut produire beaucoup de sucre et l‘accumuler pour la sécrétion ultérieure de nectar.


Diagramme de la viscosité en relation avec la température.
Source : Nicolson S., Nepi M., Pacini E. 2007. Nectaries and Nectar. Springer, Dordrecht (The Netherlands)

… et directs

Les effets directs, en revanche, ne prennent en compte que le nectar, c‘est à-dire la quantité et la qualité. Le nectar est un composé biochimique constitué d‘eau et de sucres (dérivés dans la plupart des cas de la photosynthèse) mais contient également d‘autres substances telles que des protéines, des acides aminés, des acides organiques et des métabolites secondaires comme des composés organiques volatils, des alcaloïdes, etc..., des substances qui ont un rôle très important pour attirer ou repousser nos abeilles. L‘effet direct sur la qualité du nectar concerne précisément les métabolites secondaires contenus dans le nectar que la plante utilise, entre autres, pour se défendre du stress.

Si ces substances proviennent d‘une plante saine, qui fleurit dans des conditions idéales, elles sont très attrayantes pour les abeilles ; si elles sont produites par une plante stressée, elles ont un effet répulsif. Pour expliquer ce phénomène, le professeur Nepi a pris comme exemple la fleur d‘oranger, qui produit de la caféine comme métabolite secondaire ; si le nectar en contient de petites quantités, l‘alcaloïde stimule la capacité de mémoire des abeilles ; inversement, si la quantité est plus importante parce qu‘elle est produite par une plante en situation de stress, la caféine a un effet dissuasif : les abeilles seront moins attirées par le nectar d‘oranger.

Une étude n‘a pas encore été réalisée sur les effets que les métabolites secondaires présents dans le nectar peuvent avoir sur les abeilles en fonction du changement climatique. Nous ne savons pas encore si les changements bio chimiques provoqués par l‘augmentation de la température peuvent ou non avoir des effets sur la santé de la ruche, mais nous savons que le changement climatique met en danger la disponibilité des ressources alimentaires telles que le nectar et le pollen.

La viscosité

Un autre aspect très important du nectar, qui peut varier considérablement avec le changement climatique, est sa viscosité, c‘est-à-dire sa fluidité. Elle varie en fonction de la température et de la concentration en sucre : lorsque la température augmente, l‘eau contenue dans le nectar a tendance à s‘évaporer, ce qui fait que la concentration en sucre a tendance à augmenter, ainsi que sa viscosité. Ce phénomène influence grande ment la capacité de l‘abeille à prélever du nectar car, comme nous le savons, notre insecte possède un appareil suceur-lécheur (glosse terminé par un flabellum qui peut s’imprégner de nectar).

La viscosité optimale pour l‘abeille correspond à une concentration en sucre de 35 à 40 %, tandis qu‘avec une viscosité trop élevée, l‘activité de succion sera beau coup plus difficile, voire impossible. Pour comprendre ce phénomène, il suffit de penser à une journée venteuse, avec une très faible humidité relative de l‘air, par une belle journée de mai : l‘acacia est blanc, il est beau, mais ses branches sont droites (elles n‘ont pas à supporter le poids de l‘eau habituellement conte nue dans le nectar), il ne sent pas et les abeilles jouent aux cartes sur la planche d’envol, et laissent les apiculteurs l‘es prit bien tranquille. Cela vous parle-t-il ?

Article traduit de la revue l’apis
| A P R I L E / M A G G I O | 4 |
2 0 2 0 p 38-40
Photo : Sara Oldan