Un Focus Group sur l‘apiculture pour le futur

Etienne Bruneau

Comment assurer la durabilité de lʹapiculture face aux défis liés aux parasites et aux maladies, à l‘intensification de lʹagriculture et au changement climatique ?

Telle était la question posée par lʹEIP-AGRI* à vingt experts européens provenant de 16 pays différents et issus tant de la recherche, que du terrain ou encore d’associations d’assistance aux apiculteurs. Ces personnes se sont réunies à deux reprises pour harmoniser les résultats de leurs réflexions et définir les priorités à donner aux différentes pistes élaborées et cela avec l’aide de personnes rouées à l’animation de groupes.

La mission donnée aux experts a été dans un premier temps de faire une espèce d’état des lieux de la situation. Il a été demandé à chacun de réfléchir et d’identifier en fonction de sa spécificité et de sa connaissance du terrain, des pratiques et des outils apicoles durables pour faire face aux défis posés par la question de base, de même que les pratiques agricoles durables qui influencent l‘apiculture. L’objectif était également de recueillir les connaissances existantes sur les moyens de surveiller l‘effet des conditions environnementales et climatiques, des pratiques apicoles et des pratiques agricoles sur la santé et la production des abeilles.

Les mini papers

Sur base d’un rapport préalable sur la durabilité de l’apiculture établi par une experte suédoise, les experts ont commencé à définir ensemble les différentes pistes de travail qui leur semblaient devoir être suivies pour répondre au mieux aux besoins des apiculteurs dans le respect des abeilles tout en répondant à la question posée. C’est ainsi que plu sieurs groupes de travail ont été mis en place pour créer de petits dossiers qui font état des tenants et aboutissants de problèmes rencontrés sur le terrain. Voici la liste de ces petits dossiers appellé « mini papers ».

1 : Plate-forme d‘information au niveau de l‘UE
2 : Lutte contre les maladies et situations d‘urgence
3 : Développer l‘élevage en restant le plus proche possible des condi tions de vie naturelles des abeilles
4 : Unité de conseil en apiculture. Infor mation et formation
des apiculteurs
5 : Monitoring
6 : Pratiques visant à atténuer les principaux facteurs de stress pour la santé des abeilles : pesticides et manque de ressources
7 : Apiculture et élevage durables

Pour chacun de ces dossiers, il était demandé aux experts d’identifier à partir de la pratique les recherches qui restent nécessaires et de proposer des orientations possibles pour la recherche future. Dans un second temps, l’ensemble du groupe a établi des priorités d’actions. C’est ainsi que 6 axes de recherche ont été considérés comme prioritaires. Les voici par ordre de priorité :

1.Créer une plate-forme européenne permettant de mieux relier la recherche et la pratique et de contribuer à la collecte et à l‘échange efficaces des connaissances. Elle devrait être relayée et reliée aux centres locaux afin d‘examiner correctement les questions spécifiques au contexte et de garantir l‘accessibilité, la crédibilité et la visibilité des informations pour les apiculteurs. Pour ce faire, il conviendrait de prendre en considération les questions spécifiques liées à la langue et à la normalisation ou à l‘interprétation des données provenant des outils de surveillance.

2.Déterminer et évaluer un indice permettant de synthétiser l‘état sanitaire des abeilles individuelles et de leurs colonies, qui peut être utile à plusieurs fins liées à la santé des abeilles et à l‘évaluation des risques (effets des facteurs de stress liés à l‘agriculture). Cela pourrait déboucher sur l‘élaboration d‘un outil d‘urgence comme la création d’une « ambulance » apicole qui pour rait fournir une assistance en cas de situation d‘urgence (par exemple, en cas d‘épidémie).

3.Explorer les effets de l‘exposition aux facteurs de stress de l‘agriculture, notamment : la connaissance de l‘ef fet des nouveaux produits chimiques, y compris leurs effets sublétaux et leurs interactions avec d‘autres pro duits chimiques ou facteurs de stress tels que la qualité et la quantité des ressources en fleurs.

4.Améliorer les technologies et les méthodes pour une apiculture durable, comme l‘utilisation d‘une taille de cel lule de cire naturelle en combinaison avec l‘élimination régulière du cou vain de bourdons ou l‘application de substances organiques au lieu de pro duits chimiques de synthèse.

5.Améliorer les efforts d‘élevage dans tous les pays afin de maintenir les populations locales d‘abeilles mellifères, ainsi qu‘identifier les populations résistantes à varroa. L‘élevage d‘abeilles locales et d‘abeilles domestiques bien adaptées à leurs conditions climatiques améliorera la résilience.

6.Travailler sur l‘identification, la communication et la mise en œuvre de pratiques visant à réduire les risques pour les pollinisateurs avec les apiculteurs et les agriculteurs. Tester et découvrir les meilleures pratiques d‘atténuation en termes d‘efficacité, sensibiliser les agriculteurs à l‘importance des abeilles et des pollinisa teurs, travailler sur des accords entre apiculteurs et agriculteurs - appliqués par les autorités locales -, etc.



Cadre illustrant les conditions favorables et les moyens de mise en œuvre pour soutenir les priorités définies par le groupe de réflexion pour réaliser la vision « des abeilles saines dans un environnement durable » en 2030.

Les groupes opérationnels**

Il a ensuite été demandé aux experts de proposer des idées d’actions innovantes prioritaires qui pourraient être reprises par des groupes opérationnels ou d‘autres formats de projets afin de tester des solutions et des opportunités et des moyens d‘échanger les connaissances pratiques recueillies au-delà du groupe de réflexion.

Sept idées principales ont ainsi été retenues pour les groupes opérationnels du EIP-AGRI. Il est important de savoir que si la France a intégré dans sa politique de financement l’outil des groupe opérationnels, ce n’est actuellement pas le cas de la Wallonie. Les propositions couvrent un large éventail de types de projets, allant de l‘expérimentation de solutions ou de pratiques de gestion au niveau de la ruche à des modes de coopération ou d‘échange de connaissances. Les voici par thème :

Thème : Lutte contre le varroa

Idée 1 : Tester les effets de la découpe du couvain de mâles et la réduction de la taille des cellules pour lutter contre le varroa.
Idée 2 : Une meilleure collaboration entre apiculteurs pour moins de varroas. L‘objectif est d‘atténuer l‘infestation de varroas dans les ruchers au niveau local, en encourageant la coopération des api
culteurs, pour organiser et mettre en œuvre un calendrier commun pour le traitement de contre le varroa.

Thème : Construction et méthodes de gestion des ruches

Idée 3 : Gestion des ruchers dans les conditions les plus défavorables/ extrêmes. Il est prévu ici de se concentrer sur la protection des ruchers contre les principales menaces posées par le changement climatique dans une zone spécifique (temps très chaud, sécheresse) ou contre des menaces telles que les oiseaux ou Vespa velutina.
Idée 4 : Petits changements « BEE-G » (grands) résultats. L’objectif est de mieux comprendre les pratiques d‘apiculture et d‘élevage, en examinant plus particulièrement les matériaux et les techniques de la ruche (par ex. : différentes conceptions des parois de la ruche), en fonction du climat et de la situation locale. L‘objectif est d‘accroître la résilience des abeilles et d‘améliorer leur bien-être et leur santé.

Thème : Collaboration

Idée 5 : Créer des ponts entre les agriculteurs et les apiculteurs pour une agriculture respectueuse des abeilles. Cette idée vise à développer une application/plateforme pour le partage d‘informations en temps réel entre agriculteurs et apiculteurs et à obtenir un accord commun sur ce qu‘est une stratégie « favorable aux abeilles ».
Idée 6 : Des passerelles entre les agriculteurs et les apiculteurs, pour discuter et communiquer les bonnes pratiques et les adapter à l’échelle locale. L‘idée de ce projet est de développer un guide de communication à une échelle très locale qui pourrait par la suite être transposée à d’autres régions similaires.
Idée 7 : De la nourriture pour les abeilles Il y a un manque de nourriture pour les abeilles à certains endroits. Cela affecte non seulement les abeilles domestiques mais aussi les abeilles sauvages et c’est à l‘origine de la mauvaise réputation dont jouissent les apiculteurs dans cer tains contextes. Ce projet comporte un aspect de coopération entre les agriculteurs, les apiculteurs et d‘autres acteurs, visant principalement à accroître la disponibilité de la nourriture pour les abeilles.
Idée 8 : Programmes éducatifs pour les éleveurs d’abeilles. Le gain de bonnes pratiques d‘élevage par les apiculteurs amateurs serait bénéfique pour toutes les abeilles. Les connaissances acquises en matière d‘élevage ne seraient pas axées sur les races, mais sur des caractéristiques telles que l‘agressivité, le comportement des essaims et la résistance à varroa.

Le rapport final

Sur base de tout ce travail, un rapport final a été réalisé. Après un rappel de la méthodologie utilisée, il cherche à répondre à la question suivante : Que savons-nous des défis à relever pour la santé des abeilles et que pouvons-nous faire pour résoudre les problèmes ? Le groupe d’experts a identifié un certain nombre de « choses à faire » ou de priorités pour maintenir les colonies d‘abeilles en bonne santé. Pour faciliter la compréhension des facteurs clés et de leurs solutions, le rapport est divi sés en différents niveaux d‘action : a) la colonie d‘abeilles ; b) le rucher ; c) le paysage ; et d) l‘apiculteur. A chacun de ces niveaux, le contexte et les questions clés sont présentés, puis, ce qu’il est possible de faire, et enfin, les références aux minipapers qui abordent le sujet.

Voici sous forme télégraphique, les points et les actions clés pour chacun de ces niveaux d’action. Le rapport développe en détail chacun de ces points.

Le statut sanitaire de la colonie d‘abeilles
Principaux problèmes identifiés :
Détermination et évaluation de l‘état sanitaire des abeilles
Méthodes de gestion adaptées aux conditions locales
Diversité génétique des abeilles
Les voies d‘avenir :
Élaborer et mettre en œuvre un index pratique synthétisant l‘état de santé des abeilles.
Développer et évaluer des méthodes techniques de lutte contre varroa pour une apiculture durable.
Communiquer l‘importance de la diversité génétique pour une apiculture durable.


La santé des abeilles de la colonie au rucher

Principaux problèmes identifiés :
Collaboration pour la collecte, le partage et l‘interprétation des données issues de la surveillance, de l‘apiculture de précision.
Environnement durable autour de la colonie d‘abeilles - les activités envi ronnantes.
Les voies d‘avenir :
Mesurer et évaluer l‘exposition aux facteurs de stress de l‘agriculture en combinaison avec la qualité et la disponibilité des ressources alimentaires au niveau du rucher.
Interpréter et partager des données recueillies dans le cadre de la surveillance, tant des facteurs biotiques qu‘abiotiques.
Cartographier le paysage autour du rucher pour en assurer la durabilité.

L‘interaction avec le paysage (impliquant tous les acteurs du paysage)
Principaux problèmes identifiés :
Les effets sublétaux des produits chimiques dans un environnement où les facteurs de stress sont multiples.
Environnement durable autour de la colonie d‘abeilles et collaboration entre les acteurs concernés.
Les voies d‘avenir :
Identifier, mettre en œuvre et communiquer les pratiques d‘atténuation de stress pour les abeilles parmi les apiculteurs et les agriculteurs. Gérer la complexité par la collaboration.

L‘apiculteur : des connaissances et des compétences pour des abeilles en bonne santé
Principaux problèmes identifiés :
Mise à disposition des connaissances (issues de la recherche et de la pratique). Développement des compétences.
Les voies d‘avenir :
Créer une plate-forme européenne pour la connaissance de l‘apiculture reliant la recherche et la pratique.
Licence pour les apiculteurs, une norme paneuropéenne.

Tout cela représente un travail très conséquent de la part de tous ces experts qui ont pris sur leur temps pour permettre d’arriver à un tel résultat. Espérons que cela puisse déboucher sur un maximum de réalisations concrètes qui devraient améliorer la situation de notre apiculture.

(Tous ces documents sont présentés sur le site de l’EIP-AGRI —> Focus group —> Bee health and sustainable beekeeping).

*EIP-AGRI

Le partenariat européen d‘innovation pour la productivité et la durabilité agricoles (EIP = European Inno-
vation Partnership) vise à promouvoir une agriculture et une sylviculture compétitives et durables qui « font plus et mieux avec moins ». Il contribue à assurer un approvisionnement régulier en denrées alimentaires, aliments pour animaux et biomatériaux, en développant son travail en harmonie avec les ressources naturelles essentielles dont l‘agriculture dépend.

EIP-AGRI a été lancé en 2012 pour contribuer à la stratégie de l‘Union européenne « Europe 2020 » pour
une croissance intelligente, durable et inclusive. Cette stratégie fixe le renforcement de la recherche et de
l‘innovation comme l‘un de ses cinq principaux objectifs et soutient une nouvelle approche interactive de
l‘innovation : les partenariats européens pour l‘innovation.

**Groupes opérationnels
Les groupes opérationnels sont les fruits de l’EIP-AGRI et sont destinés à rassembler de multiples acteurs
tels que les agriculteurs, les chercheurs, les conseillers, les entreprises, les groupes environnementaux, les
groupes d‘intérêt des consommateurs ou d‘autres ONG pour faire progresser l‘innovation dans les secteurs
agricole et forestier.