Introduction à la lecture de la colonie

José Artus avec l’appui d’Agnès FAYET

Aucun acte posé n’est anodin lorsqu’on interagit avec des organismes vivants, a fortiori en apiculture où nous intervenons dans la vie d’êtres très complexes dont les réalités éthologiques (comportementales) et biologiques échappent au plus grand nombre. Les apiculteurs ont-ils toujours une conscience aigüe de la complexité des paramètres qui s’entrecroisent ? La bonne compréhension de la colonie est fondamentale pour aider les abeilles et ne pas être un obstacle à leur développement et à leur santé. Connaître les mécanismes complexes qui participent à l’harmonie de la colonie permet d’être un apiculteur gardien d’abeilles c’est-à-dire un apiculteur qui garde ses abeilles. Il ne faut pas perdre de vue que c’est grâce à la compétence des apiculteurs que les abeilles vivent.

Observer et réfléchir avant d’agir

La pratique apicole est fondée essentiellement sur une analyse des choses observées au rucher. Cette analyse est cruciale pour ajuster et rendre pertinentes les interventions de l’apiculteur. Observer ses abeilles et continuer à vérifier les constats que l’on fait permet de baser les interventions de l’apiculteur sur une compréhension des phénomènes qui interviennent dans les équilibres de la colonie. C’est ce qu’on appellera une analyse évolutive qui porte sur l’expérience de l’apiculteur et sur une période de temps qui permet la prise de recul. L’apiculteur doit être en capacité d’analyser les phénomènes qui interviennent dans la vie et l’évolution de ses colonies et de réagir en fonction de ce qu’il constate. Une année n’est pas l’autre. Une colonie n’est pas l’autre. Il n’y a pas de règles à suivre mais bien la capacité d’acquérir des réflexes de « bien agir » au rucher. Connaître les abeilles et leurs besoins constitue la base pour respecter l’homéodynamique de la colonie, c’est-à-dire l’équilibre de ses mécanismes fondamentaux internes et externes.

Un exemple : la compréhension de la physiologie de la grappe hivernale

Chercher à comprendre les impacts des pratiques apicoles est capital. La question principale que tout apiculteur a le devoir de se poser est : comment ne pas perturber la colonie ou le faire le moins possible ? Il est primordial de comprendre la physiologie de la grappe afin d’éviter de faire des erreurs qui pourraient être fatales. La mise en hivernage d’une colonie en est un exemple concret. Il s’agit de limiter au maximum les perturbations vécues par la colonie après la récolte du miel et de ramener la colonie dans une situation d’équilibre le plus rapidement possible.

De quoi le métabolisme général de la grappe dépend-il principalement ?

1. De la taille de la grappe par rapport au volume de la ruche ;
2. De la nourriture, c’est-à-dire de l’énergie pour les abeilles chauffantes ;
3. De l’air (à ne pas confondre avec les courants d’air) ;
4. D’une isolation évolutive au fil de l’année.

Comment répondre concrètement à ces besoins de la colonie ?

Plusieurs paramètres entrent en jeu pour évaluer la capacité d’une colonie à faire un bon hivernage, outre l’état sanitaire vis-à-vis de la varroase. Tous ces facteurs sont interconnectés et l’équilibre ne sera possible que si les fondamentaux de la grappe sont respectés.

1. Le volume d’abeilles

Une colonie hiverne sous la forme d’une grappe ellipsoïdale à l’état naturel que l’on comparera à une sphère avec un volume et une circonférence propre pour se la représenter plus facilement dans l’espace de la ruche à cadres mobiles. Les réserves de nourriture se trouvent en périphérie. L’objectif de la grappe est de maintenir autant que possible des conditions stables de températures et d’humidité afin de limiter au maximum les dépenses d’énergie. Ces dépenses sont principalement liées à la chauffe. Un tampon est donc nécessaire pour limiter l’amplitude des variations de température. On appelle ce tampon l’accumulateur d’énergie. En périphérie de la grappe, la colonie se constitue une couche spécifique isolante appelée tégument. On comprend alors l’importance du volume de la grappe. Plus le volume est grand, moins l’abeille devra fournir de l’énergie à titre individuel. Le superorganisme sera dès lors plus résilient. À l’opposé, une grappe trop petite imposera aux abeilles en son cœur une dépense énergétique conséquente afin de maintenir des conditions stables. Cela induira un vieillissement général de la grappe et dans le pire des cas, un destin funeste si les chocs ne peuvent être encaissés. On considère qu’une grappe de 18 cm de diamètre a 0°, soit 7 à 8 cadres dans une ruche Dadant-Blatt, a de bonnes chances de pouvoir faire face aux hivers les plus rigoureux.

On peut illustrer ceci avec quelques mathématiques de base. Si l’on prend une sphère, son volume se calcule comme suit :


Et sa circonférence comme suit :


Il est intéressant de comparer les volumes et circonférences pour une grappe de 18 cm et une grappe de 14 cm. On obtient donc :


Si l’on compare le rapport Volume/Circonférence on obtient pour un diamètre de 18 cm un rapport de 54 cm3/cm et pour 14 cm, 33 cm3/cm, soit presque moitié moins. On comprend ainsi l’importance du diamètre de la grappe. Et, comme expliqué précédemment, l’autorégulation des conditions au cœur de la grappe s’en trouve favorisée dans le cas d’une grappe ayant un gros volume.


2. Les réserves de nourriture

Une abeille isolée représente un corps sec. Par contre, une fois qu’elle a ingéré une substance sucrée liquide dans son jabot, elle devient un corps chaud, producteur d’énergie. L’ensemble de la grappe, le superorganisme, se comporte alors comme un organisme à sang chaud. Comme dit précédemment, les réserves de nourriture se trouvent en périphérie de la grappe. Les abeilles doivent pouvoir y accéder sans risquer de ne pas être capable d’en revenir. Par contre, il est nécessaire également de s’assurer que les abeilles du cœur de la grappe disposent d’un lit constitué de sucre liquide (mélange glucose-fructose, eau non-operculé, 75 à 80 % de matières sèches). Une colonie d’abeilles à l’enclenchement de l’hivernage doit donc disposer d’une substance sucrée liquide (glucose-fructose, eau avec 75 à 80 % de matières sèches) pour faciliter les échanges de chaleur.

Un passage sera organisé au-dessus des cadres pour que les abeilles puissent accéder à la nourriture par le dessus (et non par l’avant, ce qui ne présente aucun intérêt pour la colonie). Le passage d’été de 6 mm sera augmenté à 15 mm en période hivernale. Ceci n’est possible que dans le cas d’un fond fermé VENTILÉ sans courant d’air. Toutefois, si on veut hiverner, en dépit du bon sens, une colonie fond GRAND ouvert, il faut que les ruelles soient fermées au-dessus par exemple avec un feutre de jute de 5 mm d’épaisseur posé à même les cadres afin d’éviter un effet cheminée. On constate aujourd’hui que les colonies ont du couvain tard en saison. Il n’est pas rare de trouver du couvain le 20 octobre. C’est très tard quand on sait que le pollen représente la clef de voûte pour achever la maturation d’une jeune abeille pendant les 10 jours qui suivent son émergence. C’est la condition pour que sa durée de vie soit optimum et que ses corps gras soient achevés. Il y a une corrélation entre la quantité/qualité de pollen et la qualité des abeilles présentes. Il faut donc penser à ce besoin capital et permettre l’accès à du pollen en utilisant des nourrisseurs à pollen avec un accès par le milieu (et pas par l’avant). En ce qui concerne le sirop de nourrissement, il faut se tourner vers des sirops qui sont adaptés aux besoins des abeilles, des sirops qui se rapprochent le plus possible des qualités nutritionnelles du miel. Et, naturellement, pas de candi en hiver ! Comprendre que les abeilles d’hiver se préparent dès l’été au sein de la colonie est fondamental. De ce fait, il est important de ne pas leur retirer leur récolte jusqu’à la dernière goutte.

À l’automne, voici donc les les 4 étapes de préparation :
1. 12 à 14 Kg distribués au prélèvement du miel ;
2. S’assurer de rentrée de pollen à cette période ;
3. Traitement ;
4. Solde pour les provisions 5 à 6 semaines plus tard : nouvelle distribution de sirop ;
5. Pollen d’engraissement pour les jeunes abeilles ;
6. Constitution du lit pour la grappe (au 15 octobre) soit 3 à 4 kg pour une ruche et 2 kg pour une ruchette.

Ce planning est prévu pour des colonies avec une population hivernale de 40 à 50 000 abeilles. L’objectif étant de chercher un compromis d’équilibre entre l’optimum biologique et les exigences d’une apiculture rationnelle dans un contexte environnemental et climatique défavorable.

3. L’air

La ventilation de la ruche est essentielle pour que la grappe respire. Elle permet l’arrivée d’air nouveau et l’évacuation du gaz carbonique. Il s’agit ici de ventilation et non de courant d’air. Les courants d’air imposent une dépense constante d’énergie aux abeilles pour maintenir des conditions stables au sein de la grappe. Ces pertes d’énergie inutiles peuvent être évitées. Il faut bien garder à l’esprit que l’air est également le vecteur d’humidité au sein de la ruche. Une comparaison simple peut être faite avec une maison. Lorsque les murs sont chargés d’humidité, nous avons beaucoup plus de mal à chauffer. L’humidité ambiante capte la chaleur. Il faut donc d’abord sécher l’humidité pour faire augmenter la température. Chez nous, cela se traduit par une facture d’énergie plus salée. Chez les abeilles par contre, une augmentation de la consommation d’énergie peut se traduire par la mort de la colonie si la demande énergétique pour leur permettre de vivre dans un habitat sain ne peut être comblée. L’humidité représente donc le pire ennemi d’une grappe qui hiverne. Pour éviter l’accumulation d’humidité et favoriser le renouvellement de l’air, cinq zones de passage d’air sont prévus sur la ruche :
1. Le trou de vol ;
2. La face avant ;
3. Deux fentes d’aération latérales de 3 à 5 mm sous le fond de ruche (3a et 3b) ;
4. Une fente d’aération à l’arrière du fond ;
5. Un dispositif régulateur d’évacuation de l’air réchauffé dans la partie supérieure de la ruche qui, dans ces conditions, évacue l’humidité.

Le fond a une hauteur minimum de 12 cm sur lequel est posée une grille kemp. Les abeilles pénètrent dans la ruche par le trou de vol et doivent monter le long de la face avant pour entrer dans le corps de ruche. L’air pénètre également par le trou de vol. Grâce à la fente d’aération prévue sur la face arrière du fond (4), il se crée un écoulement laminaire balayant le dioxyde de carbone hors de la ruche (le dioxyde de carbone, plus lourd que l’air, s’accumule au fond de la ruche). Une partie de l’air au sein de la ruche monte vers la grappe aspirée par la chaleur de celle-ci. En traversant la grappe, l’air se réchauffe et se charge en humidité avant de sortir par le dispositif dans la partie supérieure (5). Les fentes latérales (3a et 3b) permettent de faire monter l’air le long du corps ce qui permet d’éviter la condensation sur les parois.

4. L’isolation

L’isolation hivernale (état de la grappe sans couvain) optimale est un système respirant et un volume sous forme de grappe suffisant, constitué d’un tégument et d’une couche intermédiaire entre le cœur de grappe et le tégument. Dans le cas où la grappe a la taille minimum espérée, la combinaison des éléments suivant constituent un exemple d’une isolation efficace et testée :

  • Une partition à droite en polyuréthane (Stehr) recouverte d’une couche de Duoreflex (film à bulles isolant constitué de 5 couches : 2 films aluminium, 1 film polyéthylène ignifugé de renfort et 2 films bulles en polyéthylène ignifugé) (lorsque l’on regarde la ruche par l’arrière) ;
  • Une partition à gauche en polyuréthane (Stehr).

Dans la toiture, il suffit d’un volume d’air stabilisé et renouvelable qui coiffe la colonie. Par exemple en allant du corps de ruche vers le toit :

  • Une toile 5 mm en fibre de jute ;
  • Un volume d’air stable (chasse abeille inversé et ventilé) ;
  • Une couche de polycarbonate de 5 ou 6 mm d’épaisseur que l’on place au contact du toit en hiver et au contact des abeilles en saison ;
  • Le toit.

Dans le cas où la grappe est trop petite il faut un tégument artificiel…Par exemple, une miniplus sur un corps n’a pas l’espace nécessaire à la formation d’un tégument (elle perfore ses cadres).

L’isolation des côtés de la ruche permet d’éviter aux abeilles les chocs thermiques. Une isolation avec des matériaux en aluminium offre un bénéfice réel aux petites colonies. Des partitions en polyuréthane ou en aluminium ont leur importance. Il faut également noter que l’isolation par la droite avec la partition Stehr recouverte du Duoreflex n’est pas anodine. La colonie au printemps se développera spontanément de la droite vers la gauche.
Il faut noter que l’isolation doit être très soignée également pour affronter l’été. S’il ne faut pas isoler le dessus d’une colonie en période sans couvain, il est crucial de l’isoler du chaud !

Que se passe-t-il si l’on donne du candi à une colonie dans un habitat trop isolé, sans couvain ?

Elle hibernera très mal car elle consommera beaucoup, dès lors elle vieillira très vite et ne sera pas constituée d’un tégument naturel régulateur.

Conclusion

La grappe hivernale a les meilleures chances de survie si elle a un diamètre minimum de 18 cm et qu’elle se trouve à 3 ou 4 cm du plafond de la ruche. Des réserves de nourritures, autrement dit un accumulateur d’énergie, se trouvent dans la périphérie proche de la grappe. Le cœur de la grappe possède un lit de substance sucrée liquide à disposition. Finalement, un système de ventilation permettant le renouvellement de l’air ainsi qu’une isolation optimale (partitions latérales et air stabilisé coiffant la ruche) assureront à la grappe des conditions les plus proches possibles de leur habitat naturel comme défini par Lindauer en 1955 et relayé par Gérard Claerr à savoir : absence de courants d’air, d’humidité, un volume correspondant à la population et conservant bien le renouvellement de la chaleur et de l’air.

La lecture de la colonie et les réponses à lui apporter

La régulation de l’homéodynamique de la colonie nécessite des apports extérieurs : de l’eau, un rapport équilibré entre sucres et protéines, une quantité appropriée de macro et micro nutriments (vitamines)… Pour que l’équilibre au sein de la colonie puisse exister, certains paramètres liés à l’environnement extérieur sont à prendre en considération comme le choix de l’emplacement du rucher, son exposition, les ressources alimentaires à disposition, etc. En ayant pleinement conscience de tous les besoins des abeilles, l’apiculteur est en capacité de favoriser leur potentiel. Nous vous proposerons dans les prochains numéros une série d’articles techniques basés sur la logique illustrée ici c’est-à-dire comprendre les besoins de la colonie, réfléchir et y répondre efficacement en apiculture.