FICHE : Les abeilles et le stress xénobiotique

Agnès Fayet

Le stress xénobiotique (substance étrangère présente dans l’organisme) provient du contact des abeilles avec des polluants (pesticides, métaux lourds, médicaments) présents dans l’environnement ou dans la ruche. Le stress xénobiotique peut avoir des conséquences sur la survie de l’abeille à titre individuel mais peut également avoir des conséquences au niveau moléculaire, physiologique et cognitif sur l’ensemble de la colonie. Des études, de plus en plus nombreuses, révèlent le danger des contaminations anthropiques des colonies causant des altérations irréversibles et des dommages permanents aux populations d’abeilles mellifères.

Effets délétères des xénobiotiques d’origine agricole, apicole et industrielle

Des combinaisons de fongicides, d’insecticides, d’acaricides et d’herbicides ont montré des effets interactifs chez les abeilles, parfois via des mécanismes encore indéterminés. Les effets neurotoxiques des pesticides sur les nourrices peuvent par exemple altérer leurs réponses comportementales face aux larves royales, ce qui peut altérer l’anatomie et la physiologie des reines. La santé de la reine et de toute la colo nie par voie de conséquence peut aussi être affectée par la présence de pes ticides dans les glandes hypopharyn giennes des nourrices.

Des effets synergiques ont égale ment été relevés entre les molécules chimiques d’origine agricole et les traitements acaricides des colonies (coumaphos, fluvalinate). Certains xénobiotiques fréquemment utilisés en apiculture et connus pour s’accumuler dans les ruches, en particulier via la cire, peuvent avoir des effets physiologiques méconnus. L’état nutritionnel et la sensibilité aux agents pathogènes des abeilles mellifères pourraient être compromis par les impacts des xénobiotiques sur le maintien de l’épithélium de l’intestin moyen.

Les xénobiotiques d’origine industrielle ne sont pas des contaminants à négliger non plus. Ces substances entrent en contact avec la surface du corps de la butineuse et peuvent avoir un effet plus ou moins rapide sur la vie de l’insecte et de la colonie en fonction de leur toxicité. Ces polluants sont fréquemment rapportés dans la ruche et peuvent contaminer le reste des abeilles par contact ou trophallaxie. 200 molécules volatiles d’origine industrielles ont déjà été retrouvées dans les ruches et peuvent s’accumuler non seulement dans les organismes mais aussi dans les matrices (cire, miel, pollen) : PCB, hydrocarbures, retardateurs de flamme, etc.

Le stress nutritionnel

La qualité des nutriments peut influencer la toxicité des xénobiotiques. C’est particulièrement vrai pour la qualité et la quantité des protéines alimen taires. La sensibilité aux pesticides des abeilles adultes dépend partiellement de la qualité du pollen consommé dans les dix premiers jours après l’éclosion. Plus le pollen consommé est alors de bonne qualité, plus grande sera la résistance aux pesticides.
L’autre facteur qui influence le potentiel de santé de la colonie, est la diversité de leur environnement. Un contexte hétérogène en ce qui concerne la disponibilité des ressources peut influencer la réponse de détoxification et, par conséquent, l’impact des pesticides sur les abeilles adultes. Des zones d’habitats naturels peuvent offrir des sources de nectar et de pollen plus variées et protéger les abeilles des pesticides à la dérive.

La détoxification


Apis mellifera présente un déficit en gènes de détoxification si on la compare à d’autres insectes. La sensibilité des abeilles mellifères aux pesticides n’est globalement pas plus importante que d’autres insectes mais ce décifit en gènes de détoxification peut les rendre plus vulnérables aux interactions synergiques entre différents stresseurs xénobiotiques. La détoxification enzymatique est moins efficace. En parallèle, la majorité des effets synergiques observés chez les abeilles ont été attribués à l’inhibition des enzymes détoxifiantes de l’intestin moyen (P450) impliquées dans le métabolisme des xénobiotiques. Autrement dit, non seulement les abeilles mellifères ne sont pas bien dotées pour détoxifier leur organisme mais les effets synergiques accentuent ce problème.

Bien sûr, chez un animal eusocial comme l’abeille mellifère, des comportements participent à ce qu’on peut appeler un système de détoxification sociale. Parmi ces comportements, notons par exemple la capacité des butineuses à sélectionner pollen et nectar ou la transformation des ali ments par la colonie (mélange de pollens, fermentation microbienne…). Ces comportements réduisent la quan tité de produits toxiques ingérés néces sitant une détoxification enzymatique.

L’abeille, témoin de la pollution environnementale

Les réponses physiologiques et comportementales des abeilles mellifères aux xénobiotiques ainsi que les traces laissées par les polluants dans les matrices apicoles font des colonies d’abeilles d’excellents bioindicateurs de la qualité de l’environnement. Des biomarqueurs (de neurotoxicité, du métabolisme, du système immunitaire et de génotoxicité) ont été mis en place pour évaluer les réponses toxicologiques des abeilles mellifères, ce qui représente un outil important pour réaliser et compléter un suivi environnemental.

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