EDITO : Tourner la page

Etienne BRUNEAU

Les événements importants se sont succédés ces deux derniers mois, nous amenant une série de nouvelles informations dont certaines questionnent notre façon de faire de l’apiculture. Un des moments phares était sans nul doute le week-end sur l’apiculture naturelle qui a apporté une série d’éléments qui remettent profondément en cause notre façon de travailler dans les ruches. Ici un petit flash-back semble nécessaire. Fin du 19e siècle, les premières ruches à cadres ont été mises au point. Cette approche révolutionnaire à cette époque, a permis de faire un pas de géant en permettant à chaque apiculteur de découvrir ce qui se passe dans ses colonies. On a appris à jouer avec le dynamisme de la colonie en la poussant à récolter bien plus que ce dont elle avait besoin. Côté sélection, on s’est lancé dans des élevages de reines puis dans l’insémination artificielle et les fécondations contrôlées. On a ainsi pu diffuser très largement des races d’abeilles répondant mieux aux besoins des apiculteurs. A l’époque l’environnement était très favorable, même si le climat plus froid ne permettait pas des miellées exceptionnelles comme nous les connaissons depuis peu. Cette évolution qui semblait si positive a pourtant un revers. Pendant un siècle, ce grand mouvement où l’homme a cru pouvoir maîtriser « totalement » la nature pour la gérer avec un objectif presque exclusif de profit personnel nous a amené à des dégradations environnementales sans précédents, pour ne parler que de çà.
Aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce qu’étaient les débuts des ruches à cadres. On s’étonne lorsque les pertes de colonies ne dépassent pas 10 % (30 à 40 % étant la norme), on parle de perte de biodiversité, de compétitions entre les insectes pollinisateurs, de contaminations. On voit les choses avec des yeux différents et on remet en question nos pratiques. Contribuent-elles à ces dépérissements ?

La leçon de ce week-end était : si l’on respecte beaucoup mieux les règles biologiques des abeilles et de la nature, les colonies peuvent se défendre sans notre aide face aux agents pathogènes. Elles peuvent malgré tout nous permettre d’en tirer un revenu. Plusieurs de nos pratiques perturbent leur comportement de base et affaiblissent leur capacité de résistance. De récentes publications nous apprennent aussi que la nature est beaucoup plus sélective que nous mais que son modèle de sélection maintien la biodiversité au sein des populations qui résistent.
De là la question : comment faire pour être plus à l’écoute des besoins fondamentaux des abeilles tout en ne retournant pas pour autant à l’époque des paniers ? Il existe un mouvement de retour à une apiculture plus naturelle avec par exemple la ruche Warré ou kenyanne. Cette dernière n’est pas trop adaptée à notre climat trop froid mais la Warré l’est bien. D’autres ruches pourraient convenir à condition de revoir une série d’éléments (présence de propolis, meilleure gestion de l’humidité et de la température, cires plus naturelles, modification de la gestion de l’essaimage…). Il faut limiter au maximum nos interventions dans les ruches pour les aider à préserver leur « cocon » dont la température et l’humidité sont contrôlées en permanence. Il faut trouver des solutions alternatives à la médication classique qui détruit les auxiliaires qui aident les abeilles à se défaire des parasites.
J’ai l’impression que l’on se retrouve à l’aube d’une nouvelle époque où l’on va profondément modifier notre apiculture en développant de nouveaux outils afin de maintenir et même améliorer le suivi que nous faisions mais sans pour autant perturber les colonies. Le développement rapide des outils de suivi vont accélérer le changement. On peut contrôler à distance des paramètres internes de la colonie (température, humidité, vibrations) et externes (détection des sorties et entrées d’ouvrières et de mâles, présence de prédateurs, météo…), et l’analyse des bases de données permet des comparaisons de l’activité en relation avec l’environnement et avec les autres colonies… On peut vraiment parler d’une explosion des solutions proposées aux apiculteurs ou encore en cours de développement. L’analyse génétique ouvre également de nouvelles portes. Sur base de l’analyse des débris tombant sur un lange, on peut pratiquement faire un diagnostique complet des agents pathogènes présents dans la ruche. Les outils d’analyse du génome sont de moins en moins coûteux et ouvrent de nouvelles perspectives. En résumé, plus de technologie pour mieux suivre et s’adapter aux besoins de la nature.
J’espère que du modèle de l’homme (l’apiculteur) qui maîtrise la nature (les colonies) en vue de son profit nous pourrons rapidement évoluer vers des systèmes plus en harmonie avec la nature et nos abeilles. Ce sont grâce à ces systèmes qui génèrent plus de richesse collective et qui sont basés sur une compréhension et un respect mutuel que nous pourrons vivre demain. Pour cela il nous faut cependant tourner la page.