AILLEURS : Un archipel à préserver

Etienne BRUNEAU

L’archipel de Nouvelle-Calédonie qui couvre 18.600 km2, est étonnant à plus d’un titre. Un centre de promotion de l’apiculture (CPA) y développe la filière apicole depuis 1985. Voici une analyse des grands axes de développement de l’apiculture dans ce Pays d’Outre Mer (POM) toujours lié à la France.

La Grande terre (île principale) de 400 km de long sur au plus 64 km de large se situe à 1407 km à l’est-nord-est de l’Australie et à 1477 km au nord-nord-ouest de la Nouvelle Zélande. Elle est bordée au nord-est par les îles Loyauté beaucoup plus petites : Lifou, Maré, Ouvéa at Tiga.
Le caractère isolé de la Nouvelle-Calédonie, sa topographie (altitude maximale de la chaîne de montagne qui la traverse : 1629 m), sa flore très diversifiée (plus de 3000 espèces endémiques) et le peu de monocultures intensives y créent un contexte qui semble favorable au développement d’Apis mellifera. Aujourd’hui, les abeilles mellifères sont bien présentes et on dénombre (donnée de 2017) sur l‘ensemble du pays quelque 700 détenteurs de ruches qui gèrent un cheptel de 12.000 colonies, réparties sur 1200 ruchers. Malgré une flore très abondante, la production de miel reste pourtant assez faible car la production annuelle est de l’ordre de 160 tonnes. C’est lié au fait que les apiculteurs n’enregistrent que de petites miellées qui se suivent au fil de l’année avec un ralentissement en mauvaise saison (hiver austral).


Le Centre de Promotion de l‘Apiculture (CPA) de Boghen, composé d‘une station apicole expérimentale et d‘un rucher école, accompagne le développement de la filière depuis plus de 30 ans, avec pour missions principales, le suivi sanitaire du cheptel par la coordination du Réseau d’Épidémio Surveillance Apicole (RESA), la sélection génétique, la connaissance des plantes mellifères, la caractérisation des miels et le transfert des bonnes pratiques (formation, suivi technique, expérimentation). Il dépend de l’ADECAL Technopole de Nouvelle-Calédonie, une structure associative à l’interface entre le monde de la recherche et le secteur privé, financée par les collectivités publiques pour accompagner le développement de plusieurs filières agricoles (apiculture, tubercules tropicaux, céréales, maraîchage, aquaculture, projets innovants...).



Le CPA géré par Romain GUEYTE occupe une dizaine de personnes dont une botaniste, Céline CHAMBREY, en charge des aspects flore et produits, une vétérinaire, Margot CAMOIN, coordinatrice du RESA assistée par Aurore PUJAPUJANE pour l’animation du réseau, de quatre techniciens apicoles en charge d‘un rucher de près de 200 ruches réparties dans 9 ruchers et des formations et des suivis techniques dans les différentes régions, d’un ouvrier agricole et d’une secrétaire/ logisticienne.
Le centre est implanté au centre de la Grande île à Bourail, mais il y a également une antenne sur Lifou.


Amélioration du potentiel génétique

L’abeille mellifère n’est pas indigène là-bas. Introduite par les pères Maristes après la colonisation, l’abeille mellifère se retrouve sur la grande île sous forme d’un croisement mellifera avec ligustica. Le CAO réalise une sélection massale basée sur la productivité, le caractère hygiènique et la douceur.
Sur Lifou, l’abeille noire n’a pas été hybridée et présente encore aujourd’hui une pureté exceptionnelle (génotypage réalisé en 2018 par le CNRS) au départ d’un grand nombre d’échantillons. Ils ont pour projet d’en faire un conservatoire de l’abeille noire. Sur Ouvéa, c’est l’abeille australienne et néo-zélandaise importée dans les années 90 qui s’est implantée.
La base du programme de sélection géré par Romain est massale même s’il a recours dans certains cas à l’insémination artificielle. Afin de contrôler leur travail, ils envoient des reines en métropole et travaillent avec une vingtaine d’apiculteurs qui reçoivent chacun une dizaine de reines en test. Sur base de leurs commentaires, les 10 meilleures sont sélectionnées.

Des plantes aux miels

La connaissance des plantes mellifères est une composante primordiale de l’activité d’apiculteur qui doit en permanence rechercher des sites les plus bénéfiques au développement de ses abeilles. Les actions sur les plantes mellifères sont menées notamment pour accroître la connaissance des plantes endémiques ou indigènes enNouvelle-Calédonie ayant un haut potentiel mellifère et permettant une valorisation du miel produit.
Dans ce cadre, le CPA et plus particulièrement Céline, cherche depuis plusieurs années à améliorer la connaissance et la caractérisation des miels produits localement, afin de pouvoir mettre en avant leurs spécificités. Leur miel phare est le miel de Niaouli dont la caractérisation est en cours. Des analyses de terrain très fines permettent de mettre en évidence la représentation de cet arbre dans un rayon de 1,5 km des ruchers producteurs de ce miel. Ces données du terrain viennent en complément des analyses physico-chimiques et polliniques qui ont été réalisées sur ces échantillons. En parallèle, les polyphénols de miels de Niaouli mais également d’autres miels (20 échantillons en tout) ont été réalisées en 2018 et semblent très prometteuses en relation avec leur activité biologique.



Un objectif parallèle est de constituer une palynothèque transférable aux laboratoires d’analyse des miels afin de renforcer leur capacité à interpréter les pollens présents dans les miels et de mieux caractériser les miels calédoniens. Notre laboratoire du CARI est régulièrement sollicité pour ce travail.

Afin d’améliorer les connaissances en matière d’analyse organoleptique des personnes chargées de juger les miels, trois jours de formation leur ont permis de mieux pouvoir caractériser leurs miels sur la base de la roue des arômes. L’organisation de leur concours miel a ainsi été profondément revue afin d’y apporter une plus grande finesse et plus de professionalisme.
Les miels de Nouvelle calédonie présentent des caractéristiques très particulières sur le plan organoleptique. Vu la flore très diversifiée qui peut être butinée par les abeilles, le spectre des arômes est particulièrement étendu (6 à 7 sous-classes aromatiques) et l’on y retrouve une intensité moyenne à forte que ce soit au niveau des arômes et/ou des saveurs et sensations. Des notes peu fréquentes comme les arômes de fruits exotiques (ananas, mangues…) ou pétrochimiques peuvent même être bien présentes dans quelques miels. Les notes arômatiques les plus fréquentes ont une base de caramel qui peut arriver à la mélasse en complément d’un mélange de notes florales et de fruits cuits, de notes boisées, de mélange d’épices… Les miels sont rarement acides mais par contre, ils peuvent dans certains cas développer une amertume qui peut être très importante (proche de celle de l’arbousier). Le miel de palétuvier peut quant à lui avoir un goût salé, ce qui est très rare.
Parvenir à caractériser leur miel de Niaouli leur a permis de mieux le repérer quand il est en mélange avec d’autres origines florales.
En 2016, un groupe de travail « MIEL » composé des représentants apicoles et des administrations concernées a été créé pour que la filière puisse orienter les travaux sur les produits de la ruche. En plus de ce qui est cité ci-dessus, la filière a également analysé les appellations/certifications possibles à mettre en œuvre en Nouvelle-Calédonie ainsi que les modalités de rédaction et validation des fiches du guide des bonnes pratiques apicoles : 3 fiches sont déjà réalisées.

Veille sanitaire

Cette île a la chance d’être encore indemne de varroase et a mis en place une politique de protection bien utile. Toute importation de matériel biologique est interdite depuis 1997 afin de préserver ces îles de l’importation des varroas, de Tropilaelaps claerae, d’Acarapis woodi ou encore d’Aethina tumida. La veille sanitaire apicole y est un pillier essentiel. Le Réseau d‘Épidémio Surveillance Apicole (RESA) qu’ils ont mis en place a donc pour principaux objectifs d‘assurer la détection précoce de nouveaux pathogènes et d‘améliorer l‘état sanitaire du cheptel. L’investissement dans ce domaine est similaire à celui de pays comme la Tchéquie, la Slovaquie, la Suède… qui disposent également de nombreux apiculteurs spécialisés pour assurer un suivi sanitaire.
Globalement, la situation sanitaire n’est pas parfaite car ils sont confrontés à des problèmes de loques américaine et européenne mais surtout à une présence très forte de couvain plâtré. Les conditions d’humidité sont parfaites pour le développement de cette mycose. Plus d’une larve sur deux sont atteintes dans certaines ruches.
Margot et Aurore du RESA sont ainsi en charge de mettre en oeuvre une veille sanitaire apicole, via la réalisation de visites sanitaires des exploitations apicoles et ont mis en place des ruchers sentinelles afin de prévenir l’introduction de pathogènes exotiques des abeilles ou d’espèces d’abeilles nuisibles sur le territoire. Ces ruchers sont placés dans les zones les plus à risque d’introduction ou d’implantation (ports, sites miniers et zones à forte densité de ruches). Des contrôles y sont réalisés régulièrement pour vérifier l’absence d’acariens. Elles comptent également installer prochainement des pièges à essaims équipés de capteurs de température et d’humidité pour pouvoir vérifier l’arrivée d’abeilles provenant de porte-containers.
C’est le RESA qui centralise les déclarations de ruchers, assure leur géolocalisation avec les apiculteurs, coordonne l‘activité des agents sanitaires apicoles qui réalisent les visites sanitaires, et assure le suivi des ruchers sentinelles. Le système de déclaration de ruchers repose sur le volontariat des apiculteurs qui, conscients des enjeux, déclarent à 60% leurs colonies.

Pratique apicole

Au niveau de la pratique apicole, plusieurs domaines sont abordés comme le suivi de production de miel et de pollen, les techniques de lutte mécanique contre varroa… De nombreuses formations sont données (ex : 13 semaines de formation, 10 journées thématiques) et surtout, un appui technique est offert aux apiculteurs avec 300 visites réalisées chaque année.
Divers tests sont également réalisés : production de propolis, usage de matériel et isolation de ruches, conception et mise en place d’un réseau de balances connectées (Lycée du Mont-Dore),…


Tout cela représente un travail impressionnant réalisé par une jeune équipe pleine de dynamisme. Nous leur souhaitons pleine réussite afin de préserver au mieux l’activité apicole dans ces îles qui nous font rêver.