FICHE : Durabilité sociale : Les services rendus par les apiculteurs

Agnès Fayet

Le secteur apicole répond et répondra à plusieurs enjeux impliquant des services rendus à la société. Il s’inscrit ainsi dans ce qu’on appelle la « durabilité sociale », notion pas toujours bien définie.

La durabilité sociale intègre des éléments d’équité et de lutte contre l’exclusion sociale1 mais aussi l’idée d’un accès partagé aux services, la création de liens humains, le tout dans une logique de durabilité des pratiques et des rapports sociaux. Parmi les services rendus par les apiculteurs, le plus évident est la pérennisation de la production alimentaire qui s’ajoute à la production d’aliments à haute valeur ajoutée. Mais nous pouvons envisager bien d’autres services attachés au contexte écologique, sanitaire, économique, éthique, informationnel et éducatif.


Contexte économique

Économie circulaire
La production de miel en Belgique et en France est bien loin de couvrir tous les besoins. Les apiculteurs locaux n’ont aucun mal à vendre localement un produit qui a encore bonne réputation malgré certaines malversations minoritaires et les problèmes d’adultération des miels court permet d’entrer économique ment dans une démarche durable mais aussi de participer à des projets collectifs avec d’autres producteurs locaux (AMAP-GASAP). De ce fait, on devient pleinement acteur de l’économie locale.

Services de pollinisation
La valeur économique des services de pollinisation est aujourd’hui chiffrée et on se rend compte qu’elle n’est pas négligeable selon les indicateurs économiques publiés en juin 2020 par la Fondation Heinrich Böll dans son « Atlas des insectes »2 . Elle est surtout inestimable, c’est-à-dire qu’elle dépasse le seul domaine de l’économie.
Tous les insectes pollinisateurs ont un rôle à jouer dans ces services essentiels. La variété des pollinisateurs est bénéfique à l’écosystème et à la production agricole. La présence de pollinisateurs diversifiés, sauvages et élevés, permettrait d’assurer une pérennisation des services dans la complémentarité et en dépit des variations des ressources3. Parmi les pollinisateurs, les abeilles mellifères jouent un rôle primordial dans la pollinisation de certaines cultures.

Le service de pollinisation répondant à la production alimentaire est une mission essentielle de l’apiculture.

Contexte écologique : la préservation de la diversité génétique

Les apiculteurs contribuent pleinement aux enjeux collectifs que sont la préservation de la diversité génétique et la prévention face à l‘introduction de prédateurs et de ravageurs invasifs. Ils sont en première ligne pour observer l’avancée du frelon asiatique (vespa velutina) et tenter de la contrôler. Ils sont mis à contribution dans la surveillance de l’avancée du petit coléoptère des ruches. Concernant la préservation de la diversité génétique, c’est d’abord celle d’Apis mellifera dont il s’agit. Une pratique apicole durable a conscience du péril de l’étranglement génétique. Des conservatoires travaillent par ailleurs à la préservation des écotypes d’Apis mellifera mellifera, l’abeille noire occidentale. Par ailleurs, la question de la préservation des pollinisateurs sauvages doit être prise en considération dans la pratique apicole aujourd’hui.

Contexte sanitaire : production et traçabilité

Dans le contexte de la production alimentaire, il est légal et légitime de s’inscrire dans une démarche de traçabilité pour offrir aux consommateurs un suivi de toutes les étapes de la production : récolte, transformation, distribution… Aujourd’hui, à l’heure où les fraudes et les contre façons touchent le marché du miel à plus ou moins grande échelle, il est certain que l’enjeu de l’apiculteur est d’offrir une garantie de qualité, une traçabilité optimum de son produit. La meilleure carte à jouer est celle de la production locale, garantie par des analyses polliniques. Une valorisation de type AOP-IGP adossée à des techniques de production irréprochables est susceptible d’aider à construire l’image d’un miel local, produit santé et délicatesse culinaire.

Contexte éthique

Chaîne de valeurs
Aujourd’hui, une partie des consommateurs est sensible aux conditions dans lesquelles sont produits les aliments. La production dans le respect d’une chaîne de valeurs n’est pas un argument à négliger : circuit court, matériaux utilisés (ruches, cire, conditionnement, etc.) respect des caractéristiques biologiques de l’animal... Certains éléments de cette
chaîne de valeurs restent encore confidentielles dans le monde apicole mais l’intérêt grandissant des consommateurs pourrait rendre ces questions plus prégnantes à l’avenir.

Développement social et culturel
Les apiculteurs sont souvent les interlocuteurs naturels des citoyens, simples curieux ou porteurs de questions en lien avec leur environne ment proche. Les questions tournent généralement autour de la pollinisation, du miel mais concernent aussi les abeilles sauvages qui s’installent dans les jardins et près des maisons. Les abeilles terricoles et les osmies sont encore trop souvent l’objet de craintes et les apiculteurs contribuent à dédramatiser, expliquent et ras surent. L’apiculteur est abordable : c’est un voisin, c’est un habitué du marché… Ses explications sont des petits services rendus naturellement, au gré d’une conversation. C’est un petit service de proximité. Un autre service bien utile à l’échelle locale est l’enlèvement d’essaims…

Contexte informationnel et éducatif

Transfert de compétences et de connaissances
Il arrive aussi que l’apiculteur transfère ses compétences et ses connaissances de manière plus formelle. Il le fait généralement dans le cadre de cercles ou sections apicoles via des conférences ou dans le cadre de ruchers écoles dans le but de former de nouveaux apiculteurs. La pérennisation d’une pratique apicole qualitative passe par des apiculteurs bien formés et bien conscients de leurs responsabilités.

Adaptation aux changements En outre, les apiculteurs, plutôt auto nomes dans leur pratique apicole, vont devoir faire face à des changements à plus ou moins long terme, en premier lieu à des changements climatiques, qui vont nécessiter des adaptations à différents niveaux :
• L’évolution technique (apiculture de précision) ;
• La finesse des interventions dans les ruches ;
• Des modifications de pratiques (transhumance…) ;
• Des prises de décision face à la variabilité des productions ;
• Un recours aux possibilités d‘infor mation et de formation ;
• Un recours aux échanges entre apiculteurs (services…) ;
• Une adaptation aux modifications des ressources végétales ;
• Une adaptation économique aux fluctuations du marché.

La durabilité ne sera pas un vain mot dans un contexte instable. Des pratiques durables bien intégrées dans la société pourraient s’avérer déterminantes.


Rendement des cultures qui nécessitent des pollinisateurs (en %) en fonction du type d’insectes qui visitent les cultures (pour 100 visites). La figure indique l’apport des abeilles mellifères seules, celui des autres abeilles solitaires, syrphes et bourdons et de l’ensemble de tous ces pollinisateurs. Les rendements maximum sont obtenus avec l’ensemble des pollinisateurs.

Références
1. Lafferty W., 2004, « From environmental protection to sustainable development : the challenge of decoupling through sectoral integration » in Lafferty W. (éd.) Governance for sustainable deve lopment : the challenge of adapting form to function, Edward Elgar, Cheltenham, p. 191-220.
2. https://butine.info/atlas-2020-des-insectes/
3. Garratt MPD, Breeze TD, Boreux V, Fountain MT, McKerchar M, Webber SM, et al. (2016) Apple Pollination : Demand Depends on Variety and Supply Depends on Pollinator Identity. PLoS ONE 11(5) : e0153889. doi:10.1371/journal.pone.0153889