EDITO : Abeilles et apiculteurs : en route pour la lune de miel

Agnès FAYET

Abeilles&Cie… Le titre de notre revue place les abeilles au centre de nos préoccupations. Elles le sont plus encore aujourd’hui qu’hier. Le monde apicole est majoritairement bienveillant à l’égard des abeilles. Entendons-nous bien : on ne parle pas ici d’industrie apicole mais d’apiculture. Les apiculteurs aiment leurs abeilles. Ils le déclarent. Beaucoup d’entre eux leur consacre une vie entière et c’est compréhensible : approcher une ruche c’est entrer en contact avec un organisme si fascinant qu’il faut bien une vie pour espérer le comprendre (un peu). A-t-on toutefois conscience, en tant qu’apiculteur, de la portée de certaines actions ? Ce n’est ni faiblesse ni naïveté mais urgence que de s’interroger sur les conséquences sur les abeilles de nos raisonnements d’apiculteurs ! Nous voici confrontés à nous-mêmes, à nos pratiques apicoles devenues tellement automatiques qu’elles ne s’accompagnent plus d’aucune réflexion. Est-ce que moi, apiculteur, je participe à la curée du vivant ? Est-ce que moi, apiculteur, je brutalise les animaux que j’aime au point de leur consacrer tout mon temps ? Le philosophe du sauvage, Baptiste Morizot vient de publier un ouvrage essentiel à la reflexion sur notre cohabitation avec les animaux : « Manières d’être vivant ». Il y parle, entre autre, des « signes des autres formes de vie », de notre incompréhension par rapport à ces signes. « Cet art de lire s’est perdu : on « n’y voit rien », et il y a un enjeu à reconstituer des chemins de sensibilité, pour commencer à réapprendre à voir. » Elevant des animaux qui restent sauvages, les apiculteurs sont aux premières loges du vivant incompris. L’acte technique ne doit-il pas suivre, et pas précéder, le respect de l’animal ? Oui, ceci nous élève au niveau de l’éthique. Cela nous rappelle certains point de vue d’apiculteurs anciens qui étaient plus observateurs qu’interventionnistes. Dans cette perspective, Etienne Bruneau propose un outil pour nous confronter à la durabilité de notre apiculture (p.36). Nous aimons nos abeilles, d’accord, mais respectons-nous leurs besoins ? Nous sommes convaincus que l’apiculture est vertueuse, surtout celle que nous pratiquons, d’accord, mais sommes-nous engagés dans une voie durable d’un point de vue économique, social et environnemental ? Surprenez-vous ! Répondez à cet outil de diagnostic… Il va être diffusé à travers le monde via Apimondia. Le résultat sera révélé lors de la Journée Nord-Sud de fin d‘année. Le CARI et notre partenaire, Miel Maya Honing, l’avons consacré à la durabilité : sujet d’actualité sous toutes les latitudes et sous toutes les longitudes.
De notre côté, promis, nous allons continuer à chercher à comprendre les abeilles, leurs réalités biologiques et leurs besoins. Nous allons nous interroger sur des questions émergentes comme celle du bien-être animal qui concernera très prochainement, n’en doutons pas, les abeilles mellifères comme elle concerne déjà les autres animaux élevés. D’ailleurs, signe qui ne trompe pas, le Service Public de Wallonie qui a en charge la question apicole s’appelle désormais la « Direction de la Qualité et du Bien-être animal ». Nous allons continuer à nous émerveiller devant l’élan de tous les hommes qui vivent avec les abeilles et devant la beauté des mystères de la ruche. Nous allons poursuivre notre exploration des possibles harmonieux entre les abeilles et les apicultures. Notez bien le pluriel : il n’y a pas de salut dans l’uniformisation. Chaque apiculteur est une bibliothèque de pratiques, d’observations, de ressources. Chaque apiculteur a ses contingences, ses objectifs, son histoire. Quelle richesse ! A l’heure de la mutualisation des savoirs, la diversité culturelle des apiculteurs pourrait bien-être déterminante en venant à la rencontre de la subtilité des abeilles. Vivement demain ! En attendant, dans ce numéro d’Abeilles&Cie, nous vous parlons de virus, de bois dont on fait les ruches, d’eau et de miel, et, beaucoup, de durabilité. Mais ça, vous l‘aviez deviné !