Fiche pédagogique : Le rayonnement électromagnétique

Agnès Fayet

Les facteurs de stress anthropiques sont de plus en plus prégnants. On peut parler d’une pollution environnementale multi-facettes.

Pour les abeilles, ces impacts comprennent la propagation d‘espèces exotiques (Varroa destructor, Aethina tumida, Vespa velutina), les pesticides, la disponibilité en ressources alimentaires appropriées, la hausse des températures et les événements météorologiques extrêmes mais aussi certaines sources artificielles de rayonnement électromagnétique. Le cocktail peut significativement affaiblir les colonies. On connait encore mal les effets des perturbations électromagnétiques même si les études se multiplient à ce sujet.

La magnétoréception

La magnétoréception est relativement fréquente chez un grand nombre d’espèces animales, dont les abeilles mellifères. Les abeilles ont développé un sens magnétosensible pour détecter le champ géo magnétique statique de la Terre. Il est utilisé pour se diriger dans un environnement complexe loin de la ruche. La magnétoréception est bien documentée chez les abeilles, avec deux mécanismes impliqués dans le phénomène. L’un est chimique, le cryptochrome et l’autre relatif à la magnétite.

Le cryptochrome est une flavoprotéine de signalisation qui capte les signaux extérieurs et assure leur transmission dans l’organisme. Il joue le rôle de photorécepteur. Deux pigments (bleu et ultraviolet) réagissent en fonction de l’intensité et de l’orientation du champ magnétique terrestre.

La biomagnétite animale se présente sous la forme de petits amas d’oxydes de fer (Fe3O4) longs de 40 à 100 nanomètres. Les nanocristaux de magnétite animale se nichent à plusieurs endroits. On les trouve par exemple dans la tête et le cou du pigeon voyageur mais aussi dans l’abdomen des abeilles (Liang, 2016). Ils jouent un rôle crucial en tant que transducteur des informations du champ magnétique terrestre.

Les troubles de la magnétoréception

Les abeilles en vol sont capables de détecter des champs alternatifs (430µTesla) à des fréquences de 10 et 60 Hz (Kirschvink,1997). Elles montrent une sensibilité à de petits changements dans les champs magnétiques. Cela peut par exemple interférer sur la précision de la danse d’orientation. L’influence négative du rayonnement électromagnétique sur les abeilles est un sujet controversé. En 2007, des chercheurs allemands (Harst et al., 2007 ; Kimmel et al., 2007a, b) ont travaillé sur les rayonnements électromagnétiques d’origine humaine (antennes, téléphones…) en prenant l’abeille mellifère comme organisme modèle. Ils ont cherché à expliquer les pertes de colonies par différentes formes de rayonnements électromagnétiques. Leurs expériences n’ont pas été probantes (échantillons trop petits, variabilité des expériences sur abeilles). D’autres chercheurs leur ont emboité le pas sans obtenir de meilleurs résultats (Mixon et al., 2009) Il faut attendre la publication de Ferrari, 2014 pour obtenir des résultats qui suggèrent que les fluctuations des champs magnétiques, y compris ceux causés par les phénomènes naturels comme les tempêtes solaires, peuvent interférer avec les magnétorécepteurs des abeilles mellifères.

D’après cette étude, les conséquences de champs magnétiques excessifs nuisent au repérage des abeilles plus sévèrement si les distances à parcourir pour le butinage sont grandes. Sur de grandes distances, les abeilles ont recours à la magnétoréception. Les indices visuels prédominent au contraire pour les butinages sur des sites de les antennes GSM deviennent monnaie courante dans l’environnement et ont également un impact sur la vitalité des colonies : réduction de l’activité de ponte de la reine, vitesse de construction des rayons, impact sur la propolisation, etc. (Al-Naimi, 2019).

Les champs électromagnétiques de basse fréquence (ELF)

Ces champs électromagnétiques sont de l’ordre de 50 Hz. Selon Shepherd, 2018, l’exposition aux champs élec tromagnétiques ELF réduit les capa cités d’apprentissage des abeilles et modifie la dynamique et l’efficacité des vols de butinage. Les résultats suggèrent que les champs électro magnétiques ELF émis par les lignes électriques peuvent représenter un important facteur de stress environnemental pour les abeilles mellifères et influencer leurs capacités cognitives et motrices.

Les champs électromagnétiques de haute fréquence (EMF)

Ces champs électromagnétiques sont compris entre 300 MHz et 3 GHz et incluent les réseaux de téléphonie mobile. Selon El-halabi et al., 2013, les téléphones portables affectent le mode de vie de l’abeille. Plusieurs études corroborent ce fait avec des impacts sur le couvain. Avec un téléphone mobile dans la ruche durant 50 minutes par jour pendant un mois, 80 % du couvain est perdu (Sharmal et Kumer, 2010). Si les téléphones dans les ruches ne sont pas des situations habituelles, par contre, les antennes GSM deviennent monnaie courante dans l’environnement et ont également un impact sur la vitalité des colonies : réduction de l’activité de ponte de la reine, vitesse de construction des rayons, impact sur la propolisation, etc. (Al-Naimi, 2019).

Une étude évoque également l’impact de la téléphonie mobile sur les sons dans la ruche, en particulier le pipping (Favre, 2011). Les résultats de cette dernière étude ont été critiqués (Carreck, 2014).


Nous sommes bien là face à un sujet à controverse, d’autant qu’il est difficile d’établir des protocoles irréfutables en situation réelle. Par ailleurs, les enjeux qui se cachent derrière cette question sont colossaux et l’abeille pourrait bien être une nou velle fois une lanceuse d’alerte.

Références
Al-Naimi, A.F.(2019). Effect of communication on the performance and behavior of honeybee Apis mellifera (Hymenoptera : Apidae) on Baghdad-Iraq. Univ. of Al-Jazeera.Sudan, 107.
Arno, T., Greco, M. K., Leen, V., Martens, L., & Joseph, W. (2020). Radio-Frequency Electromagne tic Field Exposure of Western Honey Bees. Scientific Reports (Nature Publisher Group), 10(1).
Carreck, N. (2014). Electromagnetic radiation and bees, again. Bee World, 91(4), 101-102.
Deborah A. Kuterbach, Benjamin Walcott, Richard J. Reeder, Richard B. Frankel, « Iron-Containing Cells in the Honey Bee (Apis mellifera) », Science, vol. 218, no 4573,‎ 12 novembre 1982, p. 695- 697 (lire en ligne [archive]) DOI:10.1126/science.218.4573.695
El Halabi, N., Achkar, R., & Abou Haidar, G. (2013, July). The effect of cell phone radiations on the life cycle of honeybees. In Eurocon 2013 (pp. 529-536). IEEE.
Erdo an, Y., & Cengiz, M. M. (2019). Effect of Electromagnetic Field (EMF) and Electric Field (EF) on Some Behavior of Honeybees (Apis mellifera L.). bioRxiv, 608182.
Favre, D. (2011). Mobile phone-induced honeybee worker piping. Apidologie, 42(3), 270-279.
Ferrari, T. E.(2014). Magnets, magnetic field fluctuations and geomagnetic disturbances impair the homing ability of honey bees (Apis mellifera). Journal of Apicultural Research, 53(4), 452- 465.
Kirschvink JL, Padmanabha S, Boyce CK, Oglesby J (1997) Measurement of the threshold sensiti vity of honeybees to weak, extremely low-frequency magnetic fields. J Exp Biol 200 : 1363–1368.