FICHE : États émotionnels ou réactions au stress chez les abeilles ?

Agnès Fayet

Les émotions conscientes ne sont directement attribuées qu’aux êtres humains. Cependant, des états comparables à un état émotionnel ou emotion-like peuvent être déduits chez les animaux à partir de phénomènes physiologiques, de comportements, de manifestations cognitives.

Il est vrai que notre compréhension des émotions repose largement sur des expériences anthropocentrées et donc subjectives. Depuis quelques années, les chercheurs en cognition comparative se sont beaucoup intéressés à ce qu’ils appellent des états émotionnels emotion-like chez les animaux. La nature des émotions chez les animaux fait toujours débat. C’est particulièrement vrai lorsqu’on aborde la question des inverté brés. Existe-t-il une forme d’émo tion identifiable selon des critères scientifiques chez les animaux ? Comment ces états émotionnels se manifestent-ils ? Comment les définir ? Peut-on étendre ces évaluations aux invertébrés et en particulier aux abeilles mellifères et aux autres insectes sociaux ?

Qu’est qu’une émotion et comment l’évaluer ?

Une émotion est définie comme un état transitoire, une réaction intense et de courte durée qui intègre une réponse physiologique, une réponse comportementale et une expérience subjective c’est-à-dire un sentiment. Chez des animaux qui ne verbalisent pas, évaluer directement l’expérience subjective des émotions et la conscience de ces émotions est impossible. On utilise alors simple ment des paramètres physiologiques et comportementaux comme indicateurs des émotions animales (cris, fuite, contact recherché, agressivité, etc.). Il s’agit de comportements qui impliquent l’attention, la perception, la mémoire, la prise de décision… Ces comportements sont évalués en fonction de la gradation en intensité, la persistance de l’état après l’arrêt du stimulus ou de l’événement déclencheur, la généralisation à divers contextes, etc. Si la recherche établit l’existence « d’émotions primitives » depuis le début des années 2000 chez plusieurs groupes animaux comme les oiseaux, les poissons ou les mammifères, les recherches sont plus récentes concernant les invertébrés et elles sont encore plus controversées.


Les émotions et les abeilles

Est-ce que des expériences qui établissent que bourdons et abeilles mellifères possèdent un haut niveau de sophistication cognitive permettent de conclure à un état émotionnel ? Est-ce que des expériences qui simulent une attaque prédatrice suivies du constat d’un état de stress des abeilles entrainant des conséquences perçues comme négatives après l’expérience permettent de conclure à une émotion ? Difficile à dire. C’est la raison pour laquelle la science s’exprime prudemment en utilisant l’expression « emotion-like » et en admettant des « réactions émotionnelles » ce qui n’équivaut pas à un état émotionnel. Laissons la place au doute en attendant une avancée de la recherche en la matière. Nous avons affaire à une frontière de la connaissance scientifique.

La sensibilité des abeilles aux facteurs de stress

Ce que l’on peut avancer avec plus de certitudes c’est que les insectes sont des organismes sensibles qui développent des réponses physiologiques et comportementales à différents facteurs de stress. Elles sont sensibles au milieu, aux pesticides, au manque de nourriture, aux variations climatiques, aux conditions hygrométriques, à la qualité et à la diversité du pollen, à la fumée, aux bruits, aux odeurs, aux prédateurs, aux visites trop fréquentes, aux résidus dans la ruche, aux maladies, aux parasites, à des traitements anti-varroa, etc. Les modifications physiologiques et comportementales liées au stress sont bien observées par les apiculteurs. Le stress s’ex prime chez l’abeille, comme chez les mammifères, en trois phases.

La première, la phase d’alarme, correspond à la perception du stimulus qui provoque une réaction d’urgence. De l’énergie est alors mobilisée pour lutter contre le facteur du stress avec des réactions physiologiques et comportementales comme l’agressivité par exemple. La deuxième phase, la phase de résistance, concerne les facteurs de stress qui durent. Elle est marquée par une intensification de la mobilisation énergétique. La troisième phase enfin est la phase d’épuisement qui s’exprime lorsque la situation de stress dure trop long temps et que l’organisme en arrive à épuiser ses ressources énergétiques. Chez l’abeille mellifère, le stress s’exprime au niveau individuel et collectif, au niveau physiologique et comportemental. Il s’agit d’un sujet très complexe. Les facteurs de stress des abeilles sont eux-mêmes de nature bien différente et peuvent s’associer et amplifier les réponses au stress dans une colonie.

Une catégorisation des facteurs de stress

Plusieurs facteurs de stress sont catégorisés :
Le stress xénobiotique (substance étrangère présente dans l’organisme) qui provient du contact des abeilles avec des polluants (pesticides, médicaments) présents dans l’environne ment ou/et dans la ruche. Le stress xénobiotique peut compromettre directement la survie de l’abeille au stade individuel mais a également des conséquences au niveau moléculaire, physiologique et cognitif sur l’ensemble de la colonie.

Le stress immunitaire provient des différents pathogènes qui s’épanouissent dans la colonie du fait de la promiscuité des abeilles dans un lieu confiné (champignons, bactéries, protozoaires, virus, acariens).

Les variations climatiques (températures environnementales et brutalité des épisodes climatiques) entrainent des adaptations énergétiquement coûteuses de la colonie.

Nous reviendrons dans la prochaine fiche sur les principales manifestations physiologiques et comporte mentales de ces facteurs de stress au niveau des individus et de la colonie.

Références :
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