Les porte-paroles des abeilles

Agnès Fayet

Réinventons-nous la roue en parlant d’apiculture naturelle ? « L’apiculteur naturel » abandonne-t-il l’apiculture moderne ? Et si c’était plutôt une voie d’avenir, la voie royale pour accompagner les abeilles vers un futur ?

Quelques grands noms osent une remise en question de pratiques qui, peut-être, n’émargent pas (ou plus) à la cause des abeilles. Voici quelques personnalités qui prennent de la hauteur et parlent au nom des abeilles.

« Je peux élever des abeilles et m’approcher de très près des conditions de vie des abeilles dans la nature. La seule chose qui m’en éloigne c’est de ne pas les héberger à 10 mètres de haut dans un arbre. Si cela me disqualifie pour la pratique d’une apiculture naturelle, pas de problème, mais à cette exception près, vous pouvez élever des colonies d’abeilles très naturellement. Et probablement que le plus naturellement c’est le mieux. » Thomas SEELEY


Faut-il encore présenter THOMAS SEELEY  ? Il est professeur de biologie à la Cornell University aux Etats Unis. Il observe les abeilles mellifères retournées à l’état naturel depuis de nombreuses années et a pu dresser un certain nombre de constats liés à leurs besoins naturels (voir texte « Apprendre des abeilles »). Il est l‘auteur de plusieurs ouvrages sur le comportement des abeilles dont Honeybee Democracy et The Wisdom of the Hive.

« Penser globalement mais élever localement apparaît être une suggestion adéquate à faire aux éleveurs pour bénéficier de la sélection naturelle et pour favoriser les adaptations locales. » Peter Neumann


PETER NEUMANN est professeur à l‘Institut de la santé de l‘abeille à l’Université de Bern en Suisse. Ses recherches et son enseignement couvrent tous les aspects de la santé des abeilles. Il est en particulier spécialiste d‘écologie comportementale, évolutive et moléculaire des abeilles mellifères et de leurs agents pathogènes. Il est connu pour avoir théorisé le concept « d’api culture darwinienne » (Neumann, P., & Blacquière, T. (2017). The Darwin cure for apiculture ? Natural selection and managed honeybee health. Evolutionary applications, 10(3), 226-230. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/ epdf/10.1111/eva.12448).

Sa vision est évolutionniste. Pour lui, L’apiculture a, par la force des choses, modifié l’équilibre naturel des colonies par exemple en déplaçant des colonies vers des endroits géographiques inadaptés (perte de la diversité florale…) et en interférant dans la vie de la colonie (pour la récolte ou les services de pollinisation). D’autres facteurs « apiculturels » peuvent aussi interférer dans la sélection naturelle et avoir un impact sur la santé des abeilles (voir texte « Apprendre des abeilles »).

« Ceux qui voudraient traiter les abeilles simplement parce qu’ils en ont la charge devraient se poser la question suivante : veulent-ils sauver les colonies ou l’espèce ? » David HEAF


DAVIS HEAF est anglais. Il est docteur en biochimie. Après une carrière dans la recherche et l’industrie pharmaceutique, il commence à se passionner pour l’apiculture. Il devient apiculteur profes sionnel et, pour respecter au mieux sa démarche « apicentrée », il travaille avec la ruche Warré dont les dimensions correspondent davantage à la biologie de l’abeille et qui permet une surveillance des colonies moins intrusive. Il a par ailleurs traduit le livre de l‘abbé Warré en anglais pour le diffuser auprès de la communauté apicole anglophone. David Heaf s’interroge sur les conséquences de certaines pratiques apicoles modernes sur la vitalité des abeilles : forme des ruches, cire gaufrée, visites intrusives, élevage artificiel des reines, nourrisse ment artificiel, médicaments, transhumance, etc. Depuis une dizaine d’années, soucieux de faire confiance aux capacités d’adaptation des abeilles, il n’utilise aucun traitement contre varroa, ni et ses pertes dans des colonies non traitées sont aujourd’hui de 18 % (Thomas Seeley parle d’un taux de 16 % dans les colonies naturelles qu’il surveille). David Heaf ne pratique aucun élevage artificiel et respecte le processus de reproduction naturel des colonies (essaimage) tout en exerçant une surveillance minutieuse de ses abeilles. Il met à disposition de nombreuses ressources scientifiques et techniques sur son site : http://www. bee-friendly.co.uk

« Il est temps pour les apiculteurs de réapprendre leurs traditions et leur histoire, et de revenir en arrière et rectifier ce qui est incorrect pour la survie de nos abeilles. Nous devons suivre le long chemin de retour à une apiculture biologique pour surmonter nos problèmes.
Ce n’est pas difficile mais cela doit être fait. Produits chimiques, huiles essentielles, médicaments, nourriture artificielle, taille des colonies, et, dans une certaine mesure, la consanguinité, tuent notre métier, et l’on doit inverser la tendance. » Dee LUSBY


DEE LUSBY est une apicultrice professionnelle qui travaille en bio. Avec son mari Ed, elle gère un rucher de 700 ruches aux Etats-Unis, dans le sud de l’Arizona. Elle ne traite pas ses colo nies contre varroa. Elle ne les nourrit pas artificiellement en préférant ne prélever que le surplus de miel pour son activité économique. Ses abeilles ne sont pas sélectionnées et sont très agressives ! Elles se trouvent dans un environnement qui leur permet d’avoir un couvain sur 3 corps Langstroth… Pour éviter les contaminations et gérer la taille des cellules, elle vit en circuit fermé pour la cire. C’est un gros travail mais c’est essentiel dans sa façon de penser l’apiculture. Elle a développé, au fil de ses lectures et de ses observations, ce qu’elle appelle la « théorie des petites cellules » : 4,9 mm pour le Sud Arizona mais cela varie en fonction du climat et de la situation géographique. Selon son expérience, cette taille stimule le comportement hygiénique des abeilles (réduction de la charge en varroas et de l’impact des maladies) tout en augmentant la vitalité et la productivité.

Elle détaille ses travaux dans son blog https://resistantbees.com et dans un ouvrage : « Biological Beekeeping : The Way Back ».

« Aujourd‘hui, fini pour moi l‘apiculture « industrielle ».
L‘utilisation de la ruche Warré me permet de travailler dans de biens meilleures conditions et avec des abeilles heureuses de retrouver une habitation très proche de ce qu‘elles ont à l‘état libre et sans surplus de travail. » Gilles DENIS


GILLES DENIS est apiculteur professionnel en Ardèche. Il a commencé sa carrière avec des pratiques traditionnelles au rucher mais, suite à des observations et découvertes personnelles, il a par la suite adopté la ruche Warré pour son activité. Cela lui permet d’exercer sa profession dans des conditions satisfai santes, c’est-à-dire des conditions alliant production et bien-être des colonies qui trouvent dans l’habitat de la ruche Warré des conditions proches de leurs besoins à l’état naturel (par exemple le volume de la ruche). Les colonies sont amenées à construire sur des barrettes, comme le préconisait l’abbé Warré.

S’il utilise encore d’autres types de ruches, Gilles Denis a pris le parti de laisser les abeilles construire sur des cadres, pour permettre là aussi au dynamisme de la colonie de s’exprimer. Il donne l’exemple d’une véritable apiculture professionnelle en Warré, simple, adaptée aux colonies qui ne développent ainsi aucune agressivité. Gilles Denis utilise par ailleurs des ruches en paille qu’il adapte à la production de reines et de paquets d’abeilles. Il a autoédité un livre sur la pratique apicole avec la ruche Warré qui est un outil indispensable pour l’apiculteur qui veut s’engager dans cette démarche (https:// www.ruche-warre.com/livre/).