Alexandre, le bienheureux apiculteur parisien à Montréal

Agnès Fayet

Alexandre Catonné a été diplômé en apiculture il y a 7 ans à la formation du Jardin du Luxembourg à Paris, rucher-école chargé d’histoire puisqu’il a été créé en 1856. Il a ensuite géré jusqu’à 40 ruches urbaines, notamment pour Les Ruches POP, un collectif qu’il a cofondé à Paris. À Montréal depuis 3 ans, il s‘occupe désormais des ruches de Frais du Toit, un immense potager urbain à Montréal. Il est également membre des collectifs apicoles du Santropol Roulant et de l‘UQAM.

Alexandre Catonné continue de donner des cours pour Les Ruches POP, et au Québec pour Miel Montréal. Alexandre est toujours enthousiaste à l’idée d’essaimer et de partager des connaissances, des expériences et des interrogations. À part ça, il détient une maîtrise en information et communication et travaille parallèlement dans la conception et la création de site web.

AC - J’ai une double activité en apiculture. Je suis arrivé à Montréal il y a 3 ans et je faisais déjà de l’apiculture à Paris, en apiculture urbaine, à Paris et Montreuil, dans le cadre d’une association qui s’appelle Les ruches Pop (1). Je continue de donner des cours là-bas, avec Zoom et je fais mon trou ici à Montréal dans les collectifs et les associations apicoles.
Je suis impliqué dans la maison communautaire Santropol Roulant (2) où il y a un rucher. Nous sommes une vingtaine à gérer 4 ruches et c’est très collaboratif.
J’interviens aussi sur une grosse association qui s’appelle Miel Montréal (3) qui installe des ruchers et fait beaucoup de formation. Je donne des cours pour eux. Je suis aussi au Rucher de l‘UQAM (Uni versité du Québec à Montréal).
AF - Comment peut-on gérer une ruche à plusieurs, concrètement ?
AC - On a des discussions toutes les semaines, 2 heures par semaine. Cette année a été un peu compliquée avec le COVID. Mais disons que c’est très collaboratif. Il y a une approche québécoise typique qui repose sur la bienveillance. On fait très attention à l’écoute de l’avis des autres et au respect du niveau de connaissances de chacun. Il y a une vraie intention d’impliquer tout le monde en fonction de ce qu’il peut et veut faire. Et il y a beaucoup de suivi des actions des uns et des autres, des plans d’actions qui peuvent évoluer.
AF - Comme tout ce qui est collaboratif, il y a des règles fixées au départ, des contraintes mais qui n’interfèrent pas trop dans le plaisir de la pratique apicole ?
AC - Je ne parlerais pas de contraintes véritablement. Ce sont plutôt des façons de faire, de s’organiser. Ce n’est pas contraignant. On démarre l’année à 20 et on la termine à 8/10. Il y a beaucoup d’écoute de la part des uns et des autres. C’est très québécois. On fait attention de bien remercier chacun pour ses implications. Ça contraste très fort avec Paris où il y a beaucoup de rapports humains conflictuels. Ici, on part beaucoup du ressenti de chacun, c’est un peu l’incarnation de la communication non violente. C’est très agréable pour un parisien (rire).
AF - Et l’hiver québécois, c’est agréable pour un parisien ?
AC - (Alexandre tourne la caméra vers la fenêtre où l’on découvre un jardin très enneigé avec une petite ruche au fond). Je ne l’ai pas dit, pardon, mais j’interviens à un autre endroit dans le cadre de ma plus grosse activité apicole. C’est un endroit qui s’appelle La ligne verte Frais du Toit (4) qui est le plus grand toit végétalisé potager du Canada. Il se trouve sur un supermarché IGA. Et moi, je m’occupe des ruches. Il y en a une dizaine là-bas. C’est au nord-ouest de Montréal, sur Saint-Laurent. C’est un quartier plus récent mais toujours sur une ligne de métro. J’y vais d’ailleurs en métro.
AF - Est-ce que tu vis exclusivement de ton apiculture ?
AC - Non. Je fais aussi de la création de sites internet mais je migre le plus possible mes activités vers l’apiculture.
AF - En tant qu’informaticien, penses-tu que la technologie peut apporter quelque chose à l’apiculture en matière de suivi des colonies par exemple ?
AC - Ah oui… Par exemple, pour gérer les ruches qui sont à Saint-Laurent, à une heure d’ici quand même, je suis salarié et j’ai un nombre d’heures à gérer dans mon année. Donc, pouvoir sentir les miellées arrivées, c’est intéressant. Et il y a de forts décalages de miellées ces derniers temps. On a deux miellées ici, comme souvent. La dernière, qui est en août, est une miellée très caractéristique qui est la miellée de verge d’or, une plante très abondante ici. Une fleur très jaune qui sent très fort. Cette année, elle n’a pas donné. Elle n’a donné quasiment nulle part au Québec. On les a vu fleurir mais on n’a pas vraiment eu de miellée. Moi j’étais au taquet. Il faut aller visiter. Est-ce qu’elle est là ? Pas là ? Dans ce contexte, pouvoir surveiller le poids de la ruche, ce serait idéal. On aurait un outil de veille et on pourrait agir tout de suite sans les déplacements inutiles. Le poids est donc très intéressant pour une surveillance à distance.

AF - Tu viens d’évoquer une partie du problème climatique : miellées irrégulières, plantes qui ne produisent pas de nectar… Est-ce que tu as observé d’autres marqueurs climatiques ?
AC - Oui… Une grosse différence entre le Canada et l’Europe c’est qu’ici l’abeille n’est pas locale. Elle a été importée au XVII° siècle. Il y a une controverse sur l’idée que des essaims sauvages puissent survivre à l’hiver. On a des protocoles très précis pour isoler les ruches quand l’hiver arrive. On les emballe dans des isolants. On fait très attention à ça. On a beaucoup de nourrissement en pré-hiver. Et, deuxième chose, il y a de grandes discussions au Québec sur la question du nourrissement au miel pour l’hivernage. Une minorité prétend que oui, c’est possible. Et ils le font unique ment avec du miel de printemps, moins chargé en minéraux que le miel d’été. L’enjeu c’est qu’elles vont passer 5 mois enfermées dans la ruche sans sortir. Il ne faut pas qu’elles aient envie de se soulager trop tôt. Et on a une majorité d’apiculteurs qui pense que le sucre est incontournable parce que non chargé en minéraux.
AF - 5 mois sans sortir, c’est presque de l’apiculture sous perfusion, non ?
AC - C’est long. Oui, c’est long. Les saisons apicoles sont très courtes. Il ne faut pas rater le démarrage.
AF - La saison démarre quand et finit quand ?
AC - Mars avril on peut jeter un œil. Ça démarre en mai. En octobre ça sent la fin. Mais cette année, changement climatique : on a tardive ment emballé.
AF - Vous emballez au moment où le froid arrive, et pas avant.
AC - Oui, parce que sinon, on fait ventiler les abeilles. Donc elles vont consommer les réserves et elles ne tiendront pas jusqu’à la fin de l’hiver.


AF - C’est la première fois que tu es témoin d’un hivernage aussi tardif ?
AC - Depuis que je me suis installé ici, il y a trois ans, chaque année on me dit : « cette année c’est spécial. L’hiver, cette année, c’est spécial. » ça veut dire que tout le monde observe le changement climatique. L’hiver a été très, très, tardif cette année et tout le monde s’est posé des questions sur le bon moment pour l’emballage. Il y a même des apiculteurs qui ont désemballé. On a eu le droit à un énorme redoux avec un climat qui ressemblait de mon point de vue à un climat parisien. Le vrai froid et la neige sont arrivés début janvier ce qui est extrêmement tardif. Les deux années précédentes, les hivers ont été marqués par des dégels. Normalement on a une température négative assez stable mais les deux dernières années, on a eu des périodes de températures positives qui provoquaient une fonte de la neige avant un retour au gel, ce qui est un problème pour les apiculteurs. On vise à ce qu’il y ait un couvert de neige.

La neige a un effet isolant pour la ruche mais en même temps permet à la colo nie de respirer puisque l’air passe à travers la neige. Quand on a une fonte, on se retrouve avec de l’eau qui regèle et crée une couche de glace. Et là, c’est un isolant à l’air avec des ruches très vite asphyxiées. On est obligé d’intervenir pour casser la glace au pic pour recréer de l’aération. On a eu ça durant les hivers 2018 et 2019. La ville de Montréal elle-même se pose la question d’adapter son équipement hivernal. Les services font un gros travail de déneigement quand il y a des bordées de neige, des grosses chutes de neige. Et là tout d’un coup ça ne marchait plus parce que les rues étaient glacées. La ville était une patinoire généralisée. Les gens tombaient, il y avait des accidents. Au-delà des ruches, c’est un problème général au Québec pour assurer la sécurité.

AF - Comment fais-tu concrètement pour emballer tes ruches ?
AC - Je me suis beaucoup intéressé à la question. À Apimondia Montréal, il y a eu des conférences magnifiques sur le sujet. De manière générale au Québec, il y a deux grandes techniques. L’enjeu c’est des froids à -10°C avec des pointes à -40°C. C’est plus rare à Montréal mais dans le nord du Québec c’est courant. Les professionnels utilisent des caveaux. Il s’agit de hangars maintenus à des températures constantes entre 0 et 5°C. avec contrôle de l’humidité, de l’oxygénation, des aérations (5). C’est cher. Les études disent que les investissements se remboursent assez vite pour les professionnels parce que ça fait chuter les pertes hivernales de 6 %. Ça fait quand même une grosse différence. Mais c’est vrai que ce sont des gros investissements.


À Montréal, dans le contexte de l’apiculture urbaine et de l’apiculture « amateur », on va choisir une isolation extérieure. La technique est plus empirique, plus variée, moins organisée. Globalement, on va emballer la ruche avec de l’isolant, des mousses, des isolants aluminium. On isole en plateau ouvert pour l’oxygénation. La pensée courante c’est que le danger ce n’est pas le froid, c’est l’humidité. Les problèmes de nosémose sont courants. Il y a de l’humidité. De plus en plus on isole avec de la paille. Moi j’en suis là. Je rajoute une hausse remplie de paille. Sous cette hausse, je place un tissu pour isoler l’essaim de l’isolant en paille et je laisse pendre le tissu pour que l’humidité s’évacue par capillarité. Selon les ruches et les endroits, soit on a par-dessus un emballage plastique et aluminium qui recouvre l’ensemble de la ruche, soit un sac en plastique noir rempli de laine de roche qui est utilisé comme un coffrage autour de la ruche et qui exclut le toit de la ruche. C’est pour cette raison que j’ai prévu une isolation en paille sur le dessus. Mais il est vrai que de grosses déperditions de chaleur se font par les côtés. Il y a une autre spécificité que j’ai découverte ici.

Les ruches ont une entrée d’air par le dessous : on laisse, comme je le disais, le grillage ouvert. Et tout le monde prévoit une entrée d’air par le haut. Soit on a le couvre cadre équipé d’une petite ouverture soit on perce la hausse du haut, solution que je préfère parce qu’on peut conserver ainsi une zone haute au-dessus du trou avec une masse de chaleur. L’intérêt est que les abeilles peuvent ainsi facilement sortir et aller se purger. L’autre intérêt est qu’une entrée basse et une entrée haute permettent une bonne circulation de l’air.

AF - Tu travailles en divisible.
AC - Oui, ici, on est beaucoup en Langstroth. C’est la norme nord-américaine. J’ai pour ambition de tester les Warré. Autre particularité légale au Québec, on n’a pas le droit de pratiquer une apiculture sans cadres. On doit pouvoir retirer des cadres d’un point de vue sanitaire. Même avec une ruche Warré. Les barrettes, c’est limite. Je pense personnel lement qu’on peut conduire des Warré comme d’autres ruches et dissocier ce type de ruche d’un mode de conduite. Ce qui freine beaucoup l’utilisation de la ruche Warré ici c’est qu’on associe War ré-pas de cadres-interdit. Autre grande question ici : est-ce qu’on hiverne à deux boîtes ou à une boîte à l’extérieur ? Avec deux boîtes, ça fait de la réserve. Ça coûte du sucre et ça fait une grosse zone à chauffer. La tendance est à l’hivernage à une boîte.

AF - Toi, tu hivernes à une boîte ?
AC - À certains endroits oui. Mais dans d’autres ruchers à deux boîtes.
AF - Donc c’est vraiment lié à ton expérience du rucher dans l’année ?
AC - Oui. Il y a la force de l’essaim qui compte beaucoup. Comme cette année on a eu un automne très doux, on a eu des pontes tardives et donc c’était plus difficile à resserrer.
AF - Vous avez des ruptures de ponte assez colossales avec l’hiver canadien. Est-ce que ça minimise de ton point de vue le problème de varroa ou pas ?
AC - Pas vraiment. Normalement, on attend la rupture de ponte automnale et on fait un traitement à l’acide oxalique. Et là, comme on n’a pas eu de rupture de ponte cet automne, on a eu du mal à minimiser la charge en varroas avant l’hivernage et on va donc le retrouver au printemps. Quand je suis arrivé en 2018, il y a eu des taux de pertes hivernales important de l’ordre de 31 % de pertes moyennes avec des extrêmes à 80 % de pertes. Pour ces pertes on pointe le varroa. Alors ensuite, c’est comme en Europe, on s’interroge moins sur nos propres pratiques, sur l’environnement. Ici, c’est plus lourd qu’en Europe de ce point de vue. L’usage des néonicotinoïdes est massif ici. On commence à s’interroger mais on part de plus loin.

AF - Le lien est sans doute beaucoup plus étroit entre les pratiques apicoles et les revenus dus à la pollinisation ?
AC - Oui, c’est le cas en région. Il y a les bleuets (la canneberge), les pommes, les concombres. Il y a des mouvements mas sifs de colonies (6). C’est énorme dans l’économie apicole. La pollinisation c’est 1/3 des revenus des apiculteurs. Les prix augmentent énormément. Il y a 20 ans c’était 50 dollars la location d’une ruche. Aujourd’hui c’est 130 dollars parce que ça coûte de plus en plus cher aux apicul teurs. Certains s’interrogent même sur leur intérêt à aller polliniser les bleuets parce que les bleuets manquent de pollen et donc ça produit du miel mais les colonies s’effondrent. Sans pollen, pas de ponte. Une fois la saison terminée, les apiculteurs récupèrent des ruches vides. En même temps, cela accélère la réflexion sur l’agriculture. J’ai l’impres sion qu’elle est vraiment en marche, cette réflexion. Une théorie dit qu’avec 6 % d’une population qui est pour une réforme, on peut faire la bascule. Il y a une pensée ici, je généralise évidem ment, que ça peut évoluer vite. Que le Québec pourrait devenir rapidement un modèle de réflexion écologique. Il y a ici une pensée très pragmatique. S’il y a un consensus sur une décision, on suit. On n’est pas sur une pensée politique figée. Des partis politiques sont capables de s’entendre pour voter une réforme si elle est bonne. De là, ça va très vite. C’est ma vision d’européen sur la situation, peut être idéaliste ?

AF - Donc te voilà dans la posture de l’apiculteur européen heureux au Québec.
AC - Oui (sourire). J’observe les différences, j’observe l’évolution des mentalités et des pratiques ici. Il y a par exemple une augmentation de la production locale de nuclei. Il y avait énormément d’importations. Il y a encore beaucoup d’importations. On a l’habitude de commander en Californie des essaims, des reines, pour démarrer rapidement la saison. Ils ont là-bas un mois et demi, deux mois d’avance ; Ils ont produit leurs colonies quand ici on sort de l’hiver. Je vois peu d’apiculteurs qui font leurs reines à Montréal. Dans la
pensée courante classique, à la sortie de l’hiver, on s’est acheté une reine califor nienne, on change sa reine pour avoir un démarrage de ponte très rapide. Et au cours de l’année on va acheter une reine québécoise pour l’hivernage.

AF - C’est donc une apiculture très artificielle au regard de ce que l’on connait en Europe ?
AC - Oui, beaucoup plus. Mais l’abeille mellifère est importée ici. On est quand même hors sol. Cette pensée-là évolue. Le cheptel québécois augmente. Les éleveurs se développent. Il y a une conscience depuis environ 15/20 ans qu’il faut avoir des génomes québécois, qu’il faut adapter une abeille locale. Les sélectionneurs sont allés chercher des abeilles en Russie. Il y a un gros travail d’adaptation locale du génome maintenant. Et c’est devenu une prio rité politique. Le ministère insiste sur ce développement. J’ai un ami apiculteur dans les grandes plaines du centre. Il me raconte comment travaillait son grand
père qui était déjà apiculteur profession nel. Il faisait sa saison apicole et puis à l’arrivée de l’hiver il souffrait toutes ses abeilles, donc pas de dépenses pour l’hivernage et puis au printemps il commandait ses essaims aux États-Unis et c’était reparti. C’était il y a 50 ans. Il y a une grosse évolution !

AF - Qu’as-tu envie de dire encore ?
AC - Mon leitmotiv c’est regarder, observer. On est tous, tout le temps surpris. Même des apiculteurs qui ont 20 ans de pratique derrière eux. Comme le climat évolue, il faut regarder, sans arrêt. Tout évolue. Il n’y a pas de certitude. Les fonds de ruche fermés. Est-ce qu’on ferme ? Est-ce qu’on ouvre ? Il n’y a rien dans notre sujet mais c’est valable aussi en apiculture. Il faut se tromper pour apprendre. Et puis ce qui marche une fois ou plu sieurs années ne fonctionne plus tout à coup. Parfois, faire des essaims ça ne marche pas. La fécondation des reines, certaines années, ça ne veut pas. Il y a des surprises. Je peux aussi aborder une question très liée au changement climatique. C’est la question des parasites. Au Québec on considère que le froid et l’hivernage, c’est une chance parce que ça tue beaucoup de parasites comme le varroa.

AF - Et les prédateurs ?
AC - On a l’ours et la mouffette.
AF - L’ours, à Montréal ?
AC - Non (rire)… mais la mouffette si. C’est un petit mammifère de la taille d’un blaireau. Elle se met devant la ruche et elle tape sur la caisse jusqu’à ce que les abeilles sortent et elles les mangent. Donc elle perturbe beaucoup la grappe l’hiver. On peut se retrouver face à des effondrements.
AF - Les ruches sur les toits en sont protégées…
AC - Oui. La mouflette ne vient pas sur les toits. Sur les toits on est très protégé.
AF - Si on change de saison, l’été, sur les toits, on n’est pas protégé du rayonnement solaire. L’isolation des ruches est nécessaire aussi dans certains cas, non ?
AC - C’est une grosse question. À Montréal, globalement, on n’isole pas l’été. J’essaye de propager cette idée ici tout doucement.
AF - Sur les toits végétalisés, c’est sans doute viable, mais que penser des ruches sur des toits en béton ?
AC - Alors, plus généralement, à Montréal, il y a comme partout une réflexion sur la question plus générale des ruches en ville. Il y a un engouement de la population, une envie qui est bien, qui est importante, qui ramène vers une pensée écologique des gens qui ont été éduqués en ville et ont perdu des connaissances simples, agricoles. Ça ramène les citoyens vers le vivant. C’est très formateur. On peut en profiter pour passer des messages : semez des fleurs, ne coupez pas vos gazons (ça évolue à Montréal mais toute l’Amérique du Nord tond beaucoup son gazon). C’est une révolution mentale ici. Ne pas couper son gazon ici, ça dévalorise le quartier. On travaille beaucoup sur les changements de mentalités.


AF - A propos de la problématique abeilles sauvages-abeille mellifères, vous connaissez les mêmes tensions que dans les villes européennes ?
AC - Oui… Miel Montréal travaille beaucoup sur ce sujet. Il y a de grosses réflexions sur le nombre de ruches. Cela génère beaucoup de discussions. J’ai eu une conversation à ce sujet avec le Directeur du Laboratoire d’Agriculture Urbaine qui est un gros organisme à Montréal. Son sentiment c’est qu’il n’y a pas vraiment de compétitions pour les ressources. Partout les études sont complexes, difficiles, remises en cause… Je crois que tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut augmenter les ressources. Montréal est moins dense que Paris, moins urbain. Le centre est plus minéral mais il y a très vite un espace devant ou derrière les bâtiments. Il y a quand même une ressource. La ville y réfléchit.
L’apiculture urbaine est plus récente ici. Elle date de 2005/2007. À mon avis, il faut être prudent avec les entreprises commerciales qui louent des ruches à tout le monde. Ce modèle de placement de ruches pour le greenwashing, sans réflexion sur la ressource, est à remettre en cause, très clairement. Il y a un travail à faire pour déconstruire cela. On a eu un premier discours qui disait on met des ruches en ville pour sensibiliser les populations à l’environnement. Et puis, de façon ubuesque, on se retrouve avec une situation où les ruches vivent mieux en ville qu’à la campagne. 2°C de plus, c’est le printemps qui démarre avec 2/3 semaines d’avance ici à Montréal. La ville est adaptée mais attention aux autres pollinisateurs, attention aux ressources pour tous les pollinisateurs… C’est très complexe. La vraie solution c’est de travailler partout pour faire évoluer le modèle agricole, les pratiques individuelles, pour faire progresser la diversité. C’est la solution universelle.

Notes
1 Les Ruches POP : https://www.lesruchespop.fr
2 Santropol Roulant : https://www.facebook.com/apiculturesantropolroulant
3 Miel Montréal : https://www.mielmontreal.com
4 Frais du Toit : https://centdegres.ca/magazine/sante-et-societe/agriculture-urbaine-projets-changent-monde et https://centdegres.ca/magazine/alimentation/cultiver-des-legumes-sur-le-toit-dun-iga/
5 https://www.cari.be/IMG/pdf/192_methidedhivernage.pdf
6 https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1743236/abeilles-pollinisation-commerciale-alimentation-canneberges-bleuets-miel