VOYAGE 3 : Professionnels en 4 dimensions

Etienne BRUNEAU

Notre dernier voyage apicole dans les Pays de la Loire et en Aquitaine, Limousin Poitou-
Charentes nous a permis de rencontrer des apiculteurs professionnels vivant de leur activité et présentant des profils fort différents. Chacun a ses spécificités et travaille avec des objectifs différents. Voyons le message que ces passionnés d’abeilles nous ont transmis.


Exploitation de Rémy LAMBERT
Clairmont
86 470 - La Chapelle Montreuil
Tél. : 0033 (0)6 49 95 89 12
apiclairmont chez aliceadsl.fr

Priorité au suivi

C’est le sourire de Rémy Lambert qui vous accueille à La Chapelle Montreuil, non loin de Poitier. Cet homme jovial et ouvert vient de l’agro-alimentaire et s’est lancé comme professionnel en apiculture en 2006, après une formation à Venour en 2004. Bénédicte Lambert, son épouse, est enseignante apicole au CFPPA de Venour.
Il a débuté avec 30 essaims d’abeilles italiennes et a lancé un élevage afin d’augmenter son cheptel. En 2007, il avait 150 colonies et l’année d’après, 260 mais ce chiffre est retombé à 160 après l’hiver. Il a souvent eu de la casse sur tournesol. C’est ainsi qu’il lui a fallu 4 ans pour équilibrer les charges au sein de son exploitation sans tenir compte des années avec des pertes importantes.
Il n’est pas trop intéressé par la production de miel. Plutôt que de conduire 400 ruches et faire du miel, il préfère se limiter à la moitié qu’il suit très bien. Cette année, il a travaillé avec 270 colonies (± 250 à l’hivernage).
Tout est « pale-tisable ». Les ruches en transhumance sont équipées de grosses poignées ou d’un système de poignées mobiles (photos ci-dessous). Ses ruchers comptent de 24 à 40 ruches mais 36, c’est déjà trop pour l’organisation de son travail.
Il améliore ses revenus en faisant de la vente au détail et a également diversifié sa production avec du pain d’épice et du « caramiel ». Il produit aussi du pollen dans les ruchers proches de son domicile.


Côté pathologie, il réalise une visite sanitaire complète toutes les 3 semaines. Cela lui prend 10 à 12 minutes par ruche. Il utilise l’Apiguard à base de thymol, l’acide oxalique et l’Apivar (fin septembre à février). Il note très peu de cas de loque américaine (2-3 cas en 2017). Il observe du couvain en mozaïque après le colza.
Les pertes restent importantes : avec 230 colonies hivernantes, il espère en retrouver 190 à 200 au printemps. En 2015 ses colonies sont toutes mortes. Heureusement, il lui restait un stock de miel non vendu pour assurer les 6 premiers mois. Il a racheté 100 essaims Buckfast qui lui ont fait 10 tonnes de miel et 100 essaims. C’était une année exceptionnelle. Il constitue ses ruchettes par division des colonies fortes, celles sur 7 cadres de couvain. Les ruchettes ont 2 cadres de couvain, un cadre de miel et un de pollen.

Sa saison démarre avec le colza suivi de l’aubépine dans sa région assez bocagère. Il conduit une centaine de ruches de valeur en Corrèze pour faire de la bourdaine et ensuite du toutes fleurs. Les ruches sont alors placées en Charente pour le tournesol et reviennent pour l’hivernage près de son domicile.
Jusqu’en 2015, il travaillait sans infra- structure particulière et il utilisait la miellerie d’un ami. Aujourd’hui, il a aménagé une miellerie de 50 m2 et un espace de stockage de 60 m2.


Exploitation Les ruchers de la Maulne,
rue du moulin (Maison La Louachinerie)
37330 Braye-sur-Maulne
Tél. : 0033 (0)6 14 89 16 37
Api.maulne chez orange.fr
www.api.maulne

La technique agricole au service de l’apiculture


Petit fils d’agriculteur, Olivier Deffontaine a été, durant la moitié de sa carrière, technicien agricole (contrôle laitier, responsable de coopérative) dans diverses régions de France. Il est venu dans la région de son épouse (non loin du Mans) avec ses cinq enfants. Lorsqu’il a été question de redévelopper une activité, le choix du couple s’est porté sur l’apiculture même s’ils disposaient de 200 ha de terre et que d’autres spéculations étaient possible. Ils voulaient garder une autonomie dans leur travail et ne pas dépendre des groupes agricoles.
Les ruchers de la Molle existent ainsi depuis 2010. Ils ont investi dans un rucher de 200 colonies. En 2011, ils rachètent 50 essaims et arrivent à produire 200 hausses. La seconde année est plus noire car ils retombent à 120 colonies. La déception est forte mais ils repeuplent leur cheptel en produisant des essaims par division. Olivier suit une formation en élevage de reines et en production d’essaims. Aujourd’hui, il élève sur 3 souches de Brandstrup (Buckfast) et produit 500 reines par an. Toutes ses reines sont marquées et clipées. L’exploitation compte 650 ruches DB 10 cadres, 120 ruchettes en bois 5 cadres et 100 ruchettes en polyesther. Le couple a de l’aide de la famille et de certains aidants extérieurs. Les ruches de production sont sur plancher Nicot.
Dès mi-mars, les colonies doivent être sur 5 à 6 cadres en début de colza. Les plus fortes sont écrémées et ils produisent ainsi une centaine de ruchettes.


Pour les traitements, ils utilisent plusieurs matières actives : le Bee Vital Hive Clean en début de printemps, surtout si le couvain présente des problèmes, des languettes d’amitraz de fabrication maison en traitement d’été après le tournesol et, en hiver, un traitement avec l’acide oxalique.
Son calendrier des miellées est assez classique : flore de printemps dont le colza, acacia, tilleuls, châtaignier et forêt et enfin le tournesol. Toutes ses ruches ne suivent pas l’ensemble des miellées. Il pratique la transhumance mais les distances restent réduites (max 70 km). Ancien agriculteur, il connaît bien la qualité des terres et il a constaté que la production de nectar des tournesols dépend assez fortement de la richesse des sols. Une teneur en matière organique de 3 à 3,5 % des terres argileuses est très favorable mais si elle descend à 2 ou 1,5 %, on ne produit plus de miel. Un problème vient du fait que les céréales occupent aujourd’hui la place du tournesol sur les bonnes terres car les coopératives poussent les agriculteurs vers ces cultures plus rémunératrices pour elles (vente de phytos et d’espace de stockage dans les sillos) à l’inverse du tournesol qui ne leur rapporte rien car c’est une culture très rustique qui assure pourtant aux agriculteurs un revenu plus régulier que les céréales.
Le couple s’est équipé d’une belle miellerie montée d’une chaîne d’extraction assez récente. Les conditions de travail y sont agréables. Ils évitent de chauffer leurs miels pour les défiger en étuve.
Ils vendent 60 % de la production au détail et pour compléter sa gamme de miels, ils produisent du pollen sur une cinquantaine de ruches (2 ruchers) et du pain d’épice.



Exploitation MELLI-OUEST de Frank ALETRU
Route de la Caillère
85410 ST LAURENT DE LA SALLE
Tél. : 0033 (0)2.51.51.51.94
Fax : 0033 (0)2.51.51.30.26


Un entrepreneur déterminé


Frank Alétru est un homme hors du commun avec une personnalité bien trempée. Ancien pilote de course motos chez Yamaha, il a débuté en apiculture avec juste une valise, sans un sou, mais avec une forte détermination et une volonté de lancer son exploitation. Il a fait ses premiers pas en récoltant des essaims dans les arbres. Et bien vite, il a développé une exploitation professionnelle de grande dimension. Aujourd’hui, Melli-Ouest, avec ses 6 à 10 travailleurs, produit 100 t de miels, 2000 essaims et 3 - 4000 reines par an (chiffre d’affaires 2015‎ : ‎834 900,00 €€). Il alimente une grande partie des commerces de Vendée et il conditionne également du miel pour d’autres revendeurs. Sa spécialité est celui de Manuka, miel très coûteux et difficile à conditionner vu sa structure instable (120.000 pots).
Tout ce beau travail a manqué s’effondrer lors de l’utilisation du Gaucho sur tournesols. Il s’est alors lancé dans une lutte avec le concours d’autres apiculteurs comme Philippe Vermandere ; ensembles, ils ont pu convaincre les centres d’Etat de s’intéresser au problème (INRA, CNRS…). 2 à 3 ans ont été nécessaires pour obtenir les premiers résultats. Frank reste toujours très actif dans la lutte aujourd’hui. Sa nouvelle nomination à la présidence du Syndicat National d’Apiculture (SNA) ne fait que confirmer son rôle de leader.

Côté miellerie, il a revendu sa chaîne automatique pour ne conserver que du matériel très robuste composé d’une désoperculeuse à plat, de deux extracteurs 54 cadres et d’un spinomiel qui traite le miel et les opercules. Il extrait ainsi 220 hausses par jour et donc, 2,5 t de miel par jour.
Il aime se consacrer à l’élevage et il dispose naturellement d’une salle de greffage. Il travaille avec des starters ou des starters-finisseurs en fonction de la saison. Les élevages avec la noire se font sur des colonies orphelines. Une sélection rigoureuse est pratiquée pour ne garder que les 5 meilleures. Le poids des reines est utilisé dans cette sélection. Il accorde une grande importance à la longévité des abeilles. Si celle-ci passe de 53 à 45 jours, c’est le butinage qui est prioritairement affecté. Il a beaucoup appris de Charles Goetz.

Les ruches sont sur des palettes en châtaignier trempées dans la paraffine. Il utilise aussi pour les ruches de la cire microcristalline avec de la propolis de grattage (3 - 4 %). Il peut traiter 150 - 200 ruches en quelques heures. Les planchers s’imbriquent bien dans les calles placées sur les palettes.
Les ruchers sont constitués de 8 palettes (32 ruches), ce qui correspond à un plateau de camion. Il utilise des cadres en cire ou en plastique. Ces derniers sont nettoyés avec de la soude caustique.
La lutte sanitaire est organisée à l’échelle régionale : deux ans d’Apivar suivis d’un an d’Apistan. Les produits sont laissés 12 semaines. 97 % des ruchers sont traités en même temps. Il n’utilise pas d’acide oxalique car, selon lui, il y a de grandes amplitudes thermiques.

Une partie du bâtiment est dédiée à un grand magasin de produits de la ruche où il présente très bien ses propres produits.



Exploitation L’abeille gallante
11 rue des Mottes
17 470 Cherbonnière
Tél. : 0033 (0)5 46 26 32 62 - 0033 (0)6 69 65 47 05

Toujours plus « grand »

Pascal Spirkel est un des plus importants apiculteurs professionnels de la région que nous ayons visité avec ses 3500 colonies (3000 ruches et 500 ruchettes), il représente la nouvelle tendance en apiculture. Comme nous disait un de ses voisin : « avant j’étais le plus important avec 800 ruches et aujourd’hui, je suis un petit ».
L’exploitation de l’Abeille Galante est dirigée par Pascal aidé dans cette tâche par sa femme, sa fille et son beau-fils. Si l’activité principale est la production de miel, ils ont également un magasin de matériel apicole, ils vont récolter les nids de frelons asiatiques en soirée à partir du mois de septembre et ils travaillent 97 ha de céréales. La masse de travail est impressionnante et chaque minute est comptée. Tout est donc extrêmement rationnel.
Leurs ruchers de 110 à 120 colonies sont répartis en quatre zones dans trois départements (Charente, Charente Maritime et Deux Sèvres) situés dans un rayon de 35 km. Ces zones représentent des périmètres de travail qui permettent de faire des itinéraires optimalisés. Il faut au moins deux semaine et demi pour faire une opération sur les ruches. La première visite des colonies se fait du 15 février au 10 avril. En cas de suspicion (souris…), ils repassent pour un contrôle. Une attention particulière est accordée à la loque américaine. La seconde visite se fait après la miellée de colza. Ils n’équilibrent pas leurs colonies mais ils produisent des essaims. 1100 sont produits chaque année pour renouveler le cheptel. Les ruchettes comptent 2 cadres de couvain, un cadre de rive qui fait partition et ils y ajoutent les nourrices de deux cadres. Ils achètent des cellules royales Buckfast chez Laurent Dugué (frère de Patrice Dugué). Les nouvelles ruchettes sont placées dans un des quinze ruchers d’élevage (80 à 110 ruchettes).
Normalement les ruchers sont sédentaires mais au printemps, ils transhument 500 à 600 ruches en Aquitaine (max 180 km) pour diversifier les récoltes (acacia, bourdaine, forêt) et ils placent des ruches en pollinisation sur fruitiers.
Les types de miels produits sont les suivants : colza (25 à 40 t), acacia (600 à 700 kg), châtaignier (3 à 5 t), toutes fleurs (2 à 3 t - en diminution forte), tournesol (35 à 40 t), bourdaine (2 à 3 t). Ils ont produit 85 t cette année. La chaîne d’extraction permet de traiter 3 à 4 t par jour.

Pascal et son équipe accordent une importance énorme au volet sanitaire. Chacune des quatre zones de ruchers possède un rucher sanitaire avec une fosse permettant de brûler les cadres loqueux en cas de besoin. Les ruches concernées sont passées au chalumeau et à la javel. Tout le matériel qui rentre à l’exploitation est systématiquement désinfecté (rotation de 5 ans). Suite à une infestation importante, ils ont un jour désinfecté 5000 hausses en les trempant dans un bain de javel 30 minutes et en les repassant à l’extracteur par la suite pour les vider de leur désinfectant. Du matériel sale n’est jamais mis en contact avec du matériel désinfecté. Ils ont des espaces spécifiques pour le matériel utilisé et le matériel désinfecté. Les ruches sont traitées à deux reprises avec des inserts fabriqué à base d’amitraz : une fois lors de la récolte et une seconde fois après 4 semaines.


Un grand merci à toutes ces personnes qui nous ont reçu avec énormément de gentillesse, d’ouverture et de disponibilité malgré leur charge de travail très importante.