VOYAGE 4 : Du terrain à la recherche

Etienne BRUNEAU

En apiculture, le rôle des apiculteurs est essentiel pour révéler les problèmes de terrain. Ainsi quelques apiculteurs n’hésitent pas à s’investir dans des actions qui permettent de mieux comprendre des phénomènes inexpliqués. Philippe Aimé fait partie de ces apiculteurs toujours en recherche de réponses. Ils apportent de nouveaux sujets aux équipes de chercheurs qui mettent alors en place des programmes afin de rechercher la cause de ces problèmes.
Côté recherche, nous avons visité la station INRA du Magneraut située au cœur de la Charente-Maritime.


La maison des Miels
Philippe et Muriel Aimé
16 chemin Rochelais 17 700 VOUHE,
(+33)0682381151,
lamaisondesmiels chez sfr.fr

La Maison des Miels


Philippe Aimé s’est installé en 1984 à Vouhé à quelques kilomètres de La Rochelle et y a construit sa miellerie. C’est là qu’il a démarré son exploitation apicole avec 400 ruches Dadant 12 cadres. En 2000, Muriel, son épouse le rejoint et ils passent à 650 ruches et ajoutent la récolte de pollen à leurs activités. Depuis lors, les choses ont bien évolué sur le territoire Nord de la Charente-Maritime et en bordure des Deux-Sèvres. Après être montés à 800 - 900 ruches ils sont redescendus à 500 - 600 ruches aujourd’hui. Les ruchers sédentaires utilisés pour la récolte de pollen sont localisés dans un rayon de 25 km de leur siège d’exploitation. Dans les années 80, la présence de miels à profusion sans acquéreur, leur a demandé de travailler la qualité pour se différencier. Ils étaient coopérateurs.


Dans les années 90, suite à de gros problèmes de marché et à la faillite de la coopérative, ils ont décidé de rester indépendants. En parallèle de leur activité apicole, ils sont ainsi devenu conditionneurs pour d’autres apiculteurs. Ils ont acquis récemment une chaîne de conditionnement de miel assez sophistiquée et polyvalente qui leur permet de conditionner dans divers types de récipients. Ils sont très peu sur le marché du conditionnement, à être aussi polyvallents. Ils conditionnent ainsi 50 tonnes de miel (leur miel et du conditionnement à façon).
En 1999, de nouveaux problèmes sont arrivés avec 50 % de perte de cheptel suite au Gaucho. Ils ont dù restructurer l’exploitation et modifier les emplacements pour les placer dans le sud de la Charente-Maritime, en Charente et au nord de la Gironde.
En 2013, la commercialisation est arrêtée faute de miel ce qui a imposé une révision des prix et du mode de règlement. Aujourd’hui, le marché du miel en gros est détruit et de nombreux revendeurs ont disparu. Il est assez surprenant qu’après 25 ans, les apiculteurs se retrouve dans une situation similaire : plus de miel, plus d’intermédiaires et plus de marché. Heureusement pour la famille Aimé, le fait d’avoir pris leur indépendance leur permet de survivre et ils livrent toujours 25 supermarchés de la région. Ceci nécessite d’avoir une rotation de stock de 18 mois. Heureusement, les prix au détail ont augmenté très vite ces derniers temps.


Philippe et Muriel ont entrepris un travail de terrain important en 2008 pour analyser les dysfonctionnements observés au niveau des colonies. Ils se sont penchés sur l’impact de certains herbicides combinés avec la fertilisation des sols (azote). Ils ont travaillé sur des parcelles isolées et en 2014 ils ont travaillé avec la chambre d’agriculture locale sur les pratiques d’herbicides utilisés en mélange. Certains assemblages d’herbicides provoquent une absence de butinage, d’autres assemblages débouchent sur des colonies bourdonneuses avec des renouvellement précoces de reines. Ils ont présenté récemment à des scientifiques et des apiculteurs de leur région leurs résultats qui semblent indiquer que certains herbicides posent réellement des problèmes lors d’une utilisation comme l’Alabama, qui écarte les butineuses de la parcelle de colza traitée, ou le tandem Novall + Racer ou Novall+ Mercantor qui génèrent des dysfonctionnements importants au niveau des colonies. Il va de soi que des essais menés dans des conditions strictes devraient être réalisés pour confirmer ces résultats.


En parallèle, le couple a également suivi de près l’impact de certains éléments (origine des reines, type de multiplication…) sur le renouvellement de cheptel. Les différentes étapes suivies sont intéressantes pour mieux comprendre sa façon d’appréhender les problèmes rencontrés.
Organisation de l’exploitation concernant le renouvellement du cheptel :

  • Avant 2006 : 200/250 essaims/division simple sans partition et sans nourrissement par an.
  • 2006 : achat de 200 reines fécondées, taux d’échec 50 % .
  • 2007/2010 : achat de 400 cellules auprès de 2 multiplicateurs (200 essaims, 200 changements de reines). Echecs importants.
  • En 2011 apparition de couvains atypiques avec destructuration larvaire qui donnent un couvain anormal (mosaïque).
  • 2012/2013 : besoins en sirop en augmentation, développement des colonies non satisfaisant.
  • 2013 : dernière année d’achats extérieurs car suspicion de maladies, et mise en place de prophylaxie.
    Méthode = élimination des cadres de couvain, et la colonie redémarre sur cire gaufrée.
    Début de la maîtrise des mortalités hivernales. Augmentation des colonies sans valeur en saison, plus aucune stabilité des colonies.
  • 2014 : début de l’élevage par greffage sur l’exploitation (starter ouvert). Sélection massale uniquement sur le critère de l’homogénéité de ponte (répartition des œufs et des larves jusqu’à l’operculation) sur les colonies de l’exploitation. Les essaims sont faits par division simple. Production de cellules pour remérage uniquement.
    Intensification de la prophylaxie. Suppression du sirop sur les essaims remplacé par du candi et remérage naturel.
    Dans les colonies non satisfaisantes, les cadres de couvain sont retirés et on introduit une cellule à 5 - 6 j (et pas 12 j) car cela permet que tout le couvain soit né quand la nouvelle reine commence à pondre).
  • Septembre 2015 : sélection de 18 colonies avec destructuration larvaire (10 = élimination des cadres de couvain, 8 = maintien des cadres de couvain). Résultats : 1er lot : 8 colonies sur les 10 sortent vivantes d’hivernage. 2ème lot : 7 colonies sur les 8 meurent au cours de l’hiver.
  • Printemps 2016 : 200 essaims par division simple, 92 % entrés en ponte et 40 % mis en hivernage. Retrait des cadres de couvain des colonies malades (couvain mosaïque sur couvain operculé et couvain ouvert). Sur une ruche malade, retrait des cadres (11 cadres de couvain à remplacer par des ½ cires gaufrées).
  • 2017 : Evolution positive des résultats : 88 % des essaims entrent en ponte. Retrait de pains de candi pas ou peu utilisés par les essaims. 60 % entrés en hivernage après avoir éliminé 10 % d’essaims non conformes ou estimés non viables.

Les colonies présentant des défauts de rapport couvains/abeilles sont déplacées sur les secteurs « propres ». Si elles ne se rééquilibrent pas, la cause doit être interne à la colonie.
Printemps et automne 2016 : Réalisation de prélèvements sur 14 colonies (abeilles et couvain). Les analyses ont été réalisées par le laboratoire ANSES. Les envois des échantillons congelés avec des plaques eutectiques se font par Chronopost. Le contrôle des varroas s’est fait par la technique du sucre glace (45 g minimum d’abeilles et 15 g de sucre glace) tout en sachant que les colonies avaient une lanière Apivar depuis 1 mois.
Les résultats mettent clairement en évidence que certaines colonies ont une charge virale très importante au niveau des abeilles adultes et beaucoup plus faible au niveau du couvain. Ceci ne peut s’expliquer que par le nettoyage des jeunes larves infectées par les abeilles nettoyeuses qui se contaminent ainsi. La rapidité hygiénique empêche l’expression des signes cliniques des maladies du couvain. Cela interpelle par rapport au travail de sélection actuel basé sur la rapidité de nettoyage.
En 2017, le couple observait de belles structures de couvain larvaire et n’a enregistré que 6 % de mortalité hivernale et 1 % de colonies bourdonneuses.

Philippe Aimé réfléchit longuement avant de réaliser de nouveaux investissements. Dernièrement, le couple a réalisé un investissement important en agrandissant fortement leur bâtiment. Ils ont ainsi 400 m2 avec, dans la nouvelle partie, de la hauteur qui permet un stockage important. L’ancienne miellerie est consacrée au travail du pollen. La chambre chaude est conservée et se situe à proximité de la pièce où se fait l’extraction. La chaîne d’extraction est assez classique (deux extracteurs centrifuges). Par la suite le miel est mis dans des bacs en plastique alimentaires car ils n’utilisent pas les fûts classiques mais bien ces grands bacs très faciles au niveau du stockage et de la manipulation. Ils disposent d’une chambre de refonte (7 tonnes à 48°C en moins de 72h) et d’un grand maturateur (5,5 tonnes) avec malaxeur (faible rotation 9 à 14 t/min) qui permet de produire des lots de grand volume. Comme nous l’avons vu la chaîne de conditionnement est très performante (600 à 800 pots/heure/personne). D’autres pièces permettent de stocker les ruches avec une température de l’ordre de 18°C.



INRA
www.poitou-charentes.inra.fr/Le-centre-Les-recherches/Unites-du-centre/Apis

L’INRA Magneraud

L’INRA Magneraud est un des 20 centres régionaux de ce grand Institut National de la Recherche Agronomique français, employant 8000 agents dans le pays. La partie consacrée à l’entomologie est une des 4 unités présentes (volailles, génétique animale, certification de semences) dans ce centre. Les 13 personnes y sont affectées sous la responsabilité de Pierrick Aupinel. Ils ont pour mission de mettre au point des méthodes pour évaluer les effets non intentionnels des pesticides sur l’abeille et d’évaluer les effets des ressources alimentaires fournies par l’environnement agricole et le paysage, sur le développement des colonies d’abeilles.
L’unité travaille depuis les années 80 et a fait sa renommée avec les travaux de Jean-Noël Taseï sur les bourdons et l’élevage d’abeilles solitaires. Depuis 2003, les abeilles mellifères sont au cœur des activités de recherche de l’unité. La mise au point par Pierrick Aupinel du test de toxicité larvaire, intégré aujourd’hui dans tous les tests d’agréation de molécules, répond directement à la mission du centre. L’équipe dispose de 140 colonies à proximité des bâtiments et d’une dizaine de colonies dans un rucher fermé pour le suivi de certains tests. Des thèsards réalisent actuellement des tests de coexposition de fongicides (boscalide) et d’agents pathogènes (loque américaine). Ils vérifient également les interactions sociales lors de la réintroduction d’abeilles traitées en ruche ou l’impact du traitement larvaire sur la survie des adultes.
Depuis 2007, cette unité dispose également d’un dispositif de suivi de terrain unique en Europe (projet ECOBEE). Il intègre les données apicoles, écologiques et botaniques sur un territoire-atelier de 46.000 ha (± 20 X 25 km) comprenant 19.000 parcelles pour lesquelles l’INRA dispose d’un historique complet. Ce projet est géré en collaboration avec l’INRA d’Avignon et le CNRS de Chizé situé non loin de là. 50 ruches sont disposées d’avril à octobre par groupe de 5 dans 10 ruchers au cœur de zones de 10 km2 qui alternent chaque année. Ces colonies sont visitées et évaluées très régulièrement : 3 colonies toutes les deux semaines et deux autres (témoins) en début et fin d’expérimentation. Le dispositif Ecobee est le support de nombreux projets de recherche : POLLINOV, DEPHY-Abeilles, TECHBEE, « Mon village, Espace de biodiversité », RISQAPI, CENTAURE, RMT FlorAd, LISEA-Biodiversité… Cette zone d’étude, aliée à l’utilisation des capteurs RFID, a ainsi permis de réaliser la publication sur l’impact du thiamétoxan sur les abeilles (non retour des abeilles à la ruche). Les chercheurs ont également pu mettre en évidence l’évolution des populations en relation avec les réserves dans la ruche.
Jean-François Odoux, qui est chargé du laboratoire de palynologie, a constitué dans ce cadre une belle base de données sur les pollens, accessible sur internet. Les récoltes régulières de pollen de trappe leur a, par exemple, permis de mettre en évidence l’importance du pollen de coquelicot pour les abeilles de la zone (80 % des apports pendant 1 mois). Les scientifiques ont aussi pu déterminer que la distance moyenne de butinage est de 1.700 m (de 500 m à plus de 5 km). Les résultats générés par ce grand programme d’étude débordent du cadre apicole au sens large (bourdons y compris). ECOBEE permet d’intégrer l’agriculture avec l’apiculture en vue d’un meilleur respect mutuel de ces deux filières.