FICHE PEDAGOGIQUE : La communication visuelle et les relations plantes-abeilles

Agnès FAYET

Voir n’est pas communiquer mais y participe

Dans quelle mesure peut-on parler de communication visuelle à propos des abeilles mellifères ? La communication visuelle est fondée sur des échanges de signaux morphologiques (postures, couleur, gestes et mouvements). On est en droit de penser que les danses en huit effectuées pour recruter les butineuses sont de cet ordre. C’est oublier que, si nous en avons une perception symbolique et visuelle, elle est pratiquée dans l’obscurité de la ruche et le message communiqué requiert d’autres sens que la vue chez les abeilles. C’est majoritairement le cas dans les colonies d’Apis mellifera et d’Apis cerana, espèces cavernicoles. Par contre, c’est beaucoup moins vrai pour Apis dorsata (danse sur les côtés verticaux du nid) et Apis florea (danse sur le plateau au-dessus du nid) qui nidifient à l’air libre. La vue joue bien un rôle à l’extérieur de la ruche, où elle permet la mémorisation des parcours et la détection des sources de nectar mais le mode de restitution de l’information est tout autre. On peut dire que la vue rend les informations disponibles mais que la transmission des données se fait par une communication chimique, tactile ou vibratoire. La vue n’est donc dans ce cas qu’une partie d’un ensemble sémantique.

La réponse aux signaux des plantes

Fleurs de marronnier
Fleurs de marronnier

Si la communication visuelle semble ne jouer qu’un rôle marginal dans la colonie, elle intervient fondamentalement dans le cadre de relations interspécifiques entre les butineuses et les plantes. C’est le monde végétal qui a l’initiative et qui communique ses besoins aux destinataires de ses messages, les abeilles et autres pollinisateurs.
Les signaux épigamiques sont émis par les organes reproducteurs des plantes et les animaux qui y réagissent et qui appartiennent aux catégories des disperseurs de graines (oiseaux, etc…) et des pollinisateurs. On parle d’une relation mutualiste. Elle est initiée par les plantes. La différence essentielle entre les signaux constitués par les fruits et les signaux produits par les fleurs, c’est que le fruit est, du point de vue de l’animal, à la fois le signal et la récompense. Au contraire, les fleurs signalent la présence de récompenses (corolle, couleur, etc.). L’exemple le plus caractéristique est celui des fleurs qui changent de couleur une fois qu’elles sont pollinisées. Ce comportement permet d’augmenter l’efficacité de la quête de nourriture chez les pollinisateurs qui se dirigent ainsi directement vers les fleurs productrices. Pour la plante, c’est la garantie d’un transfert efficace de pollen vers les fleurs qui en ont besoin. Pensons simplement au marronnier d’Inde (Aesculus hippocastanum L.) dont la tache centrale des inflorescences vire du jaune au rose-rouge lorsque la pollinisation est faite. Les abeilles et les bourdons ne perçoivent pas le rouge et ne visitent donc plus que les fleurs ponctuées de jaune qui en ont besoin.
Le mimétisme floral est un sujet très complexe qui ne fait d’ailleurs pas simplement entrer en jeu le canal visuel. Certaines plantes utilisent ce mode opératoire à des fins peu « honnêtes » du point de vue du pollinisateur. Elles miment le comportement des fleurs généreuses en nectar mais ne sont qu’un leurre. Naturellement, les pollinisateurs sont moins susceptibles de visiter plusieurs « fleurs ingrates » de la même plante mais la stratégie est tout de même payante pour la plante qui dépense moins en énergie pour produire de la nourriture et qui obtient une bonne probabilité de pollinisation croisée. Ainsi, on évalue à un tiers les espèces d’orchidées qui n’offrent aucune récompense aux pollinisateurs. Elles tirent profit d’un comportement appelé « généralisation des couleurs » basé sur le fait que les pollinisateurs ont tendance à préférer des couleurs qu’ils ont appris à associer à une récompense. C’est le cas des fleurs très colorées (sauf le rouge), qui présentent un fort contraste avec l’arrière-plan. Plus leur nombre est important, plus c’est attractif pour l’abeille mellifère. Ajoutons que les abeilles vont avoir tendance à préférer les fleurs à nombreux pétales plutôt que les formes plus simples et rondes.

Communication brouillée

La communication entre les plantes et les abeilles coure aujourd’hui un risque lié aux conséquences du changement climatique. Du point de vue écosytémique, les abeilles et les autres pollinisateurs sont des intermédiaires liées au cycle de vie des plantes et responsables de la réussite des cycles de pollinisation. Or, ces cycles sont perturbés par les modifications du climat. Cela perturbe la communication entre plantes et pollinisateurs. La menace est un effondrement écosystémique qui se marque déjà par la disparition des pollinisateurs sauvages et par des colonies d’abeilles affaiblies. À plus long terme, la menace porte sur la production alimentaire.

A. La butineuse capte les informations
A. La butineuse capte les informations

B. Elle restitue l‘information
B. Elle restitue l‘information

Communication complexe mais pas visuelle

En résumé, les abeilles communiquent entre elles essentiellement via des codes chimiques (odeurs), des contacts, des sons, des vibrations. A ces messages, les ouvrières répondent par une modification de comportement, des réactions ou des actions individuelles et collectives. En outre, les butineuses répondent aux messages du monde végétal en collectant le nectar des fleurs qui sont attractives pour elles. La danse des abeilles illustre parfaitement ce système de communication complexe parfaitement intégré qui fait intervenir plusieurs types de codes. Les informations visuelles n’interviennent pas : elles sont utiles au niveau de l’orientation, de la mémorisation, de l’apprentissage. Voir est une lecture du monde extérieur à la colonie que d’autres canaux vont exprimer dans la colonie. L’abeille voit le paysage, perçoit la fleur, repère le site de butinage et traduit les informations en les dansant.

Références :

  • Thakar, J.D. et al. (2003) Nectarless flowers : ecological correlates and evolutionary stability.
  • Oecologia 136, 565–570
  • Roy, B.A. and Widmer, A. (1999) Floral mimicry : a fascinating yet poorly understood phenomenon. Trends Plant Sci. 4, 325–330
  • Weiss, M.R.(1991) Floral colour changes as cues for pollinators. Nature 354, 227–229
  • Schaefer, H. M., Schaefer, V., & Levey, D. J.(2004). How plant–animal interactions signal new insights in communication. Trends in Ecology & Evolution, 19(11), 577-584.
  • Towne, W. F.(1985). Acoustic and visual cues in the dances of four honey bee species. Behavioral Ecology and Sociobiology, 16(2), 185-187.