API : Méthode d‘hivernage au Canada

Agnès FAYET

Les hivers canadiens sont légendaires. Le sud-est du pays et la côte pacifique sont soumis à un climat continental humide caractérisé par des étés chauds et des hivers froids avec des précipitations abondantes toute l’année et beaucoup de vent. Dans les prairies au centre du pays, les hivers sont secs et très froids mais le fameux vent Chinook, un vent du Sud, peut faire monter très vite les températures en hiver et faire fondre la neige. Le nord des provinces qui pratiquent l’apiculture dans la partie centrale de tout le Canada ainsi que le Québec sont quant à elles soumises au climat subarctique. Pour éviter les pertes hivernales, les apiculteurs canadiens ont développé des procédés techniques plus ou moins énergivores. Dès le mois d’octobre, les ruches sont physiquement préparées à passer l’hiver par des systèmes d’isolation ou de confinement. Certaines colonies peuvent être hivernées sur un seul élément Langstroth même si on trouve également des colonies sur deux ou trois éléments.

Hivernage en extérieur

Carte climatique du Canada selon la classification de Köppel
Carte climatique du Canada selon la classification de Köppel

Pour l’hivernage en extérieur, les colonies doivent être particulièrement bien préparées. Elles vont subir un stress dû aux rigueurs du climat (températures polaires, écarts de température, humidité, vent…). On dit que ces colonies doivent être très populeuses et avoir des réserves suffisantes. Anicet Desrochers, apiculteur dans les Hautes Laurentides au Québec, sélectionne quant à lui des abeilles qui hivernent en petite grappe et consomment peu l’hiver mais explosent au printemps. Il hiverne ses colonies en extérieur sur un corps en les regroupant par quatre sur une palette.


Figure 1 - Emplacement de la sortie haute de la colonie
https://cowtrailsandponytales.wordpress

Photo 2 - Emballage des ruches avant l’hiver
Photo 3 - Ruches emballées pour l‘hivernage
Photo 2 : https://www.honeyflow.

Les toits sont recouverts d’un isolant en styrodur placé à l’extérieur de la ruche. Il utilise des feuilles d’isolant en papier bulle argenté avec une face gris clair au dos pour que le soleil réchauffe bien les colonies au printemps. Il emballe le groupe de quatre ruches ensemble et fixe le matériau isolant en l’agrafant, côté argent contre les ruches. Il perce l’isolant au niveau des ouvertures hautes des ruches, sous le couvercle. Elles mesurent 5 à 6 centimètres. Les entrées des ruches sont protégées par l’isolant mais les abeilles peuvent sortir puisque le matériau n’est pas agrafé en bas au niveau de l’ouverture. Un matelas isolant est également posé sur le toit du groupe de quatre colonies. A la pose, il laisse largement déborder le matelas et le rabat sur les colonies, comme un paquet. Le tout est fixé avec des agrafes sauf au niveau des ouvertures hautes pour laisser le passage aux abeilles tout en évitant le vent et l’humidité. Les deux ouvertures permettent une circulation d’air dans la ruche qui limite la condensation. La neige qui va recouvrir les ruches aura la fonction d’un igloo et formera un manteau de protection supplémentaire. La neige laisse passer l’oxygène, donc pas de problème pour les colonies. Par contre, il faut se méfier de la glace qui peut se former avec les pluies verglaçantes parce qu’elle forme une coque qui arrête le passage de l’oxygène. Chaque apiculteur a plus ou moins sa méthode pour emballer ses ruches, de la plus simple à la plus sophistiquée, mais l’idée générale est la même : bien protéger les côtés et le dessus des ruches, les isoler du sol et empêcher les courants d’air. La double entrée basse et haute de la ruche est largement utilisée, associée à un couvercle parfois incliné.

Les ruches sont soigneusement placées à l’abri des vents dominants et exposées au soleil. Il est parfois difficile de savoir où se trouve le rucher sous la neige ! L’un des dangers peut venir des véhicules (4x4 ou motoneiges) et il faut protéger les ruches en les plaçant loin des chemins de circulation. Le terrain doit également être plat, stable et sans risque pour les colonies au moment de la fonte de la neige. L’accès aux ruches en hiver n’est pas facile : il faut être en bonne condition physique et chausser ses raquettes parfois ! La surveillance ponctuelle est toutefois nécessaire.

Hiverner à l’extérieur permet aux colonies un démarrage plus rapide que celles qui sont hivernées en intérieur. Cette technique a les faveurs des apiculteurs qui veulent que la reine ponde plus rapidement au printemps et que les colonies soient fortes pour les premières miellées et surtout les premières pollinisations. Il n’est pas rare qu’une même exploitation hiverne une partie des colonies en intérieur et l’autre en extérieur dans ce but.

Hivernage en intérieur



Certains apiculteurs préfèrent rassembler les ruches dans des hangars ou des caveaux, climatisés ou pas, en fonction de l’investissement choisi (infrastructure et énergie). D’immenses chambres froides permettent de maintenir un grand nombre de colonies durant tout l’hiver dans l’obscurité à une température constante de 5°C (une fourchette de -1 à 7°C est admise) avec une humidité relative régulée entre 50 et 70 %. Ce sont les conditions optimales pour que les abeilles consomment le moins possible leurs réserves de nourriture.

Ces chambres d’hivernage peuvent contenir plusieurs milliers de ruches méticuleusement empilées. Cette solution est bien souvent réservée aux grosses exploitations apicoles. Dans les chambres d’hivernage, il faut soigneusement vérifier la température, la circulation de l’air et la ventilation pour éviter l’excès d’humidité et le dioxyde de carbone. De l’air frais doit être fourni aux colonies. Les ruches doivent être maintenues dans l’obscurité pour garantir l’inactivité des abeilles. Les apiculteurs travaillent avec des lumières rouges auxquelles les abeilles sont insensibles. Un espacement de 1 mètre est conseillé entre les différentes rangées de ruches qui sont placées perpendiculairement aux conduites d’air.


Figure 4 - Currie, R. W., Spivak, M., & Reuter, G. S.(2015). Wintering management of honey bee colonies. The Hive and the Honey Bee, 629-662

Gestion des parasites et pathogènes grâce aux chambres d’hivernage

Les chambres d’hivernage ont en outre l’avantage de pouvoir intégrer une gestion des parasites et des pathogènes. Avant l’utilisation hivernale de la chambre froide, ruches et cadres peuvent être entreposés dans les chambres froides pour une action prophylactique. 2 heures à -15°C suffisent à se débarrasser des larves de la fausse teigne.


L’hivernage en chambre froide lui-même semble avoir un impact sur les mortalités hivernales dues aux interactions parasites et pathogènes. Selon les résultats d’une étude menée par Suresh D. Desai et Robert W. Currie de l’Université du Manitoba, des colonies soumises à des charges initiales de parasites et d‘agents pathogènes similaires enregistrent des taux de perte plus faibles avec un hivernage en chambre froide dans un environnement contrôlé plutôt qu’avec un hivernage en extérieur. Comme on le voit dans la figure 5, les charges en agents pathogènes ont tendance à baisser en hivernage intérieur et au contraire à monter en extérieur. En chambre d’hivernage, le virus des ailes déformées (DWV) diminue nettement par rapport à la charge automnale. Il reste élevé avec un hivernage extérieur. Cette charge élevée associée aux populations de varroas est, selon les scientifiques, corrélée avec les pertes à la sortie de l’hiver en hivernage extérieur. Aucune corrélation n’existe par contre entre les pertes de colonies et nosema ceranae.

Certains systèmes de fumigation intégrés dans les chambres d’hivernage permettent de diffuser de l’acide formique dans le cadre de la lutte contre varroa. La fumigation simultanée d’un ensemble de colonies est rendue possible avec une main-d‘œuvre réduite et une bonne efficacité selon les expériences réalisées par RM Underwood de l’Université de Pennsylvanie qui a travaillé avec le spécialiste canadien déjà cité RW Currie de l’Université du Manitoba. La fumigation hivernale en intérieur des colonies d‘abeilles mellifères avec de l‘acide formique a permis de tuer un pourcentage élevé d‘acariens mais n‘a pas réduit de manière significative la proportion d‘abeilles avec une trachée infestée par Acarapis woodi pendant la durée des expériences. La fumigation a eu tendance à baisser l‘abondance moyenne des spores de nosema mais seulement lorsque les colonies n’étaient pas fortement infestées. Cependant, la fumigation avec de l‘acide formique pendant l‘hiver à une faible concentration pendant de longues périodes a considérablement inhibé l‘accumulation de spores de populations de Nosema apis et Nosema ceranae pendant une durée d’un an.

D’autres recherches ont porté, par exemple sur l’impact de la ventilation dans la lutte contre varroa dans les chambres d’hivernage. Les résultats de R.Bahreini et RW. Currie suggèrent qu’une ventilation restreinte serait susceptible d’avoir un impact sur les mortalités de varroa sans affecter les abeilles en hiver. Cette ventilation restreinte a pour conséquence un niveau moyen de CO2 augmenté de 200 % par rapport à la ventilation standard au cours d’une période de 16 jours.

Système de fumigation d‘acide formique dans les chambres d‘hivernage - <p>Figure 6 - Underwood, R. M., & Currie, <span class="caps">R. W.</span>(2009). Indoor winter fumigation with formic acid for control of Acarapis woodi (Acari : Tarsonemidae) and nosema disease, Nosema sp. Journal of economic entomology, 102(5), 1729-1736.</p>
Système de fumigation d‘acide formique dans les chambres d‘hivernage
Figure 6 - Underwood, R. M., & Currie, R. W.(2009). Indoor winter fumigation with formic acid for control of Acarapis woodi (Acari : Tarsonemidae) and nosema disease, Nosema sp. Journal of economic entomology, 102(5), 1729-1736.

Figure 5 - Desai, S. D., & Currie, R. W.(2016). Effects of wintering environment and parasite–pathogen interactions on honey bee colony loss in North Temperate regions. PloS one, 11(7), e0159615.

Naturellement, comme c’est le cas partout dans le monde apicole, chacun a sa méthode et aucune ne fait l’unanimité, surtout si l’on tient compte des disparités qui existent ne serait-ce qu’au niveau de la taille des exploitations. Une chose est certaine : pas de bon hivernage sans bonne isolation ou bon contrôle des conditions auxquelles les abeilles sont soumises.

Références scientifiques :

  • Bahreini, R., & Currie, R. W.(2015). The Potential of Bee-Generated Carbon Dioxide for Control of Varroa Mite (Mesostigmata : Varroidae) in Indoor Overwintering Honey bee (Hymenoptera : Apidae) Colonies. Journal of economic entomology, 108(5), 2153-2167.
  • Currie, R. W., Spivak, M., & Reuter, G. S.(2015). Wintering management of honey bee colonies. The HIve and the Honey Bee, 629-662.
  • Desai, S. D., & Currie, R. W.(2016). Effects of wintering environment and parasite–pathogen interactions on honey bee colony loss in North Temperate regions. PloS one, 11(7), e0159615.
  • Underwood, R. M., & Currie, R. W.(2009). Indoor winter fumigation with formic acid for control of Acarapis woodi (Acari : Tarsonemidae) and nosema disease, Nosema sp. Journal of economic entomology, 102(5), 1729-1736.