Permaculture : agir avec la nature et avec la ruche

Agnès FAYET

C’est dans les années 70 que deux australiens, Bill Mollison et David Holmgren, ont théorisé une méthode inspirée de la nature et de pratiques traditionnelles pour agir (ou plutôt interagir) dans une approche systémique et respectueuse du vivant, de l’environnement, des autres et de soi-même. La permaculture était née. On a coutume de la symboliser par une fleur colorée. Ce symbole montre qu’une démarche éthique peut fonder tout un système de vie. A chacun d’imaginer la manière de concrétiser ce système dans l’environnement dans lequel il évolue : petite terrasse, potager en carré, ferme urbaine ou rurale, etc.


La permaculture peut apparaître au premier abord comme une démarche conceptuelle donc intellectuelle et élitiste. Pourtant, il s’agit avant tout de mettre en musique un certain nombre d’évidences et de les relier entre elles dans un rapport de causes à effets pour créer un contexte respectueux de la vie et favorable à l’abondance. La démarche est systémique c’est-à-dire qu’elle est globale et les actions sont inter-reliées. La permaculture peut passer pour une sorte de retour à la tradition. C’est surtout s’appuyer sur un exemple traditionnel pour répondre à une question qui a un impact sur notre avenir : comment vivre en tenant compte des limites et des ressources de la nature ?

Dans une approche permacole, l’apiculture semble aller de soi. On pourrait dire qu’une colonie d’abeilles incarne le principe même de la permaculture. Elle analyse son environnement et ses ressources et cherche à les recueillir pour vivre (récolte de nectar et de pollen) et pour faire vivre d’autres organismes grâce à la pollinisation. Les abeilles produisent en abondance du miel, du pollen, de la cire, de la propolis, autant de bienfaits pour elles et accessoirement pour l’apiculteur. En retour, l’apiculteur lui prodigue des soins, de l’attention et devrait être idéalement dans une démarche de collaboration et pas d’exploitation. L’apiculteur serait aussi jardinier, nourricier, soucieux de préserver la santé de ses abeilles mais aussi celle de son biotope (son écosystème). L’activité apicole serait liée à d’autres activités, la production apicole en lien avec d’autres productions alimentaires par exemple. Enfin, puisque la permaculture est une philosophie qui s’inspire des écosystèmes naturels pour obtenir un modèle de vie sans impact négatif sur l’environnement, avec un minimum de consommation de ressources et en évitant la production de déchets autant que la soumission à un modèle économique basé sur l’économie de marché, l’apiculteur qui s’engagerait dans cette démarche aurait beaucoup de questions à se poser relatives à sa pratique apicole :

  • Comment pratiquer une apiculture de manière peu intrusive pour respecter l’organisme qu’est une colonie d’abeilles ?
  • Comment aborder l’essaimage, une nécessité pour la reproduction de la colonie mais un problème pour la récolte de miel et un problème de bon voisinage dans les environnements urbanisés, par exemple ?
  • Comment envisager la récolte de miel : technique d’extraction et quantité prélevée (avec la question du nourrissement en ligne de mire) ?
  • Comment aider les colonies dans le contexte de la lutte contre varroa  ? L’objectif de connaître des colonies d’abeilles résistantes à court terme justifie-t-il des pratiques qui peuvent être jugées contre-nature par de nombreuses personnes ? D’un autre côté se pose la question de la pertinence de l’introduction d’acaricides dans les colonies (des produits phytopharmaceutiques qui ne sont pas sans conséquences).
  • L’introduction de cires gaufrées, en particulier dans le contexte actuel, est-il envisageable sans conséquences sur la santé des colonies ? Ne retrouverait-on pas une cohérence à laisser bâtir les abeilles cirières pour retrouver une cire de qualité mais aussi pour répondre à l’agencement des constructions en fonction des besoins de la colonie (nombre de cellules de mâles par exemple) ?
  • De quel habitat l’abeille mellifère a-t-elle besoin et comment y répondre au mieux grâce à des ruches appropriées ?
  • Les abeilles locales sont-elles plus à même de répondre à une pratique apicole résiliente ? La résilience est ici la capacité d’une espèce à récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi une perturbation.
  • Dans le même ordre d’idée, répondons-nous aux besoins de la colonie, à ses besoins nutritionnels en particulier ? Les abeilles que nous élevons vivent-elles dans un environnement qui leur fournit une nourriture abondante, variée et saine ? Comment peut-on remédier à l’appauvrissement du milieu ?

Bon nombre de réponses à ces questions sont liées à des éléments qui ne dépendent pas directement de l’apiculteur et cela peut rendre difficile l’orientation vers despratiques apicoles parfaitement en accord avec un respect de la colonie. Se poser ces questions permet de prendre conscience de la globalité des solutions à apporter. Par ailleurs des choix ayant partie liée à l’économie peuvent être faits plus facilement comme l’auto-construction des ruches, la réduction des dépendances avec des circuits commerciaux (cire par exemple), etc.

Comme dans toute démarche permacole, vivre une apiculture dans le respect des limites et des ressources de la nature demande un temps de réflexion et probablement beaucoup de remise en question avant d’obtenir le résultat souhaité. C’est à la portée de beaucoup d’apiculteurs ayant peu de colonies et beaucoup d’engagement. Ce sont eux qui pourraient le plus facilement ouvrir la voie.

Références :

  • Bill Mollison, Introduction à la permaculture, Passerelle Eco (2013)
  • Sepp Holzer , La permaculture de Sepp Holzer, Editions Imagine un colibri (2011)
  • David Holmgren, Permaculture : Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable, Editions Rue de l’échiquier (2014)