APIMONDIA : Technologie et qualité Des outils de suivi de plus en plus performants

Etienne BRUNEAU

Aujourd’hui, il ne manque plus grand chose avant que vous puissiez limiter les interventions dans vos ruches à quelques moments clés qui vous seront indiqués par votre téléphone portable. Arrivé au rucher, la prise de note se résumera à répondre oralement à quelques questions posées par votre téléphone. Rentré chez vous, vous pourrez analyser en détail toutes les informations transmises par les différents capteurs. Voici quelques exemples pratiques qui nous ont été présentés lors de deux symposia consacrés aux innovations technologiques.

Côté terrain

Janis Kronberg de Bee Tech Services est parti d’un constat : les apiculteurs connaissent des difficultés lors de prises des notes durant les visites de ruches. Un projet Leader (financement européen) letton, « BeeKing » permet aujourd’hui aux possesseurs Android, sur base d’un programme de reconnaissance vocale, de prendre des notes oralement (en letton et en anglais pour l’instant) et d‘accéder à un bref aperçu de l‘historique des interventions dans chacune de leurs ruches. Le portail lancé en 2018 porte sur une centaine d’apiculteurs et couvre tant les ruches que les ruchers. Il comprend également un forum pour la mise en réseau et l‘assistance aux utilisateurs.

Votre Android vous permet également de dénombrer le nombre de varroas sur abeilles, la présence de la reine, les abeilles avec ailes déformées et le nombre total d’abeilles dans votre ruche avec son appareil photo intégré. Björn Lagerman est venu présenter son application BeeScanning qui vous donne ces informations au départ de photos prises par votre smartphone. Les résultats sont donnés avec une précision moyenne de 83 %. Ceci permet de voir dans quelle mesure un traitement s’impose ou pas.

Aujourd’hui l’utilisation de capteurs qui permettent de suivre les colonies de près sans les perturber constitue une évolution majeure. « C’est aussi important que l’arrivée de la ruche à cadres » nous dit Hue Evans de la société Arnia. Il a présenté les outils qui aident au suivi des miellées, à la comparaison des colonies d’une année à l’autre. Tout cela se fait au départ d’une série de capteurs : température, humidité relative, respiration avec le CO2, sons, et activité de vol. Des alertes sont envoyées à l’apiculteur en cas d’absence de couvain ou lorsqu’il faut poser ou retirer une hausse, lorsqu’on doit nourrir, lorsqu’une colonie essaime ou que la reine fait son vol de fécondation ou encore lors d’attaques par le frelon asiatique.
Les capteurs d’activités à l’entrée de la ruche sont relativement coûteux, c’est pourquoi H. Aumann de l’Université du Maine (USA) a cherché à utiliser de simples radars Doppler de 24 Ghz pour vérifier l’activité de vol des abeilles. Il a adapté ces capteurs peu coûteux (utilisés dans l’industrie automobile pour éviter les collisions) pour suivre l’activité de vol des abeilles à courte distance. Les courbes d’activité obtenues ont été comparées à l’activité réelle des abeilles. Les données obtenues sont fortement corrélées à la température et à l’ensoleillement. Ce type de capteur peut avertir l’apiculteur d’événements importants tels que l’essaimage, le pillage, la désertion… et pourrait répondre aux besoins de base d’un apiculteur.

https: //ieeexplore.ieee.org/stamp/stamp.jsp ?tp=&arnumber=7894090&tag=1

Le projet ApisProtect présenté par Fiona Edwards Murphy (Irlande) est basé sur une intelligence artificielle qui recueille des données provenant de multiples sources dont des milliers d‘exemples de colonies saines et faibles (capteurs sous le toit de ruches : température, humidité, CO2, sons, mouvements), des tests de dépistage des maladies, des rapports d‘inspection et des données agrégées et anonymisées, dans les ruches du monde entier (Europe, Amérique du Nord et Afrique du Sud). Ces données sont utilisées par des algorithmes pour comprendre vos ruches également équipées de capteurs et vous envoyer par SMS des suggestions d‘actions pour suivre et améliorer la santé de vos colonies. Cette application existante peut ainsi vous aider à intervenir lors des moments importants tels que l’essaimage, les dérèglements thermiques, les problèmes de reines, de famine, les maladies et les ravageurs. ApisProtect suit aujourd’hui 10 millions de colonies et ce nombre devrait être doublé rapidement.


Mais la technologie ne se limite pas uniquement au suivi des colonies. Elle peut également dresser un bilan ponctuel, important lorsqu’on veut déplacer des ruches en pollinisation. Aux
Etats-Unis, la Bee Corp a développé un système d’évaluation du développement des colonies Langstroth sur base de la chaleur dégagée par les colonies enregistrée sur des images Infra-rouge (IR). Cette technique permet d’évaluer la force des colonies sans les perturber. Les apiculteurs visualisent les résultats sur leur smartphone, et la valeur de la colonie pour la pollinisation. Les arboriculteurs peuvent ainsi faire évaluer la force des colonies placées en pollinisation grâce à la technologie IR.

Côté recherche

La recherche bénéficie aussi des nouvelles technologies. William Weikle a montré l’important travail de suivi des colonies (poids, température, gaz émis lors de la respiration, sons, activités de vol) qu’ils ont réalisé au Carl Heyden Bee Research Center de l’USDA. Ces techniques sont de plus en plus performantes et leur coût devient accessible aux chercheurs. Cette approche a permis un suivi non intrusif des colonies lors des recherches et apporte des informations sur l’activité et le développement des colonies non accessibles ou très difficilement détectables par le passé avec les tests classiques de suivi. Il a illustré cela au départ de récentes recherches sur l’insecticide methoxyfenozide et sur l’impact de régions différentes sur les colonies.


Le docteur Marc Greco a utilisé l’imagerie médicale qui permet d’avoir une image claire de la structure interne d’une ruche sans la perturber (voir ci-dessous). Cette approche lui a permis de mieux comprendre le comportement de distribution de l’alimentation des abeilles et de mettre en évidence que certaines abeilles choisissent certains groupes d’abeilles à alimenter dans la ruche alors que d’autres ne le font pas. Cela peut avoir un impact sur la transmission de maladies ou de toxiques. Il a ainsi développé un petit dispositif qui permet de voir quelles sont les abeilles qui présentent ce comportement particulier. Cela peut faciliter le travail des éleveurs.
S. Evans d’Arnia a présenté le projet IoBee financé par la Commission européenne. Ce dernier associe une série d’informations différentes comme celles des capteurs d’activités à l’entrée de la ruche, capables de différencier les ouvrières des mâles, à celles des capteurs qui devraient évaluer la présence d’autres pollinisateurs (densité et diversité) ou de prédateurs (frelons asiatiques). Le tout serait couplé à une analyse des données satellites portant sur le climat et la végétation afin de prédire les miellées. L’analyse couplée de toutes ces informations devrait assurer un monitoring global des colonies d’abeilles et leur santé.

Recherches sur l’isolation

Deux exposés ont porté sur l’analyse thermique des ruches.
Derek Mitchell de l’Université de Leeds (UK) a fait une présentation magistrale sur la gestion des fluides thermiques par les abeilles dans la ruche. Leurs impacts sont importants sur la grappe hivernale et sa capacité de survie, sur le séchage du nectar, sur le comportement de ventilation et de butinage. Ils ont de multiples interactions dont la capacité de survie au froid (-10°C avec des parois de 24 mm, -20°C avec du styrodur et -40°C dans une cavité naturelle (parois de 70 mm)), la gestion de la température et de l’humidité au niveau du couvain et de là, sur le développement des varroas. En saison apicole, l’isolation des ruches va améliorer l’humidité du couvain et sa régulation thermique et va, de ce fait, réduire la capacité de reproduction des varroas.
Les abeilles choisissent un arbre creux avec une entrée au fond facilitant ainsi le maintien de l‘air chaud à l‘intérieur du nid. Les abeilles le modifient ensuite en appliquant de la propolis sur les parois intérieures et les petits trous ou fissures. Cela permet d‘éviter les fuites d‘air chaud et de maintenir le bon niveau de vapeur d‘eau. À l‘intérieur du nid, les milliers de cellules fournissent individuellement un microclimat isolé pour la croissance des larves ou la production de miel. L’impact de cette présentation sur les pratiques apicoles est vraiment important.

Anne Dupleix de l’Université de Montpellier a présenté les travaux en cours sur un modèle d’évaluation de l’impact des conditions environnementales sur le comportement hydrothermique des abeilles dans la ruche. L’équipe de recherche part de l’analyse des paramètres d’une ruche vide et puis elle intègre les abeilles et les cadres. Ici aussi, elle met en évidence l’importance des matériaux utilisés pour la santé des abeilles. http://www.lmgc.univ-montp2.fr/perso/anna-dupleix/mecanique-du-bois-wood-mechanics/

Lors de la table ronde sur le futur de l’apiculture, face à plusieurs scénarios, le public a plébiscité l’option d’un futur apicole se rapprochant d’un meilleur respect de la nature avec une augmentation des moyens de suivi des colonies pour limiter les interventions.